BUFFALO BILL

LA COURSE À LA MORT

à travers les Campements ennemis

Fascicule n° 1

1906-08

Ebooks libres et gratuits

 

 


Table des matières

 

Un jeune héros. 3

L’enlèvement de la Fiancée. 17

À la vie, à la mort ! 36

Au Poteau du Supplice. 57

Pour l’Honneur et la Vie. 70

Bill Cody arrive à ses fins. 97

À propos de cette édition électronique. 118

 

Un jeune héros.

C’était dans l’Amérique du Nord, au commencement de la guerre civile.

La garnison du fort Hayes, dans le Kansas, était sous les armes.

Le Général Custer, un des plus fameux chefs des États-Unis, se tenait devant le front du vaillant septième régiment du Kansas, qui formait la garnison du fort. Il promenait son regard scrutateur et perçant sur ces longues files d’hommes dans leur simple uniforme de drap bleu.

Il prit la parole : — Jennison-Jayhawkers ! dit-il en les appelant du surnom célèbre dont le régiment était glorieux. Depuis huit jours j’attends en vain d’importantes dépêches du Général Smith qui commande au fort Leawenworth. Elles ne me parviennent pas. Toutes nos communications sont coupées. Nos vivres peuvent durer encore une demi-semaine, tout au plus. D’ici au fort Larned, le plus proche, où est le Général Sturgis, il y a soixante milles environ, et de là à Leawenworth à peu près autant. Celui qui tenterait de faire ce chemin irait droit à la mort. Je ne donnerais pas un sou de ses chances de vie. Eh bien ! il n’en faut pas moins nous débloquer. Il nous faut des vivres. Contre les forces supérieures de l’ennemi, à peine pouvons-nous tenir encore quelques jours. Qui parmi vous, Camarades, risquera sa vie pour le salut de tous ?… Les volontaires, en avant !

Raide et muet, le régiment avait écouté le discours du Général.

Mais à ce moment un frémissement le parcourut, semblable au frisson qui, à l’approche de l’orage, passe sur les tiges d’un champ de blé.

En quelques secondes, cédant à cette ardeur exaltée qui nargue la mort, la moitié des hommes fut hors des rangs.

Un sourire d’orgueil éclaira la physionomie martiale du Général.

— Merci, Camarades ! reprit-il ; je n’attendais pas autre chose de vous. Mais j’ai besoin d’un homme qui connaisse assez le pays et qui soit assez familier avec les pratiques des Indiens, pour pouvoir glisser au milieu d’eux sans être pris. S’il en est un parmi vous qui ait l’œil du faucon et dont la carabine ne manque jamais son coup, que celui-là s’avance !

Silence partout !

Déconcertés, les soldats l’un après l’autre rentrèrent dans le rang. Aucun ne se sentait à la hauteur des exigences du chef.

À la fin, il ne resta plus devant le Général qu’un tout jeune homme. À peine sorti de l’enfance, il était grand, robuste et bien proportionné, les épaules larges, la poitrine puissamment développée. Son visage était beau, avec des yeux d’un brun clair, une bouche énergique et d’un dessin pur, un nez d’aigle, et des cheveux blonds qui tombaient jusque sur les épaules.

Très surpris, le Général dévisagea le jouvenceau.

Celui-ci soutint sans sourciller ce regard qui lui pénétrait jusqu’à l’âme.

— William Cody, qu’est-ce qui vous prend ? dit enfin le Général. Croyez-vous pouvoir escamoter de cette manière la permission que j’ai dû vous refuser l’autre semaine, après l’arrivée du dernier courrier ? Certes, je suis touché de votre ardeur filiale à vous rendre auprès de votre mère mourante, sans souci des ennemis féroces dont le pays est infesté. Mais aujourd’hui comme l’autre jour, j’ai le devoir de résister à votre prière. Ce que je réclame, c’est un homme fait, habile et réfléchi, non pas un jouvenceau, plein de feu, mais sans expérience.

À ces rudes paroles, le visage du jeune homme se teignit de pourpre. Mais ses traits restèrent immobiles, comme sculptés dans l’airain. À peine ses yeux eurent-ils un éclair trahissant la passion contenue.

— Je suis encore jeune, Général. Mais j’ai grandi dans ce pays. À cent milles à la ronde il n’est pas large comme mon pied de terrain que je ne connaisse. À peine âgé de neuf ans, je dus, pour défendre ma vie, descendre mon premier Peau-Rouge. Depuis combien en ai-je envoyé dans les territoires de chasse des bienheureux !

Ses paroles résonnaient, pleines et profondes. Ses lèvres frémissaient d’orgueil.

Hésitant encore, le Général continuait de regarder le hardi garçon.

