Anonyme
GHAZELS
Poèmes persans
Éditions Paris,
Bossard, 1925.
Traduit du persan par Marguerite Ferté
Table des matières
À propos de cette édition électronique
Je t’ai demandé l’aumône d’un regard,
Et tu as détourné les yeux.
Je t’ai demandé l’aumône d’un sourire,
Et ton visage s’est durci.
Je t’ai demandé l’aumône d’un baiser,
Et tu m’as répondu : Passe ton chemin.
Ô ma perdrix, sans un regard, sans un sourire, sans un baiser, comment puis-je continuer ma route ? Et à quelle source dois-je m’arrêter si j’ai éternellement soif de toi ?
Saïfah, mon âme, pourquoi revêts-tu le tchartchaf alors que le vent souffle sur la plaine et soulève les cailloux tranchants ?
Saïfah, couronne de ma tête, pourquoi ton sein bat-il à coups plus pressés que la feuille du platane secouée par le vent de la plaine ?
Saïfah, lumière de mes yeux, pourquoi ton regard si doux est-il devenu plus aride que la plaine desséchée par le vent ?
*
* *
Je revêts le tchartchaf – ô maudit – pour voler au vent de la plaine dans les bras de celui qui m’attend.
Mon sein bat à me rompre l’âme – ô maudit – parce que ta main menteuse a brisé sans émoi la coupe limpide de mon cœur.
Mon regard est aride – ô maudit – parce que toutes mes larmes je les ai données pour former le ruisseau qui me noiera dans la plaine.
Pourquoi chantes-tu – ô Bulbul – puisque la voix de ma bien-aimée s’est tue ?
Pourquoi brilles-tu – ô Soleil – puisque les yeux de ma bien-aimée se sont clos ?
Pourquoi rêves-tu – ô Jeune fille – puisque le bonheur est un éternel mirage ?
– Je chante encore – ô Éploré – parce que d’autres cœurs sont allègres.
Je brille encore – ô Éploré – parce que d’autres regards scintillent.
Et si je rêve – ô Jeune homme – c’est que demain tu m’aimeras peut-être.
L’eau glisse et s’épand dans la vasque,
Et c’est la chanson du printemps.
Le rosier s’effeuille sur la vasque,
Et c’est le carmin du printemps.
Le soleil se joue sur la vasque,
Et c’est le sourire du printemps.
*
* *
La lune argente l’eau de la vasque,
Et c’est son visage, pâle d’amour.
Mais la nuit enténèbre la vasque,
Et mon cœur ne sait plus si Elle m’aime.
Je vois le soleil éblouisseur,
Et ce sont ses yeux.
Je caresse l’ambre de mon chapelet,
Et c’est sa joue.
J’aperçois le cyprès altier,
Et c’est sa taille.
Je respire la rose de Kasvine,
Et c’est son haleine.
J’entends chanter l’eau du kanout,
Et c’est sa voix.
Et si je marche sur une vipère,
C’est encore Elle qui me hante.
Ce n’est pas le Kandjar qui l’a faite :
Mes ennemis étaient sous leurs tentes.
Ce n’est pas une vengeance échue :
Ceux que j’ai offensés sont morts de ma propre main.
Ce n’est pas le hasard aveugle :
Le hasard quand il croise ma route devient clairvoyant.
Si ma vie se répand et me quitte
C’est que ses yeux m’ont blessé à mort
Et qu’Elle en aime un autre.
La lune bleuit le jardin et, dans l’ombre, Zeineh rêve. Elle est accroupie tout au bord du ruisseau limpide, un jasmin aux lèvres, l’âme resplendissante d’amour. Chaque battement de son cœur scande le nom du bien-aimé et la chanson de l’eau le lui répète. Zeineh sourit ; la fleur de jasmin palpite.
L’heure s’écoule. Le jardin bleuit davantage. La lune a quitté le palmier dentelé et glisse derrière la colline ; un rossignol prélude ; ses notes énamourées s’égrènent une à une dans la nuit écouteuse.
Zeineh lève le visage et rit.
Mais la fleur de jasmin s’est échappée de ses lèvres. Elle est recueillie par le ruisseau où ne se mire plus la lune.
