Howard Phillips Lovecraft
FUNGI FROM YUGGOTH
1929 – 1930
Traduction Benoît Vézinaud
Table des matières
À propos de cette édition électronique
J’ai réalisé cette traduction parce que je voulais partager mon intérêt pour l’auteur et aussi donner au domaine public une traduction libre de droits.
Les champignons de Yuggoth est une ballade allégorique dans l’univers fantastique et surréaliste d’Howard Phillips Lovecraft. Tout au long de sa poésie, il nous emmène depuis la Terre jusqu’à Yuggoth, une planète mystérieuse et encore non découverte du système solaire, puis nous ramène sur Terre pour explorer le folklore et les sombres recoins de la Nouvelle-Angleterre, cette région qu’il aimait et sur laquelle il a beaucoup écrit. En tant que témoin de son temps (1890-1937), Lovecraft combattait la superstition en lui opposant ses propres mythes et légendes sur des civilisations et des dieux plus vieux que la race humaine qui auraient possédé la Terre par le passé et pourraient venir la revendiquer un jour. Il inventa aussi plusieurs races extraterrestres possédant pour certaines des capacités surprenantes, comme celle de voyager dans le temps et l’espace ou bien d’effectuer sur les humains des opérations chirurgicales très poussées pour leur extraire le cerveau et le placer dans des machines, atteignant ainsi une sorte de vie prolongée. Tout au long de sa vie, Lovecraft écrivit de histoires et fit partie de plusieurs cercles littéraires, il aimait aussi l’astronomie et échangeait de nombreux courriers avec de multiples personnes. À la fin de sa vie, atteint d’un cancer auquel il succomba, il avait écrit près d’un million de mots en histoires diverses. Sa personnalité particulière et ses écrits visionnaires donnèrent lieu à de nombreuses discussions après sa mort, on le considérait comme assez renfermé et raciste, mais ceci n’était qu’un reflet de son époque sortant avec peine des brouillards mystiques du Moyen Âge et arrivant dans l’ère de la science avec de nouvelles technologies émergentes.
J’ai traduit ce texte en privilégiant le sens, car je trouve que la poésie de Lovecraft se base plus sur le jeu avec les mots, les sonorités et les descriptions imagées que sur une réelle mise en forme poétique. Il se trouve qu’en anglais ces vers riment et sont d’égale longueur, mais obtenir ce résultat en français serait long et fastidieux et, à mon avis, bien éloigné du sens premier de ce texte. Peut-être un jour tenterai-je de lui redonner sa forme originelle, mais je n’ai pas assez de temps à y consacrer pour l’instant. Ce poème regroupe aussi de nombreuses autoréférences que j’expliquerai dans les notes de fin. Voilà pour ma modeste contribution, à vous de vous laisser entraîner par-delà les frontières, oscillant entre rêves et cauchemars jusque-là où, sans doute, le temps prend sa source, et plus loin encore si le cœur vous en dit.
Benoît Vézinaud
L’endroit était sombre poussiéreux et à demi abandonné
Dans le dédale des vieilles allées près des quais
Regroupant d’étranges choses rapportées de la mer
Et des lambeaux de brumes apportées par le vent de l’ouest,
Petits losanges vitrés, obscurcis par la fumée et le givre
Que des livres entassés, empilés tels des arbres tordus
Accumulés du sol au plafond – des tas
Croulants d’anciennes camelotes à bas prix.
Je suis entré charmé, et d’un amas de toiles d’araignées
Je tirai le plus proche tome et le pris en main
Tremblant devant ces curieux mots semblant garder
Quelque secret, monstrueux si un seul le savait.
Puis, cherchant quelque vieux vendeur en cette boutique
Je ne pus rien trouver qu’une voix qui riait.
Je tenais le livre serré sous ma veste, avec peine
Pour cacher cette chose en un tel lieu
À travers les anciennes lignes portuaires
Et tournant la tête et d’un pas nerveux
Devant de ternes et furtives fenêtres dans de vieux murs en briques
Par lesquelles de curieux regards me firent me hâter,
Et la pensée de ce qu’elles abritaient me rendit malade
Et seule la vue d’un coin de ciel bleu propre me soulageait.