Il ne lui avait pas encore répondu, lorsque survint un homme de haute stature, extraordinairement taillé en force et qui, des pieds à la tête, était vêtu de cuir.

Ses cheveux d’un roux sombre pendaient en boucles sur son cou. Il portait toute sa barbe. Ses yeux clairs et lumineux lançaient des regards perçants. Mais il avait un bras en écharpe ; il traînait la jambe gauche et une bande de linge sanglante lui entourait le front.

D’un geste paternel il posa sa main saine sur l’épaule du jeune homme, près de qui il s’était arrêté.

— Je réponds de lui ! dit-il d’une voix profonde. Si ma dernière sortie aux renseignements n’avait pas fait de moi un estropié, je n’aurais laissé à personne l’honneur de faire la nique aux Peaux-Rouges. Mais ma carabine est trop lourde pour moi. Quant à lui, un enfant par les années, mais un héros par l’audace et la vaillance ! Plus malin que le plus rusé Peau-Rouge ! Sa carabine ne manque jamais le but. Si quelqu’un peut s’en tirer, c’est Bill Cody !

Le jeune homme, ainsi loué, rougit encore une fois, mais de plaisir.

D’ailleurs il se tenait toujours droit et fixe devant le Général. Celui-ci le considérait maintenant sous un tout autre jour.

— Votre recommandation est d’un grand poids, California Joe, dit Custer en s’adressant au nouveau-venu, qui était déjà un des éclaireurs les plus fameux des États-Unis et qui devait par la suite acquérir encore plus de renom. Vous répondez du jeune homme, réellement ?

— Comme de moi-même ! répondit le colosse avec un énergique signe de tête. Son père était un brave ; il tenait pour le Nord. Aussi les guérillas l’ont tué. J’étais là quand ce jeune homme a juré de venger ce meurtre dans le sang.

— Et je tiendrai mon serment ! interrompit Bill tandis que son visage devenait sombre et qu’une douleur poignante contractait ses traits. Ce Charles Dunn et son capitaine, ce gueux de Jesse James, peuvent se garder ! L’heure du règlement de compte approche.

— Parles-tu du redouté bandit qu’on appelle Jesse James ? fit le Général. Le Ciel t’évite une rencontre avec lui ! C’est California Joe qui m’en a informé, il rôde avec une forte bande autour de Leawenworth, promenant partout le ravage et les plus hideux forfaits.

— Ah ! si je l’avais en face ! – Cette exclamation toute chaude de haine généreuse, échappa aux lèvres du jeune homme. Il reprit : — Dois-je monter à cheval, Général ?

— Oui, mon jeune ami, tu vas monter à cheval ! répondit Custer. Que le Ciel te protège !

— Je vous remercie, Général, dit le jeune garçon simplement. Avec votre permission, j’irai aussi voir ma mère. Je serai de retour dans trois jours au plus tard.

— Tenez bien votre chapeau, jeune homme, fit le Général, levant un doigt en un geste d’avertissement. Il y va de votre scalpe, cheveux et peau !

— Bah ! Ce serait dommage de le voir orner la ceinture d’un Peau-Rouge, déclara William Cody en riant d’un air d’insouciante bonne humeur. Je ne crains pas ces diables-là. Et puis les malices des guérillas, ça me connaît. Donnez-moi seulement la meilleure mule du fort. Une fois sur son dos, ces démons ne m’en descendront pas.

Une demi-heure après, notre jeune ami était déjà en route dans le silence de la forêt vierge.

À des centaines de milles tout autour de lui s’étendaient les bois et la prairie.

Se rapetissant sur sa selle pour mieux passer parmi les lianes et les branches, Bill dirigeait avec confiance sa mule gris souris, au harnachement sombre, qu’aucun point brillant ne trahissait de loin, à travers le désert infrayé. Une route seule traversait le pays à cette époque ; mais il ne voulait pas s’y risquer.

Avant de partir, il avait changé son uniforme contre des vêtements de cuir. Il portait, cousues dans le collet de sa veste, d’importantes dépêches que le Général lui avait confiées. Dans sa ceinture étaient passés un bowie-knife et un revolver. Une carabine à double canon reposait toute chargée devant lui, en travers de sa selle.

Il allait, sans s’inquiéter de la route. Mais son œil de faucon planait sur tout, et sa fine oreille percevait tous les bruits, même les plus légers.

Le jour était tombé depuis longtemps ; les lueurs rouges du soleil couchant s’éteignaient ; la lune dans son plein se balançait au ciel, et sa pâle lumière étendait dans la forêt une crépusculaire clarté.