Zeineh tressaille. Son regard cherche les pétales tombés au fil du courant. Mais le courant a emporté la fleur de jasmin et, là-bas, la grenouille mélancolique semble pleurer une joie évanouie.
La fleur de jasmin est loin ; elle parfume l’eau fuyante.
Dans le cœur de Zeineh plus rien, que le souvenir du parfum.
Son grain tiède glisse entre les doigts telle une caresse,
Ainsi a glissé sur mon âme le doux sourire d’Aïcha.
Mille autres sourires ont passé sur mon âme.
L’un y a fait une brûlure ; l’autre y a laissé un dard.
Où retrouver, dans le désert de ma vie,
Le grain de sable qui fut le sourire d’Aïcha ?
Tu as encensé mes yeux de gazelle.
Tu as exalté la musique de ma voix
Tu t’es enivré du printemps de mon corps.
Puis, tu as piétiné mon cœur.
À l’univers entier elle avait chanté son bonheur,
Et l’abeille butineuse contait à la rose cet amour unique.
Le jour où elle fut trahie nul ne le soupçonna,
Et les Délaissées, songeuses auprès de sa tombe, soupirent :
« Celle-là fut heureuse ».
À cette source elle a bu.
Elle est morte – et la source n’a pas tari.
À ce miel elle a goûté.
Elle est morte – et le miel est resté aussi doux.
Sur ce rosier elle s’est penchée.
Elle est morte – et le rosier fleurit toujours.
Mais mon cœur, elle l’avait pris entre ses mains.
Elle est morte – et mon cœur repose dans sa tombe.
Sous la tente – ô ma bien-aimée – ce soir je t’attends.
Kérim ! Prends mon étendard et dresse-le en bannière d’allégresse au plus haut de ma tente.
Combien de lunes se sont-elles inscrites au firmament depuis que je suis altéré de toi – ô ma bien-aimée – car le sang répandu de mes ennemis n’a pas étanché la soif de mon cœur.
Le crépuscule guette déjà le jour expirant. Le soleil lance déjà son adieu royal dans une chevauchée flamboyante de nuages. Les voiles du soir s’étendent un à un sur la journée lassée ; ils enclosent de ténèbres les bouches convulsées des mourants et recueillent dans leurs plis silencieux le dernier cri de rage des vaincus.
Kérim ! Au sommet de la dune surgit la caravane, gardienne de mon trésor vivant !
Le vent du désert s’est levé. Assure-toi si son souffle fait fête à mon étendard déployé.
Ô mon cœur, mon cœur durci aux batailles, vos battements ont retrouvé le printemps de ma jeunesse défunte.
Kérim ! Le vent du désert fait rage. Sors de la tente et vois si mon étendard résiste à son souffle désordonné. L’étendard claque au vent – ô chérif – et chaque ondulation conte à la terre tes victoires.
Kérim ! Kérim ! Le vent du désert souffle en tempête. Va, jeune homme, soutenir de ton bras mâle l’étendard triomphateur.
Kérim obéit à son maître.
Il soulève la portière de la tente.
Et le sable l’aveugle.
Il franchit le seuil de la tente
Et la nuit l’enveloppe.
Il avance pour soutenir l’étendard
Et Safiah, l’Attendue, étanche sa soif à ses lèvres.
Si tu m’avais dit : Donne-moi ton coursier préféré,
Je t’aurais répondu : Prends sans scrupule mon coursier préféré,
Qu’importe ! Puisqu’à tes genoux tu m’enchaînes.
Si tu m’avais dit : Fais-moi l’offrande de tous tes trésors.
Je t’aurais répondu : Prends sans compter tous mes trésors.
Qu’importe ! Puisque je reste ton débiteur.
Si tu m’avais dit : Fais-moi le don de tout ton sang,
Je t’aurais répondu : Prends sans remords tout mon sang,
Qu’importe ! Puisque tu as déjà mon âme entière.
Mais, si tu m’avais dit : Brise ton Kandjar,
Je t’aurais répondu : Femme, pas avant qu’il n’ait tranché ta tête !
J’aime mieux la nuit, dit Aïcha,
Tout dort et je puis pleurer en silence.