Personne ne m’avait vu prendre la chose – mais restait
Un blanc rire roulant dans ma tête tournoyante
Et je pouvais imaginer ce que cachaient ces mots malades
M’accrochant au volume que j’avais dérobé,
Le chemin se fit étrange – et les murs aussi et folie,
Et loin derrière moi, des pas invisibles se firent entendre.
Je ne savais pas comment m’en sortir entre les piles de déchets
De ces étranges lignes du bord de mer qui me ramenèrent à la maison une fois encore
Mais arrivant sous mon porche, je tremblai de blanche précipitation
Pour me jeter à l’intérieur et traverser la lourde porte,
J’avais le livre qui contenait le secret passage,
Par-delà le tourbillon et au travers les frontières des espaces suspendus
Qui tenaient les mondes non dimensionnés à distance
Et gardaient les ères perdues dans leurs demeures.
Au final, la clef était à moi qui m’amènerait à des visions floues
De flèches solaires et de bois crépusculaires et couverts,
Sis dans des golfes au-delà des occupations de cette Terre
Là où se tapissent les mémoires de l’infini
La clé était mienne, mais je me suis assis là marmonnant
La fenêtre du grenier s’agita en un léger mouvement.
Le jour revint à nouveau, et comme un enfant
Je regardai – juste une fois – les bouquets de vieux chênes
Gris enveloppés de brumes s’attachant à leurs racines
Les formes rampantes que la folie a souillées
C’étaient les mêmes – une plage d’herbages sauvages
S’accroche autour d’un autel sculpté dont le signe invoque
Celui qui n’a pas de nom parmi les mille fumées,
Roses, ères perdues, depuis les ruines entassées des tours.
Je vis le corps sortir de cette pierre humide
Et connus les choses qui festoyaient quand il n’y avait pas encore d’hommes,
Je connus cet étrange monde gris qui n’était pas le mien
Mais Yuggoth, passé les tourbillons étoilés – et alors
Le corps hurla après moi avec son cri mort,
Et bien trop tard, je sus que c’était moi !
Le démon dit qu’il voulait me ramener à la maison
Au pâle et sombre pays que je reconnus à moitié,
Comme une haute place d’étages et de terrasses emmurées
Avec des balustrades de marbre, creuses ouvertes aux vents des cieux
Dont les miles au-dessous formaient un labyrinthe de dômes s’entassant
Et de tours les unes sur les autres dominant une mer s’étalant,
Une fois encore, il me dit, je veux rester fasciné
Sous ces vieilles hauteurs, et écouter les écumes du lointain.
Tout cela, il me le promit, et au travers des ponts de lumière solaire
Il me balaya, passant les clapotis de lacs enflammés
Et les trônes d’or rougis des dieux sans nom
Qui criaient de peur au vu d’un destin imminent
Alors un golfe noir peuplé des sons de la mer dans la nuit :
« Ici est ta maison, se moqua-t-il, quand tu recevais la vue ! »
Nous trouvâmes la lampe dans ces falaises creuses
Elle était ciselée de signes que les prieurs de Thèbes pouvaient lire
Et ces hiéroglyphes provenant d’effrayantes cavernes
Avertissaient toute créature vivante des races de la terre.
Plus rien n’était là – juste cet effronté bol
Avec de curieuses traces d’huile dedans
Couvert d’obscurs motifs s’enroulant
Et de symboles évoquant vaguement d’étranges péchés.
Résumant les peurs de quarante siècles
Que nous emportions comme un mince butin
Et quand nous l’observâmes dans notre tente enténébrée
Nous conçûmes un procédé pour tester l’huile antique,
Elle brûla – grand Dieu !… Et que les vastes formes que nous vîmes
Dans cette folle vasque portèrent nos vies dans la crainte.
Le rebord de la grande colline se refermait sur la vieille ville,
Un précipice contre la fin de la rue principale
Vert, élevé, et forestier, semblant étrangement sombre,
Dominant le clocher et le virage de la grande voie.
Deux cents ans que les murmures avaient étés entendus
À propos de ce qui s’était passé à la pente de l’homme fuyant,
Contes d’un cerf ou d’un oiseau curieusement mutilé.
Ou de garçons perdus sur qui l’on avait cessé d’espérer
Un jour le postier ne retrouva plus le village
N’en revit ni les gens ni les maisons,
Les gens sortirent d’Aylesbury pour voir
Et dirent au postier que ce n’était qu’une plaine
Et qu’il était fou de dire ce qu’il avait vu,
La grande colline aux yeux gloutons et aux mâchoires larges et tendues.