Des rochers à pic se dressaient des deux côtés du ravin de plus en plus resserré, où s’était engagé Bill Cody. Il marchait maintenant dans le lit desséché d’un torrent. Au-dessus de lui pendait la chevelure broussailleuse des sapins, dont les branches, avec des gestes de fantôme, frôlaient le cavalier.

Il y avait des heures que Bill chevauchait.

À son estime, il avait déjà fait une quarantaine de milles.

Si la chance lui restait fidèle, il atteindrait bientôt le fort Larned.

Tous ses sens étaient tendus, épiant la moindre possibilité de danger. Mais tout son cœur était là-bas, chez lui.

Sa mère vivait-elle encore ? sa mère, tout ce qu’il possédait de cher en ce monde !

Quelle affreuse semaine il avait passé, depuis le dernier courrier qui était parvenu au fort, maintenant isolé du monde, et qui lui avait apporté une lettre où sa sœur l’informait de la grave maladie de leur mère et de son désir de le voir encore une fois !

Holà ! trêve aux pensées !… Qu’est-ce que c’est que ça ?…

Depuis un moment déjà Bill considérait avec méfiance la masse abrupte d’un rocher qui se dressait directement devant lui dans le fond du ravin.

Tout à coup un point noir se montra sur la crête du roc, pour disparaître aussitôt.

Les Indiens !

Aussitôt le jeune homme distingua un filet de fumée, fin comme un cheveu, qui raya, l’espace d’un clin d’œil, le disque argenté de la lune, et qui venait de derrière les roches.

Bill comprit qu’il était tombé dans un piège. Il y avait derrière lui des Peaux-Rouges aux aguets, et leurs éclaireurs d’avant-garde venaient, avec cette fumée, de leur donner le signal convenu.

Il continua de s’avancer avec le même air d’insouciance, comme s’il n’avait surpris aucun indice de danger.

Mais dès qu’il fut arrivé à une portée de fusil des rochers, il enfonça brusquement ses éperons dans les flancs de sa mule, et la jetant violemment de côté, il la lança à toute bride droit devant lui.

Il put voir alors sur le rocher deux Indiens en grand costume de guerre. En même temps retentissait derrière Bill passant comme une tempête, le cri de guerre des Sioux. Les coquins avaient tendu là une embuscade, pour couper le chemin à tout messager qui irait au fort, ou qui en viendrait.

En moins d’une seconde, Bill avait jugé la situation.

Les deux Peaux-Rouges en avant de lui sur le rocher n’étaient pas montés. Il n’avait pas à les redouter. Mais quel danger n’était-ce point d’avoir dans le dos une bande d’Indiens accourant sur des chevaux rapides ! Leur chef particulièrement, comme le reconnut Bill en tournant la tête, montait un cheval vite comme une flèche.

Au moment où il enlevait vigoureusement sa mule, une véritable flèche lui siffla aux oreilles. Il s’en fallut de l’épaisseur d’un cheveu qu’elle lui frappât la tête. Si cet Indien parvenait à en lancer une seconde, c’en était fait de Bill, car il était bon tireur.

Bill tourna encore une fois la tête, et il vit l’Indien, si près qu’il touchait presque la queue de sa mule, tendant de nouveau son arc.

Prompt comme le vent, Bill leva sa carabine. La détonation retentit dans l’instant même où la flèche allait partir.

Elle retomba, inerte. Le Sioux chancela sur sa selle ; ses bras battirent l’air, et presque aussitôt le cheval sans cavalier, continuant sa course, passa près de Bill Cody.

Au vol, une poigne de fer saisit la bride et arrêta la bête en plein galop.

Elle se cabre et rue furieusement ; mais le moment d’après, avec une souplesse de serpent, Bill a sauté sur le dos du noble coursier, et il lui met les éperons au ventre. Il file comme un vent d’orage, sort du ravin et galope dans la vaste plaine.

Une heure après, Bill avait atteint sans autre encombre le fort Larned, où son arrivée fit sensation.

Officiers et soldats se groupèrent en cercle autour de lui. N’en croyant pas leurs yeux, ils considéraient ce jeune garçon qui, avec l’audace d’un risque-tout, venait de réussir dans une tentative qui, ces derniers jours, avait causé la mort de plusieurs hommes de cœur.

Mais la stupéfaction se changea en effroi lorsque Bill demanda un cheval frais.

Il voulait repartir immédiatement.

— Cela ne se peut absolument pas, déclara le Général Sturgis, devant qui l’on avait conduit le jeune homme. Tenter une telle aventure, c’est courir au devant d’une mort certaine. Des centaines de Sioux tiennent toute la route d’ici à Leawenworth. Jesse James et sa horde y promènent leurs sanglantes horreurs. Toutes les fermes isolées ont été brûlées, les hommes tués, les femmes et les filles violées et emmenées en esclavage.