J’aime mieux le jour, dit Zeineh,
Tout est joie et ma peine reste inaperçue.
À mes lèvres le goût du miel :
Son baiser.
Dans mon âme un reflet du paradis :
Ses yeux.
Dans mon cœur un poignard :
Ses serments.
Pourquoi me demander – ô Gulnar – quel jour s’est incendié mon cœur, puisqu’aujourd’hui mon cœur n’est plus que cendres dispersées ?
Pourquoi me demander – ô Gulnar – quel jour nos sourires se sont parlés, puisqu’aujourd’hui le Lapidé lui-même n’aurait pas le pouvoir de confesser mes lèvres ?
Pourquoi me demander – ô Gulnar – quel jour mes pas foulèrent le sol sans frôler la fourmi, puisqu’aujourd’hui mon pied souhaiterait d’écraser tout ce qui respire ?
Et pourquoi demander – ô Gulnar – quel jour mon âme a fleuri puisque tes doigts ont jeté au vent la rose épanouie ?
Et toi me diras-tu – ô Mahmoud – quel jour Aïcha m’a dérobé un battement de ton cœur ?
Me diras-tu – ô Mahmoud – quel jour Aïcha reçut le choc de ton sourire complice ?
Me diras-tu quel jour tes pas t’ont d’eux-mêmes porté vers la fontaine d’El Latif ?
Et me diras-tu – ô Mahmoud – quel jour ton âme a tressailli devant Aïcha, penchée sur la source fraîche ?
Mais que sert de souder ensemble les chaînons du supplice ?
Rassure-toi – ô Pervers – ce soir tu pourras caresser sans forfait la joue de ton Impudique, car, j’en fais le serment sur le Lotus de la Limite, mes larmes plus jamais n’altèreront l’eau limpide de la source abhorrée.
Ces paroles dites, leurs regards se mêlèrent et ce fut à nouveau une matinée d’été.
Quand tu marches – ô Azizé – la gazelle se juge pesante et l’antilope entravée.
Quand tu souris – ô Azizé – les perles perdent aussitôt leur orient et les roses s’effeuillent, dépitées d’exhaler un parfum si grossier.
Quand tu chantes – ô Azizé – la fauvette critique le merle et le rossignol se tient coi.
Mais quand tu querelles – ô Azizé – le vézir et le calender se chamaillent et l’humanité entière doute de la bonté.
Quand tu ouvres la bouche – ô Gul-i-siah – j’aperçois une caverne où s’alignent des perles dédaignées du tellal.
Quand ton haleine m’atteint – ô Gul-i-siah – je porte sans délai la rose à mes narines.
Quand tu commences un récit – ô Gul-i-siah – les serpents sifflent dans les airs et les scorpions s’entretuent.
Et quand retombe le silence – ô Réprouvée – le monde n’est plus qu’un marécage au bord duquel tu as coassé.
Je ne l’avais point encore aperçu
Que – déjà – il me trouvait belle.
Je ne lui avais point encore souri
Que – déjà – il avait éprouvé qu’il m’aimait.
Je ne lui avais point encore parlé
Que – déjà – il m’avait juré un amour éternel
Et quand – après – je l’ai regardé,
Il a détourné les yeux.
Et quand – après – je lui ai souri,
J’ai senti son cœur rassasié.
Et quand – après – j’ai balbutié « Je t’aime »
Il m’a répondu : Assez ! Azizé me plaît davantage.
Aïcha en a fait un collier qu’elle enroule à son cou, mais son doigt impatient a rompu le fil de soie.
Les jasmins se répandent en pluie odorante ; l’un reste pris dans ses cheveux dénoués, l’autre a glissé à terre, un autre est demeuré entre deux seins plus fermes que les chelils du mois d’amardâd.
Que ne donnerait Mansour pour être la fleur qui repose dans cette vallée d’amour !
Mais le cœur de la jeune fille est une source non encore épandue, et l’heure n’est point sonnée où des lèvres amoureuses mettront un collier de baisers au cou flexible d’Aïcha.
Un grain de sable dans Sa babouche
Que faut-il de plus pour allumer la jalousie d’Afrassiâb ?
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Décembre 2009
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