Dix miles depuis Arkham et j’avais martelé la piste
Qui monte la falaise au dessus de Boynton Beach,
Et espérait qu’au coucher de soleil je pourrais rejoindre
La crête d’où l’on voyait Innsmouth en contrebas.
Loin sur la mer, un voilier se retirait,
Blanc comme les dures années que les vents anciens avaient décolorées
Mais diable plus loin que la voix ne pouvait porter,
Donc je n’agitai pas ma main ni ne saluai.
Naviguant hors d’Innsmouth ! Faisant écho à la renommée ancienne
De longs temps morts. Mais maintenant une nuit trop rapide
Arrivait, et j’avais rejoint la hauteur,
D’où je pouvais observer la ville lointaine
Les clochers et toits étaient là – mais regardez ! La morosité
Tombait sur les rues sombres, sans lumières comme la tombe.
C’était la ville que j’avais connue avant,
L’ancienne, lépreuse ville où des foules bâtardes
Chantaient d’étranges dieux, et frappaient des gongs impies.
Dans des cryptes sous des ruelles fétides près de la rive
La pourriture, des maisons aux yeux de poissons lorgnaient sur moi
De travers, soûles et à moitié animées.
En longeant l’ordure, je passai le pont
Jusqu’à la noire arrière-cour dans laquelle l’homme voulait être.
Les noirs murs m’enfermèrent, et me maudirent lourdement
D’être venu dans un tel antre.
Quand soudain un rideau d’une fenêtre creva
Laissant échapper une pleine lumière, et grouilla de danseurs
Fous, ébats silencieux de la mort se traînant
Et des corps qui n’avaient ni mains ni tête.
Et ils m’encanaillèrent sous les murs de brique maigre,
Débordants vers l’extérieur comme sous l’effet d’un mal emmagasiné
Et les façades tordues suintaient d’épaisses fautes
Allusions à des dieux extraterrestres et démoniaques,
Un million de feux brûlèrent dans les rues
Et des toits plats, quelques peu furtifs voulurent s’envoler
Des oiseaux débraillés jusqu’au ciel béant,
Tandis que des tambours cachés bourdonnaient des rythmes mesurés.
Je savais que ces feux appelaient de monstrueuses choses
Et que ces oiseaux de l’espace étaient dehors –
Je devinai de quelles noires cryptes d’une sombre planète ils provenaient,
Et ce qu’ils apportaient de Thog sous leurs ailes
Les autres riaient – comme s’ils ne pouvaient parler
De ce qu’ils entrevoyaient dans le bec d’un de ces oiseaux maléfiques.
Le fermier Seth Atwood avait passé quatre-vingts ans quand
Il essaya de creuser ce puits à sa porte
Avec seulement Eb pour l’aider sondant et sondant encore
Nous rîmes, et espérâmes qu’il voudrait bientôt être de nouveau sain,
Et encore, à la place, Eb devint fou aussi
Donc ils le conduisirent à la ferme du comté
Seth garda sa bouche murée comme si elle était collée,
Puis s’entailla une artère de son bras gauche noueux.
Après les funérailles, nous tombâmes d’accord pour
Nous rendre jusqu’au puits et enlever les briques,
Mais tout ce que nous vîmes fut une volée d’échelons de fer,
Descendant plus profondément dans le trou sombre que nous ne saurions le dire.
Et encore nous remîmes les briques – car nous avions trouvé
Que le trou était trop profond pour rendre un seul son.
Ils me dirent de ne pas emprunter le chemin de Brigg’s Hill,
Qui était connu pour être une voie principale vers Zoar,
Pour Goody Watkins, pendu en 1704,
Laissant une certaine monstrueuse suite.
Encore quand je désobéis, et eus en vue
Le cottage couvert de vigne contre la pente du grand rocher
Je ne pus penser aux ormes ni à la corde de chanvre
Mais fus émerveillé que la maison semblât si neuve.
S’arrêtant un peu pour voir passer le jour déclinant
J’entendis des hurlements faibles provenant d’une pièce en haut des escaliers,
Et au travers des planches empoisonnées passa un rayon de soleil.