— Cependant il faut que je passe, reprit Bill avec simplicité. C’est l’ordre du Général Custer. J’exécuterai l’ordre, ou j’y trouverai la mort ; mais rien ne m’arrêtera !

— Pas même ma défense ? demanda le Général, le regard sévère.

— Pas même votre ordre, mon Général, répliqua Bill sans hésiter. J’obéis à une loi non écrite, qui est au-dessus de tous les règlements des hommes : ma mère m’appelle et désire me voir ! J’irai à elle, devrais-je traverser tous les épouvantements de l’Enfer !

Les traits fatigués du Général eurent un tressaillement d’émotion, vite réprimée.

— Eh bien ! va donc, tête folle ! dit-il en grommelant. Tu es jeune et de sang chaud ; garde-toi bien, mon brave !

Dix minutes après, Bill Cody était de nouveau en selle et reprenait sa route.

Au fort Larned, on l’avait averti du danger de traverser le gué qu’il trouverait à quelques milles de là. Quelques jours auparavant un éclaireur, qui s’y était aventuré, s’était noyé.

Bill connaissait parfaitement cette rivière impétueuse. Mais il n’y avait pas, sur un parcours de plusieurs milles, d’autre endroit où l’on pût la franchir. Il connaissait même, dans le voisinage du gué, une caverne cachée parmi des rochers, qui communiquait par un passage souterrain naturel avec la rive du Missouri.

Bien peu de gens savaient l’existence de cette caverne. Personne, peut-être ! Bill avait découvert ce secret par hasard, un jour qu’il poursuivait un ours.

Il pensa qu’au pis aller il s’y réfugierait, s’il avait encore des ennemis sur ses talons de ce côté-ci du gué.

Autour de lui, c’était la nuit opaque et profonde. Pas un bruit, pas une lueur ; la lune même avait disparue du ciel ; seule, l’eau murmurait en suivant son cours.

Bill se risqua ; il fit entrer son cheval dans la rivière.

Les sabots de l’animal s’enfoncèrent dans l’eau invisible. Clapotant doucement, elle monta peu à peu jusqu’au-dessus de sa croupe. Bill finit par en avoir jusqu’à la poitrine.

Le cheval ronflait sourdement, comme oppressé par une angoisse.

Enfin les sabots ferrés sonnèrent de nouveau contre les pierres. Le niveau de l’eau baissa. Le courant ne se fit plus sentir. On avait atteint l’autre rive.

Bill retint son cheval de la bride, pour écouter dans la nuit.

Mais au même moment il sentit quelque chose de glacé qui lui touchait le front, et une voix rude et menaçante, quoique étouffée, gronda :

— Les mains en l’air !

Même à cette distance, Bill ne voyait rien. Mais il comprit qu’on lui appliquait sur la tempe le canon d’un revolver. Puis il distingua confusément une face sauvage et barbue dont le possesseur était juché sur un mulet, et il ne put retenir ce cri :

— Charles Dunn !

En même temps un frisson lui courait partout. Il venait de reconnaître l’homme au pouvoir de qui il était si inopinément tombé. Ce Charles Dunn était l’assassin de son père.

Encore enfant, Bill avait dû être le témoin impuissant de la façon dont, sur l’ordre du féroce Jesse James, suivi d’une bande de canailles en furie, Charles Dunn avait abattu d’une balle son père bien aimé.

C’est alors que le faible enfant avait juré de venger la mort de ce père chéri sur l’ignoble meurtrier et sur son capitaine. Hélas ! voilà qu’il se trouvait lui-même au pouvoir du coquin !

L’homme barbu fut étonné d’entendre son nom sortir des lèvres de son prisonnier.

— Messager du fort, sans doute… porteur de dépêches, hein ? fit-il en ricanant. Et il se mit en devoir d’enlever à Bill ses armes ; il lui arracha des hanches sa ceinture, avec le coutelas et le revolver qu’elle portait.

Bill tenait toujours les mains en l’air, au-dessus de sa tête ; mais avec d’infinies précautions, il avait retiré ses pieds de leurs étriers de cuir.

Tout à coup, il appliqua à son cheval un terrible coup d’éperon.

L’animal, hennissant de douleur, se cabra tout droit, et Bill se jetant résolument de côté, le canon du revolver glissa sur sa tête. Le coup retentit en même temps, mais la balle inoffensive passa à travers les boucles de ses cheveux.

Plus rapide que la pensée, Bill avait ramassé sous lui sa monture, et la lançant de toute sa puissance, il heurta dans son élan le bandit, qui roula à terre, plus surpris qu’il ne l’avait jamais été.

Une imprécation sauvage, des dents qui grincent, un hurlement de douleur… et Bill est loin sur la rive du fleuve.

