Isaac de Benserade
FABLES
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Le Rat de ville et le Rat des champs.
Les Deux Amis qui vendent la peau de l’Ours.
Les Grenouilles demandent un Roi.
Le Pot de Fer et le Pot de Terre.
À propos de cette édition électronique
Dramaturge et poète français adepte du style précieux, Isaac de Benserade fut notamment l’auteur de livrets de ballets pour Lully. Homme d’esprit très en vogue à son époque, il fut l’ami des puissants (pensionné par Richelieu, puis Mazarin) et devint académicien en 1674. Ses quatrains, inspirés des fables d’Ésope, furent publiés en 1678 ; ils renchérissaient par leur concision sur la tradition ésopique de brièveté. La Fontaine prendra souvent le parti inverse et développera au contraire le récit au point d’en faire parfois de véritables petites dramaturgies.
Le loup querellait un agneau
Qui ne savait pas troubler l’eau ;
À tous coups l’injuste puissance
Opprime la faible innocence.
L’agneau n’alléguait rien pour sa juste défense,
Qui ne mit le loup dans son tort ;
Mais il ne savait pas qu’opprimer l’innocence,
C’est le droit du méchant, quand il est le plus fort.
Le renard du corbeau loua tant le ramage,
Et trouva que sa voix avait un son si beau,
Qu’enfin il fit chanter le malheureux corbeau,
Qui de son bec ouvert laissa cheoir un fromage.
Ce corbeau qui transporte une vanité folle,
S’aveugle et ne s’aperçoit point
Que pour mieux le duper, un flatteur le cajole :
Hommes, qui d’entre vous n’est corbeau sur ce point.
Que tu me parais beau, dit le loup au limier,
Net, poli, gras, heureux et sans inquiétude !
Mais qui te pèle ainsi le col ? Mon collier.
Ton collier ? fi des biens avec la servitude.
Dépendre dans les fers du caprice d’un maître,
Dure condition, disait le loup au chien ;
Il lui fit bien connaître
Que sans la liberté, tout le reste n’est rien.
La grenouille superbe, en vain tâche de s’enfler
Pour atteindre la taille d’un bœuf. Elle n’y peut aller ;
Mais en simple grenouille au marais élevée,
N’est dans son espèce qu’une grenouille crevée.
Le marquis fait le duc, le duc fait le prince ;
Chacun s’enfle, et enfin chacun devient si mince,
Qu’ainsi que la grenouille, il crève avec éclat.
On se perd à vouloir sortir de son état.
Le rat de ville était dans la délicatesse ;
Le rat des champs vivait dans la simplicité ;
L’un avait plus de politesse ;
L’autre était en sûreté.
Il n’est point de plaisir où la crainte se trouve ;
Riches, c’est ce qu’ici ce rat sensé vous prouve :
Liberté, vous dit-il, repos et sûreté,
Sont des biens qu’on ne voit que chez la pauvreté.
Maître renard offrit un beau matin
À dame la cigogne un étrange festin ;
Un brouet fut par lui servi sur une assiette,
Dont l’oison au bec ne put attraper miette.
Aussi, pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là la cigogne le prie :
Dans un vase à long col lui sert friand morceau.
Le sot n’en put tâter ; et léchant son museau,
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris.
Vous me fîtes jeûner, je vous rends la pareille,
Disait la cigogne au renard baissant l’oreille ;
Tout est dans les règles, ami ;
Car à fourbe, fourbe et demi.
On connaît les amis dans les occasions.
Chère Fourmi, d’un grain soyez-moi libérale ;
J’ai chanté tout l’été : tant pis pour vous Cigale ;
Et moi j’ai tout l’été fait mes provisions.
Vous qui chantez, riez, et toujours sans souci,
Ne songez qu’au présent, profitez de ceci.
Pleurs, dit un vieux refrain, sont au bout de la danse.
J’ajoute : l’on périt faute de prévoyance.
Un arbre reprochait au roseau sa faiblesse :
Il vient au prompt orage ; un vent souffle sans cesse :
L’arbre tombe plutôt que de s’humilier,
Et le roseau subsiste à force de plier.
Le chêne par les vents tombe déraciné,
Quand le roseau soutient leur courroux mutiné.
Hélas ! s’il est ainsi, que les grands sont à plaindre,
Plus on est élevé, plus on a lieu de craindre.
Le chat étant des rats l’adversaire implacable,
Pour s’en donner de garde un d’entr’eux proposa
De lui mettre un grelot au col ; nul ne l’osa.
De quoi sert un conseil qui n’est point praticable ?
C’est ainsi que sans fruit, plus d’un conseil s’assemble.
Jamais en opinant, le conseiller ne tremble :
Lui parle-t-on d’agir, le cas n’est pas égal ;
L’on conseille fort bien, I’on exécute mal.