Frappant, je pris au dépourvu le hurleur
Jetant un œil rapide – je m’enfuis alors en détresse de cet endroit
Et de cette chose à quatre pattes avec une tête humaine me regardant droit.
Les lumières de l’hiver, brûlant au-delà des clochers
Et des cheminées à demi détachées de cette sphère terne,
Ouvrirent grandes les portes à quelques années perdues,
D’anciennes splendeurs et divins désirs
Accouchant de merveilles brûlant de leurs riches feux,
Lourds d’aventures, et ne craignant pas la peur
Une rangée de sphinx là où la voie s’éclaircit
Sous les tourelles et les murs palpitaient de lointaines lyres.
C’était le pays où la beauté s’exprimait en fleurs,
Là où toute mémoire avait sa source,
Où la grande rivière du temps prenait sa course,
Descendant le vide immense dans son lit d’heures étoilées.
Les rêves nous en amenaient près – mais d’ancestrales traditions répétaient
Que l’humain n’avait jamais souillé ces rues.
Il s’agissait de certaines heures de tristesse crépusculaire,
Le plus souvent en automne, quand le vent étoilé se verse
Descend la rue depuis le sommet de la colline, désertée sans aucune porte ouverte,
Mais où des hâtives lampes de nuit éclairaient des chambres douillettes
Les feuilles mortes se ruaient, formant de fantastiques tourbillons,
Et la fumée des cheminées roulait d’une grâce extraterrestre
Construisant des figures d’au-delà de l’espace
Pendant que Fomalhaut perçait au travers des brumes du sud.
C’était l’heure que les poètes lunaires connaissaient
Que les champignons de Yuggoth germaient, et que les parfums
Et les nuances des fleurs emplissaient les continents de Nithon.
Comme avec un riche parfum de terre
Encore pour chaque rêve ces vents conviaient
Des dizaines des nôtres et les entraînaient !
Au fond de mon rêve, le grand oiseau chuchota étrangement,
Du cône noir au milieu des déchets polaires
S’extirpant de la calotte de glace désolée et morne,
Poussé par la folle tempête des ères battues et effacées
Ici aucune forme de vie terrienne ne prenait sa course
Et seules de pâles aurores et d’évanescents soleils
Luisaient sur ce roc escarpé, qui est source primaire
Où se devinent confusément les Grands Anciens.
Si les hommes pouvaient l’entrevoir, ils se demanderaient confusément
Quelle est cette construction délicate de la nature qui s’offre à leurs regards,
Mais l’oiseau évoque de grandes étendues, sises en-dessous
De la couche glacée profonde en kilomètres s’écrasant et couvant et supportant,
Que Dieu aide le rêveur qui aura ces visions folles lui montrant
Ces yeux morts figés en ces golfes de cristaux souterrains.
La maison était vieille, avec ses ailes enchevêtrées et rejetées
De qui personne n’avait pu garder même la moitié d’une trace,
Et dans une petite pièce quelque part près du fond
Était une vieille fenêtre close d’anciennes pierres.
Là, dans les rêveries de l’enfance, encore seul
J’allais souvent, quand la nuit régnait vague et sombre,
Oubliant les toiles d’araignées avec un curieux manque
De peur, et avec un émerveillement chaque fois grandissant.
Un jour d’après, je conduisis les maçons ici,
Pour trouver quelle vue mes ancêtres avaient bouchée
Mais quand ils percèrent la pierre, un vif courant d’air
Parvint des vides extraterrestres bâillant au-delà.
Ils fuirent – mais je regardai et trouvai déroulés
Tous les mondes sauvages dont mes rêves m’avaient parlé.
Il y avait là de grandes steppes, et des plateaux rocheux
S’étendant à moitié illimités dans la nuit étoilée,
Avec des feux de camps extraterrestres diffusant leur faible lumière
Des bêtes avec des cloches tintantes, en remuantes bandes,
Plus loin vers le sud, la plaine s’inclinait doucement et prenait de l’ampleur,
Jusqu’à un sombre zigzag de mur terminant une vallée
Comme un énorme python des jours premiers
Que le temps sans fin aurait glacé et pétrifié.
Je grelottai curieusement dans le froid et léger courant d’air
Et émerveillé d’où j’étais et comment j’y étais parvenu,
Quand une forme gluante d’un des éblouissants feux de camp
Grandissante et s’approchant, m’appela par mon nom,
Regardant ce visage mort sous sa hotte
Je cessai d’espérer – car je venais de comprendre.