Cependant la forêt redevient vivante. Elle résonne de cris farouches. Les branches craquent et se brisent, piétinées et soulevées par la course impétueuse des chevaux.

— Halte, ou nous tirons !

Des lumières trouent l’obscurité çà et là sur la rive.

L’œil perçant de Bill peut distinguer ceux qui le poursuivent. Il est sûr que ce sont des guérillas de Jesse James, qui étaient en embuscade auprès du gué.

Pif ! paf ! Les balles sifflent aux oreilles du jeune homme.

Il a vite pris sa résolution.

Il ne peut venir à la pensée d’aucun de ceux qui le poursuivent qu’il ose se risquer en aval dans les rapides, où des tourbillons bouillonnants entraîneraient le téméraire, on peut le dire, dans les bras de la mort.

Mais Bill connaissait la double ligne de bas fonds qui coupent le lit du cours d’eau en y formant un petit canal tranquille. Il savait que ce canal aboutissait à la caverne, et il espérait s’y réfugier, s’il avait la chance d’en trouver l’ouverture sous l’eau qui la couvrait.

Il mit donc son cheval dans le courant.

La forêt devenait de plus en plus bruyante.

Sur l’autre rive, des ennemis aussi étaient en mouvement.

Bill ne pouvait plus en douter, il était entouré de toutes parts.

De tous côtés retentissement des cris impatients, auxquels se mêlait le crépitement des coups de feu.

La vive lumière qui s’échappait des lanternes sourdes glissait parfois sur l’eau d’un noir d’encre, dont on entendait le clapotis ininterrompu.

Le cheval hennit, inquiet. À peine pouvait-il encore, par des efforts désespérés, résister au courant, dont la violence croissait à chaque pas.

Tout près déjà mugissaient les rapides, jetant dans la nuit un effrayant chant de mort.

Bill ne se tenait plus que très légèrement en selle, prêt à abandonner son cheval dès que celui-ci, à bout de forces, se laisserait couler dans les eaux grondantes.

Des deux côtés de la rivière, les ennemis avaient parfaitement remarqué le hennissement et la respiration ronflante de l’animal en détresse.

Comme leurs lanternes ne portaient pas assez loin pour percer l’opacité des ténèbres sur cette large nappe d’eau, ils tirèrent au juger, dans la direction d’où venait le hennissement.

Et ils tirèrent bien.

Un grand frisson parcourut le corps du cheval. Il se dressa tout droit, et d’un coup s’écroula dans les vagues qui l’emportèrent en leur tourbillon.

Bill n’eut que juste le temps de s’accrocher aux branches d’un arbre qui s’allongeaient au-dessus de l’eau et qui venaient de lui fouetter le visage.

L’enlèvement de la Fiancée.

Sous lui l’eau bouillonnante, autour de lui les ténèbres impénétrables, l’écho de la fusillade et des cris sinistres des ennemis à sa poursuite, Bill se cramponnait des deux mains à la branche, réduit, semblait-il, à la dernière extrémité.

Le froid de la rivière ne tarda pas à lui faire perdre la conscience de lui-même.

Les yeux fermés, il se laissait lentement enfoncer dans l’eau qui mugissait autour de son jeune corps.

Bientôt des bourdonnements sourds emplirent ses oreilles. Une fatigue mortelle l’envahit.

Bientôt encore ses doigts las menacèrent de lâcher la branche glissante. Alors il lui sembla que, de très loin, une voix aimée et familière l’appelait, et qu’au milieu de l’horrible désert plein de toutes les épouvantes de la mort, il voyait les yeux de sa mère,… comme si la pauvre femme ne pouvait pas mourir sans l’avoir embrassé et béni encore une fois avant l’éternel départ.

C’est sa mère qui l’appelle ! Il faut qu’il aille… quand même l’enfer enverrait contre lui tous ses épouvantements, il faut qu’il aille à sa mère !

À cette pensée, Bill reprend toute son énergie. Un sentiment de vigueur nouvelle monte en lui et le grise comme un vin généreux. Son intelligence travaille fiévreusement, avec une lucidité double, et rapidement le jeune homme décide ce qu’il doit faire.

L’arbre vers la branche duquel un hasard charitable avait dirigé Bill, était l’unique saule de tous les environs, et en se rappelant ce détail, Bill se rappela aussi qu’au-dessous des racines de ce saule géant béait le trou profond et large qui communiquait avec la caverne des rochers. C’était le chemin le plus dangereux, mais aussi le plus court, pour y arriver, et c’était ce trou qu’il avait à franchir.

Bill lâcha prise d’une main. Il ne se tenait plus que de la main gauche à la branche, qu’il attirait complètement dans l’eau.