Saisis d’une frayeur qui leur causait la fièvre,
Les lièvres se jetant dans une mare tous,
Aux grenouilles font peur ; Courage, dit un lièvre,
Il est des animaux plus timides que nous.
Fiers de porter la peur aux bords du marécage,
Les lièvres rassurés se crurent du courage.
D’un plus poltron que soi, qu’un poltron soit vainqueur,
Le Thersite, en tremblant se croit homme de coeur.
Tous deux au fond d’un puits taciturnes et mornes,
De s’assister l’un l’autre avaient pris le parti ;
Pour sortir le renard se haussant sur ses cornes,
Fit les cornes au bouc après qu’il fut sorti.
Il ne le paya pas même d’un grand merci.
Qui s’est servi de toi souvent en use ainsi :
Dans le puits beaux discours tant qu’on est nécessaire ;
Mais mon traité signé, le tien c’est ton affaire.
Les plaisirs coûtent cher ! et qui les a tous purs ?
De gros raisins pendaient ; ils étaient beaux à peindre,
Et le renard n’y pouvant pas atteindre,
Ils ne sont pas, dit-il, encore mûrs.
Ce renard, dans le fond, était au désespoir.
On croit qu’il dit après, avec plus de franchise :
Les raisins étaient mûrs ; mais toujours l’on méprise
Ce qu’on ne peut avoir.
Deux amis voyageaient, et rencontrent un ours,
L’un gagne un arbre haut, l’autre tout plat se couche ;
Ainsi, sans les blesser, va l’animal farouche :
On se sauve souvent par différents détours.
Ennemi dans son camp jamais ne vous étonne ;
On le cherche. Vient-il, on s’assemble, on raisonne :
Il n’est pas temps, dit-on, de risquer le combat.
Si l’on était battu, que deviendrait l’État.
À la vieille souris, disait sa jeune fille,
Je hais le petit coq, j’aime le petit chat :
Le Chat ! répond sa mère : ah ! c’est un scélérat ;
Mais le coq n’a point fait de mal à ta famille.
Ne vous fiez point trop à mine radoucie,
Et ne jugez des gens sur la physionomie.
Plus d’un tartuffe ici l’a bonne, et cependant
Sot qui lui confierait sa femme ou son argent.
On dit que Jupiter, comme un joug assez doux,
A posé de sa main deux besaces sur nous.
Devant est celle où sont tous les défauts des autres ;
Et derrière il a mis celle où sont tous les nôtres.
C’est ainsi qu’ici-bas le sot encor la porte ;
Le sage agit d’une autre sorte :
Il la retourne et met ses défauts devant lui,
Tandis que sur son dos il jette ceux d’autrui.
Un jour une personne, aux astres bien instruite,
Regardait vers le ciel, et tomba lourdement.
Tel donne des leçons sur la bonne conduite,
Qui s’égare lui-même, et bronche à tout moment.
Avis à vous, savants en inutilités,
Mais sur le nécessaire, esprits forts hébétés.
Tel voit ce qui se passe autour d’une planète,
Qui chez lui ne voit rien, même avec sa lunette.
Une poutre, pour roi, faisait peu de besogne ;
Les grenouilles tout haut en murmuraient déjà ;
Jupiter à la place y mit une cigogne.
Ce fut encore pis, car elle les mangea.
S’en tenir à son roi, tel que le ciel le donne,
C’est ce qu’Ésope ici sagement nous ordonne :
Tel peuple las du sien le changea follement,
Qui bientôt regretta l’ancien gouvernement.
Le pot de fer nageait auprès du pot de terre ;
L’un en vaisseau marchand, l’autre en vaisseau de guerre.
L’un n’appréhendait rien, l’autre avait de l’effroi,
Et tous deux savaient bien pourquoi.
Ainsi mal-à-propos petit prince se brise
Aux côtés d’un grand roi.
Ceci vous dit : malheur à qui s’avise
D’approcher de trop près d’un plus puissant que soi.
Un jeune homme bien fait, par moi t’est préparé,
Dit un père à sa fille, au deuil qui la consomme,
Pleurant son époux mort : quand elle eut bien pleuré,
À la fin elle dit : mon père, et le jeune homme ?
Qu’au nom d’un autre époux, la belle ouvrant l’oreille,
Perde le souvenir de son premier mari,
Et cesse de pleurer, ce n’est grande merveille :
Il n’est veuve en ces lieux, qui dans tel cas n’eût ri.
Le délicat voisin d’un puant corroyeur
Plaida pour l’éloigner, et gagna son affaire :
Pendant qu’à déloger le corroyeur diffère,
Le voisin s’accoutume à la mauvaise odeur.
Bientôt le délicat plaideur
Des peaux de son voisin ne sentit plus l’odeur :
Que conclure de là ? Que ce qui semble rude
Devient avec le temps, plus doux par l’habitude.
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Janvier 2006
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– Source :
Biblio.tic
http://www.amiens.iufm.fr/amiens/cahier/biblio/default.htm
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