Sous ce mur, fait d’ancienne maçonnerie,
Atteignant presque le ciel en tours couvertes de mousses
Il y aurait des jardins en terrasses, riches et fleuris,
Et agités d’oiseaux et de papillons et d’abeilles
Il y aurait des promenades, et des ponts enjambant
De froids bassins couverts de lotus reflétant les corniches des temples,
Et des cerisiers avec de délicates branches et feuilles
S’élevant dans un ciel rose où les hérons s’envoleraient.
Tout devait être là, pour ne pas avoir été de vieux rêves jetés,
Au travers des portes ouvertes de ce labyrinthe éclairé de lanternes de pierre
Où la somnolence des flux tournants provenait de leurs voies venteuses,
Longées de vertes vignes et de leurs spires s’accrochant
Je me suis précipité – mais quand le mur s’approcha menaçant et grandissant
Je m’aperçus qu’il n’y avait plus aucun passage.
Année après année j’ai entendu le faible et lointain son,
Des profondes et toniques cloches dans le noir vent de minuit
Provenant de clochers que je ne pouvais jamais trouver,
Mais étrangement, comme s’il parvenait au travers de grands vides
Je cherchais en ma mémoire et en mes rêves un indice,
Et mes pensées pleines de chimères que mes visions charriaient
De la calme Innsmouth, où les blanches mouettes s’attardaient,
Autour d’un ancien clocher que j’avais connu.
Toujours perplexe j’entendais ces lointaines notes tomber,
Jusqu’à ce qu’une nuit de Mars où la pluie tombait froide
Me fit revenir au travers des portes du souvenir,
À d’anciennes tours dont les battants claquaient,
Ils claquaient – mais depuis le déversement des noires marées
Et de leurs vallées encaissées sur le sol mort de la mer.
De quelle crypte rampaient-ils, je ne pouvais le dire,
Mais chaque nuit que je voyais les choses caoutchouteuses
Noires, cornues et minces, aux ailes membraneuses,
Et leurs queues fourchues comme provenant de l’enfer
Elles venaient en légions avec les vagues du vent du nord,
Leurs obscènes pattes griffues me provoquaient et me piquaient,
M’arrachant à mon foyer pour m’emmener en de monstrueux voyages
Aux mondes gris et cachés dans les tréfonds du cauchemar.
Jusqu’aux pics dentelés de Thok, ignorant,
même les cris que je poussais
Et descendant les profonds abysses cachant de fétides lacs,
Où les shoggoths haletants étaient plongés en un douteux sommeil,
Mais oh ! si seulement elles avaient voulu faire du bruit
Ou porter une face où des visages auraient pu être trouvés.
Et en dernier en la profonde Égypte venait
L’étrange et sombre devant lequel les fellahs s’inclinaient,
Silencieux et maigre et profondément fier
Et drapé de vêtements rouges comme les feux du soleil,
Aux créatures environnantes, frénétiques et à ses ordres
Mais laissant, ne pouvant dire ce qu’elles avaient entendu,
Jusqu’au travers des nations propageant ses mots d’émerveillement
Les bêtes sauvages le suivaient et lui léchaient les mains.
Bientôt de la mer naissait délétère le commencement,
Pays oubliés aux clochers envahis par la mauvaise herbe et aux splendeurs dorées,
Le sol en était crevassé, et de folles aurores descendaient
Suivant les tremblantes citadelles des hommes.
Alors, la moisissure se répandait comme par jeu
Le chaos idiot soufflait sur la Terre et la renvoyait à la poussière.
Au-delà de l’espace connu le démon m’attendait,
Passés les lumineux fragments de notre place
Jusqu’à l’endroit où ni temps ni matière n’étaient,
Mais seulement le chaos, sans forme ni réelle composition,
Là était le seigneur de Tout dans les ténèbres emprisonné,
Les choses qu’il rêvait mais qui ne pouvaient être comprises
Comme des choses chauves-souris virevoltaient et voltigeaient
En d’idiots tourbillons que des vaporeuses lumières bousculaient.
Elles dansaient follement depuis les hauteurs, couinant faiblement,
Au son de monstrueuses flûtes lancées en d’infernaux rythmes,
Et les combinaisons sans but de leurs incessantes vagues
Donnaient au fragile cosmos sa loi éternelle.