Sans s’émouvoir de la fusillade de ses ennemis qui étaient là tout près, Bill imprima à son corps, du mieux qu’il put, un mouvement de balancement, et, de la main droite, il tâta sous l’eau pour rencontrer l’ouverture de l’excavation.

Deux fois, trois fois il chercha en vain. Puis il eut une grande joie. Sa mémoire l’avait conduit comme un guide fidèle ; le trou était là, en forme de voûte, et tout plein d’eau.

Le traverser à la nage était une entreprise périlleuse. Sur cent, pas un peut-être n’en fût sorti vivant.

Mais il n’en serait pas de même de Bill ! Sans hésiter, il se laissa complètement glisser sous l’eau et plongea dans la profondeur du trou.

Froide comme de la glace était cette eau ! Sans fin, la distance que le téméraire garçon avait à franchir !

La respiration commençait à lui manquer. Ses esprits menaçaient de l’abandonner. Bientôt dans les oreilles du plongeur qui buvait de plus en plus, tinta, comme un glas de cloches funèbres. Ses mouvements devinrent mal assurés, convulsifs, désordonnés.

Allons ! un dernier et terrible effort.

L’instant d’après, exténué, un tremblement secouant tous ses membres, Bill se trouva accroupi sur le roc dur et glissant, respirant l’air de cette cave avec une satisfaction indicible, si lourd et si vicié qu’il fût.

Mais notre jeune héros ne voulut pas se reposer longtemps. Sur les mains et sur les pieds, il se mit à gravir une pente très rapide qui menait, jusqu’au haut de la caverne, à une place où, par un étrange caprice, la Nature avait pratiqué une ouverture dans la masse rocheuse, sorte de chemin suivant la voûte et qui faisait comme un conduit par où venait l’air extérieur.

Parfois, pendant sa montée à quatre pattes, de minces filets d’eau se pulvérisaient en tombant sur lui d’en haut. Il rencontrait çà et là des sources jaillies du rocher, qui s’enfuyaient vers les profondeurs. Le bruit qu’elles faisaient, résonnant dans cette solitude souterraine, était doublement sinistre. Il s’amplifiait en tonnerre et, par moments, étouffait tous les autres sons.

De grosses gouttes de sueur coulaient sur le front de Bill. Ses vêtements de cuir lui collaient au corps et alourdissaient chacun de ses mouvements.

Mais sa volonté inflexible surmontait toutes les fatigues.

Chose étrange ! Plus il grimpait haut, moins il semblait à Bill qu’il se rapprochât du jour, comme si la caverne eût été au centre d’une montagne et qu’aucun rayon de lumière du dehors n’eût pu l’éclairer. En même temps, une fumée sèche, avec une odeur de brûlé, embarrassait sa respiration. Plus il avançait, plus cette fumée devenait épaisse.

Soudain le jeune homme fut comme frappé d’une commotion électrique.

Il s’arrêta et retenant son souffle, écouta.

À travers le grondement de l’eau qui se précipite, il saisit l’écho de voix humaines.

Ainsi il se trouvait des hommes dans cette caverne, dont il croyait être seul à connaître l’existence !

Cette découverte remplit Bill d’effroi, car ceux qui étaient là autour de lui, ne pouvaient être que des ennemis.

La voie de salut qu’il avait tant cherchée conduisait à cette caverne… et voilà que, dans cette caverne, il y avait des ennemis… Alors, que faire ?

Redoublant de précautions, unissant la souplesse du tigre à l’adroite agilité de la panthère, Bill se remit à ramper en avant.

Plus loin dans les terres, la caverne se perdait en un chaos de roches renversées les unes sur les autres et couvrant un très vaste espace. Il avait fallu un hasard extraordinaire pour que Bill découvrît un jour la seconde entrée, jalousement cachée à tout œil mortel, et par laquelle il venait de pénétrer. Quant à l’autre entrée, la vraie, il n’y avait qu’un initié qui pût la trouver.

Très étonné, Bill se demandait, tout en grimpant sans relâche, comment on avait pu connaître le secret de l’existence de cette caverne.

Mais ce n’était pas le moment de musarder à réfléchir. C’est de l’action qu’il fallait.

Bill était enfin parvenu tout au haut de la caverne proprement dite. L’orifice supérieur de ce conduit d’air, qu’il venait de suivre de bout en bout, était à peine large comme un tuyau de cheminée. Il baignait complètement dans la nuit.

Dans la caverne même brûlaient des torches, et une fumée âcre et sentant de brûlé, qui faisait monter des larmes aux yeux de Bill, remplissait la vaste salle.

Il lui fallut plusieurs secondes, pour discerner quelque chose dans cette ombre opaque.