« Je suis son messager », disait le démon
Et comme par mépris il frappait le menton de son maître.
Je n’ai jamais su s’il existait vraiment,
Ce monde perdu flottant mollement sur les courants du temps
Et encore je le vois souvent, d’un mystérieux violet,
Et chatoyant à l’arrière d’un vague rêve
Il y avait là d’étranges tours et de curieuses rivières clapotantes,
Labyrinthes merveilleux, et basses voûtes lumineuses
Et les branches traversaient le ciel de flammes, comme celles qui tremblotent,
Magiquement juste avant une nuit d’hiver.
De vastes landes conduisant à des rives bordées de joncs et dépeuplées,
Où des grands oiseaux voletaient, tandis que sur une colline balayée par le vent,
Il y avait un village, ancien et aux clochers blancs,
Avec ses carillons du soir que je restais à écouter
Je ne savais pas quel pays c’était – ou oser
Demander quand ni pourquoi j’y étais.
Quelque part en rêve il y avait une mauvaise place,
Où de grands et déserts bâtiments entouraient
Un profond canal noir et étroit fumant fortement,
Des choses effrayantes d’une race huileuse
Allées bordées de vieux murs à moitié recouverts
Le vent descendait les rues connues et inconnues,
Et la faible lueur de la lune projetait un spectral halo
Le long de longues rangées de fenêtres noires et mortes.
Il n’y avait pas de traces de pas, et le seul son léger
Était l’eau huileuse qui s’écoulait
Sous les ponts de pierre, et le long
De ses profond égouts, jusqu’à un vague océan dans le lointain,
Aucune vie pour dire quand ce courant baignait
Cette région de rêves perdus depuis ce monde d’argile.
Craignez les carillons fêlés de saint Toad, je l’ai entendu crier,
Comme je plongeais dans ces folles allées qui se ramifient
En labyrinthes obscurs et indéfinis,
Au sud de la rivière où d’anciens siècles rêvaient,
Il était une furtive figure, pliée et déchirée
Et en un instant décalée hors de la vue
Qui resta pendant que je m’enfouissais dans la nuit,
Vers là où grandissaient ces silhouettes de toits malignes et dentelées.
Pas de manuel pour dire ce qui se tapissait là –
Mais maintenant je pouvais entendre un autre vieil homme crier,
Craignez les carillons fêlés de saint Toad, et devenant faible
Je m’arrêtai quand un troisième vieux croassa effrayé,
Craignez les carillons fêlés de saint Toad ! Atterré, je fuis
Jusqu’à ce que soudain cette flèche noire se fonde dans la nuit.
John Whateley vivait à près d’un mile de la ville,
Là où les collines commençaient à s’accumuler en épaisseur
Nous n’avions jamais pensé que son esprit fût rapide,
Voyant comment il avait laissé sa ferme se ruiner
Il perdait couramment son temps avec de vieux et bizarres livres,
Qu’il avait trouvé parmi son grenier
Jusqu’à ce que d’amusantes lignes se tracent sur son visage
Et les gens disaient qu’ils n’aimaient pas son apparence.
Quand il commença ses cris dans la nuit, nous dîmes
Qu’il eût mieux fallu l’enfermer pour éviter des dégâts,
Donc trois hommes de l’hôpital d’Aylesbury
Vinrent pour lui – mais revinrent seuls et apeurés
Ils l’avaient trouvé parlant à deux choses rampantes,
Qui à leur arrivée s’étaient envolées de leurs grandes ailes noires.
Depuis Leng, où les pics rocheux montaient sombres et nus,
Sous d’obscures et froides étoiles pour le regard humain
Qui éclairaient pendant le crépuscule en simples rayons de lumière,
Dont les rais bleus faisaient pleurnicher les bergers en prière
Ils disaient (comme aucun n’est venu là) que cela venait
D’un phare dans une tour de pierre
Où le dernier Grand Ancien vivait en solitude
Parlant au chaos par des battements de tambour.
La chose, murmuraient-ils, portait un masque de soie,
De jaune, dont les étranges plis semblaient cacher
Une face qui n’était pas de cette terre, telle que personne n’osait demander
Juste ce qu’étaient ses traits, qui déformaient le masque
Beaucoup, dans leur première jeunesse, avaient recherché ce qui brille,
Mais ce qu’ils avaient trouvé, personne ne le saura jamais.
Je ne peux dire pourquoi certaines choses comptent pour moi,
Un sentiment de merveilles insondables qui vont arriver
Ou une cassure dans le mur de l’horizon,
S’ouvrant sur des mondes où seuls les dieux pouvaient être
Il y avait un halètement, un vague espoir,
Comme de vastes et anciennes cérémonies dont je me rappelle à moitié,
Ou de sauvages et incorporelles aventures,
Extase de la peur, comme des rêves libres et éveillés.
C’est dans la lumière solaire sur d’étranges flèches citadines,
De vieux villages et forêts et chutes mythiques
Vents du sud, la mer, petites collines, et villes éclairées,
Vieux jardins, chansons à moitié entendues, et les lueurs de la lune,
Mais tous ne sont que vagues souvenirs solitaires et sans vie
Nulle récompense ou énigme qui ne s’y cache à donner ou à expliquer.
Une fois chaque année, pendant les mélancoliques lueurs d’automne,
Les oiseaux traversent un océan perdu
Appelant et bavardant en une joyeuse hâte,
Pour rejoindre quelque terre que leur mémoire profonde connaissait.
De grands jardins en terrasse où des fleurs lumineuses s’épanouissent,
Et des allées de manguiers succulents au goûter
Et des temples recouverts de branches entrelacées,
Au travers de frais chemins – que leurs vagues rêves leurs montraient.
Ils recherchaient en mer des traces de leurs anciens rivages,
Pour la grande cité, blanche et ornée de tourelles
Mais seulement de vides étendues d’eau s’étendaient par là,
Et donc en fin de course, ils rebroussaient chemin encore une fois.
Entre de creuses profondeurs d’où les polypes extraterrestres pullulaient,
Les anciennes tours retenaient leur seule et ancienne chanson.
Je ne pourrais jamais être lié aux nouvelles et primales choses,
Pour la première fois je vis la lumière en une vieille ville
Depuis ma fenêtre les toits blottis descendaient
Vers un port pittoresque riche en belles images
Des rues aux portes sculptées où le soleil rayonnait,
Inondant les vasistas et les fenêtres à petits carreaux
Et les clochers géorgiens surmontés d’ailettes dorées,
C’est là les images qui ont formé mes rêves d’enfance.
De tels trésors, épargnés du temps
Ne peuvent prendre la main sur de si légers spectres,
Ceux-ci virevoltent avec les voies changeantes et les confessions confuses,
Au travers des murs inchangés de la terre et du paradis,
Ils coupèrent les brides du moment et me laissèrent libre
De rester debout seul devant l’éternité.
Il a été vieux quand Babylone était neuve,
Personne ne sait combien de temps il dormit sous ce monticule
Où à la fin nos pelles en recherche le trouvèrent,
Bloc de granite que nous ramenions à la vue
Il y avait là de vastes pavements et des murs de fondation,
Et des dalles en ruine et des statues sculptées montrant
La fantastique essence de ce lointain
Passé que rien d’humain n’avait pu connaître.
Et alors nous vîmes ces escaliers de pierre descendant,
Sous un porche étouffant de dolomite gravée,
Vers de sombres havres de nuit éternelle,
Où d’anciens signes et secrets primordiaux dormaient là,
Nous avions nettoyé un passage – mais courûmes en une folle retraite
Quand depuis en dessous nous entendîmes des cohortes de pas.
Sa chair solide n’avait jamais été loin,
À chaque aube le trouvant à sa place habituelle
Mais chaque nuit son esprit aimait à courir
Au travers des golfes et mondes différents des nôtres,
Il avait vu Yaddith, encore fraîche en sa mémoire
Et était revenu sauf de la zone ghorique.
Quand il passa la nuit au travers des espaces courbes qui arrivaient
En vastes boucles depuis les vides derrière.
Il s’est réveillé ce matin, comme un vieil homme
Et plus rien ne lui a semblé pareil
Les objets alentours flottaient nébuleux et troubles –
Faux, fantomatiques bagatelles de quelque vaste plan,
Ses amis et gens étaient maintenant une foule extraterrestre
À laquelle il se défendit vainement d’appartenir.