Mais bientôt il blêmit et s’absorba dans la contemplation d’un groupe d’hommes assis autour d’un feu, et s’offrant à sa vue au premier plan.

Compagnie bruyante d’aventuriers farouches et résolus ! L’un d’eux, plus grand et plus imposant que les autres, avait le visage mâle et hardi, une barbe noire comme le charbon et des yeux scrutateurs et pleins d’éclairs. C’était le chef.

Bill sut par les battements de son cœur que celui qu’il avait sous les yeux était Jesse James lui-même.

Ainsi il était tout près, à portée de la main, pour ainsi dire, du chef de bande tristement fameux qui s’était attaché aux intérêts du Sud et qui avait mis à mort avec une cruauté diabolique tant de partisans des États du Nord, combattant pour la liberté des esclaves ! Le jeune homme se sentit alors le sein percé d’une douleur aiguë à la pensée qu’il avait perdu ses armes.

Ah ! que n’avait-il sa carabine en main ! Certes, ce misérable altéré de sang aurait exhalé là son dernier souffle. Mais dans sa situation présente, Bill n’avait rien autre chose à faire que se taire et se dissimuler.

Par bonheur aucun de ces hommes n’avait éventé son voisinage. Le bruit qu’il avait pu faire s’était perdu dans le vacarme qui emplissait la caverne.

Une grande agitation régnait dans le groupe. Quelques-uns causaient, accroupis sur le sol, et s’adressaient avec animation au chef qui se tenait debout, appuyé sur sa carabine. À ce moment survint un autre associé de cette bande de voleurs.

Le regard attentif de Bill le vit émerger des profondeurs de la nuit où se perdait l’entrée de la caverne, du côté opposé à celui où il était. L’homme se dirigea rapidement vers le chef.

Dès les premiers mots, Bill, qui écoutait en retenant son souffle, put comprendre que la conversation que ces hommes surexcités entretenaient autour du feu avait précisément sa personne pour objet.

— Êtes-vous un suppôt du Diable ? s’écria Jesse James d’une voix claire et pénétrante, et d’un ton irrité. Cet individu a disparu comme une ombre, à votre nez, dites-vous ?

Avec un geste furieux, il se redressa et tapa du pied.

— Précisément, répondit le nouveau venu. Sous la gueule du pistolet, il m’a plaqué là… et puis, à l’eau ! Galoper sous-bois ou en plein courant, c’était la même chose pour lui. Nos braves compagnons s’étaient postés au bas de la chute, pour le recevoir tout chaud, s’il passait à travers les bouillons de cet entonnoir… mais il n’est venu qu’une carcasse de cheval noyé… De lui, pas la moindre trace !

Jesse James était dans une colère terrible. Sa puissante charpente était toute secouée par la rage, et ses yeux lançaient des éclairs sinistres.

Il reprit, brandissant ses poings fermes :

— Vingt hommes, et plus !… Et ils n’ont pas pu le prendre vivant ! – Il y avait de l’ironie dans sa colère. – Et son nom, tu le connais, au moins, Dunn ? Par l’enfer, déballe tes paroles !… Qui était-ce ?

— Sais pas, répondit-il d’un air maussade. On ferait mieux de me panser le bras. Sa rosse m’a donné un coup de pied sur l’os. Ça me brûle comme le feu de l’enfer.

Quelques-uns de ses camarades s’empressèrent autour de lui.

Le capitaine fit un signe aux autres et dit rudement :

— Prenez les torches ! Il faut vérifier tout cela. Nous trouverons ou le cadavre de l’espion, ou l’espion lui-même. Puisqu’il est vrai que jusqu’ici nous n’avons pas laissé passer un seul messager, il est bien certain que ce gaillard aussi doit tomber entre nos mains.

Prêt à partir, James revint dans le cercle de lumière de feu.

— Donc tu n’es bon à rien, Dunn ! Alors, tu surveilleras la fille, fit-il d’une voix impérieuse en indiquant de la main un côté de la caverne. Sur ta tête tu me réponds de la donzelle !… Et quant à nous, les hommes, nous allons donner la chasse à l’espion. S’il vit encore et qu’il n’ait pas fait un pacte avec le Diable, nous le prendrons sûrement.

Instinctivement, le regard de Bill avait suivi le mouvement de la main du capitaine.

On avait parlé d’une jeune fille. Quel sort épouvantable pour une jeune fille faible et sans défense, que d’être tombée aux mains d’un Jesse James !

Ce ne fut que peu à peu que Bill parvint à percer l’obscurité du coin où devait se trouver la prisonnière.

D’abord il ne vit rien qu’une forme indistincte. Le vif éclat du feu haut flambant augmentait la noirceur funèbre de l’ombre dans ce coin abandonné.