Par-delà les vieux toits et les clochers aux flèches décaties,
Les sirènes du port chantaient tout au long de la nuit
Les gorges d’étranges ports et les plages lointaines et blanches,
Et les fabuleux océans en variantes chorales bigarrées
Chacune aux autres extraterrestres et inconnues,
Pourtant toutes par une force obscure portée,
Depuis des golfes couverts plus lointains que la course du Zodiaque,
Fondues en un seul et mystérieux choral.
Au travers de rêves assombris ils traçaient une longue ligne,
Où restaient les plus sombres formes et cachées les plus étonnantes vues,
Échos des vides du dehors, et indices subtils
De choses qui ne pouvaient elles-mêmes se définir,
Et toujours dans ces chorales, faiblement propagées
Nous pouvions discerner des notes que jamais un vaisseau terrestre n’aurait envoyées.
La voie conduisait en bas d’une lande à moitié couverte de forêt,
Où des rochers couverts de mousse grise formaient de curieuses bosses
Et de curieuses coulées, inquiétantes et froides,
Dispersées dans les invisibles courants des golfes en dessous,
Il n’y avait pas de vent, ni aucune trace de bruit,
Dans ces arbustes curieux et ces arbres exotiques
Ni aucune vue arrière – quand soudain
Derrière ma voie, je vis un monstrueux monticule.
Jusqu’à la moitié du ciel ses faces raides et escarpées
Gazonnées et encombrées par une volée s’effritant,
D’escaliers de lave qui atteignaient de terrifiantes hauteurs
En marches bien trop hautes pour un pas humain,
Je criai – et sus quelle primordiale étoile
M’avait attiré en ces lieux depuis la sphère humaine que j’habitais.
Je la vis de cette place silencieuse et cachée,
Où le vieux bois fermait à moitié la prairie,
Elle montrait toute la gloire de la lumière solaire, mince
Au début, mais avec un visage s’éclaircissant lentement,
La nuit vint, et que ce seul phare ambré
Battit à mes yeux comme jamais il ne le fit,
L’étoile du soir – mais mille fois grossie
Plus obsédante en ce silence et en cette solitude.
Elle traçait d’étranges dessins dans l’air frissonnant,
Souvenirs à demi oubliés qui avaient toujours remplis mes yeux
Vastes tours et jardins, curieuses mers et cieux
De quelque trouble vie – je ne pus jamais dire d’où,
Mais maintenant je savais que cela traversait le dôme cosmique de l’espace
Ces rayons qui me rappelaient à mon lointain et perdu foyer.
Il y avait en certaines anciennes choses des traces,
De quelque trouble essence – plus que la forme ou le poids,
Un tenu éther, indéterminable,
Encore lié à toutes les lois du temps et de l’espace,
Un faible voile signe de continuité,
Que des yeux extérieurs ne pourraient jamais clairement décrire,
De dimensions interdites hébergeant les années écoulées
Et interdites d’accès sauf aux rêveries cachées.
Je fus le plus secoué quand les obliques lueurs du soleil s’arrêtèrent,
Sur de vieux bâtiments de ferme calés contre une colline
Et peints de formes de vie qui perdurent encore,
Pour des siècles de rêves de plus que nous n’en connaissons,
En cette lumière étrange je me sens si proche
De ces instables masses que sont les âges.
Les deux chapitres intitulés respectivement Nyarlathotep et Azathot font référence à deux créatures du mythe de Cthulhu initié par Lovecraft (même s’il n’avait sans doute pas l’intention de créer un mythe à part entière), le premier étant le messager des Grands Anciens des divinités qui possédaient jadis la Terre avant l’arrivée de l’homme, et le deuxième est le chaos idiot un dieu démoniaque vivant dans le vide du cosmos entouré de ses nuées de démons.
Un autre passage (l’ancien phare) fait référence à un autre Grand Ancien qui vit reclus sur le plateau de Leng, est-ce une créature ou une divinité mineure, impossible de le savoir avec précision…
(Wikisource)
J’espère que vous aurez pris plaisir à découvrir ou redécouvrir l’univers de HP Lovecraft. Si une autre traduction vous intéresse, il en existe une dans l’intégrale Lovecraft dans la collection Bouquins aux éditions Robert Laffont.
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Juillet 2011
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– Traduction :
Benoît Vézinaud – bvezinaud@hotmail. com
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