Puis Bill discerna les contours d’une femme. Elle était étendue sur la terre. Il pouvait voir qu’elle était éveillée et qu’elle pleurait.

Parfois, à travers la rumeur brutale des voix d’homme, l’oreille avertie de Bill percevait le son de sanglots entrecoupés.

Les bandits restés en arrière s’étaient occupés du bras blessé de leur camarade et l’avaient convenablement bandé.

Alors Dunn, qui s’était assis pour cette opération, se leva en étouffant une plainte.

De son bras sain il arracha du foyer une branche enflammée, et il s’avança vers la prisonnière.

À la lueur fumeuse de ce brandon, l’œil attentif de Bill put reconnaître que cette jeune fille était radieusement belle. Sa peau était d’une blancheur éblouissante. Ses yeux sombres, extraordinairement grands et mobiles à l’extrême, étaient pleins d’angoisse, et c’est avec une expression non déguisée d’horreur qu’ils se portèrent sur le geôlier.

Elle avait les mains enchaînées. Ses vêtements étaient déchirés et souillés. Cependant la robe de soie blanche – symbole d’innocence qui moulait sa taille svelte, conservait encore son éclat et craquetait à chacun de ses mouvements.

Avec une stupeur croissante, notre jeune héros vit dans la chevelure blonde de cette gracieuse créature, parmi les boucles en désordre et les nattes dénouées, une couronne de myrte à laquelle pendaient en haillons les restes flottants d’un voile de fiancée.

Bill, dont le cœur battait vivement, ne douta pas d’avoir été conduit par la Providence dans cette caverne. Il y avait là une infortunée que, selon toute apparence, les mains criminelles de Jesse James et de sa clique avaient précipitée de l’apogée du bonheur, où elle s’était vue un instant comme fiancée, jusque dans la plus profonde et la plus effroyable misère !

Cependant Dunn était arrivé tout près de la jeune fille. Il la considérait avec un ricanement cynique.

— Eh bien ! poulette, qui t’aurait dit ça hier matin ? commença-t-il d’un ton railleur. Oui, Jesse James et sa troupe agile sont des convives à craindre ; ils s’introduisent dans le château de la noce, tout scintillant de lumières, et ils arrachent la fiancée à la fête… Y eut-il jamais surprise mieux réussie, hein ?… Vos imbéciles de mineurs qui pensaient pouvoir se mesurer à nous !… Ah ! ah ! ils pouvaient bien le croire, ma foi !… Pif ! Paf ! En un temps, deux mouvements, nous étions les maîtres… la belle fiancée emballée et, hop là ! à cheval, et déjà loin ! Vrai, c’est une bonne farce !

Ces grossières paroles cinglaient la pauvre fille comme des coups de fouet.

Elle leva les yeux vers l’insolent pour l’implorer.

— Si une lueur de miséricorde subsiste en vous, ayez pitié de moi ! murmura-t-elle, et, bien qu’à moitié étouffé par les sanglots, sa voix résonna, douce comme le chant du rossignol ou le tintement argentin d’une cloche lointaine.

— Que piaille la fillette ? demanda Dunn, en guise de réponse.

— Mon père est riche… soyez miséricordieux ! Je vous le jure, emmenez-moi hors de ces lieux horribles, rendez-moi à mes parents, et vous serez princièrement récompensé.

— Ah ! ah ! ricana Dunn, que cet appel laissait parfaitement insensible. Les morts n’ont plus à s’occuper de récompenses… mais, cette considération mise à part, j’aimerais mieux marcher sur la queue d’un serpent à sonnettes que de donner lieu à Jesse James de soupçonner que je trahis… Ma vie ne vaudrait plus un sou… Laisse ça, fillette ! Ça ne servirait à rien… D’ailleurs, ton père, Huntington, est mort tout raide, ce qui fait qu’il ne peut plus rien payer.

Un long sanglot secoua le corps de l’infortunée.

— Mort !… il est vraiment mort ! s’écria-t-elle sous le coup d’une douleur poignante. Ô Dieu plein de miséricorde, comment as-tu souffert qu’un seul jour, dans sa courte durée, nous apporte à nous tous une peine sans mesure ?… Mon père, si bon, si loyal, mort… et…

Elle s’interrompit, suffoquée par l’excès de sa souffrance, tandis qu’un spasme contractait ses traits charmants. Elle reprit bientôt :

— Ô Ciel !… et mon fiancé !… mon Charles adoré !… Ne me laissez pas devenir folle, ô Père qui êtes au ciel !… Est-ce que tout cela n’était pas un songe ?… En plein bonheur, devant l’autel !… Et tout s’écroule à la fois !… Mort !… mort !… Ah ! que Dieu vous aide ! L’homme ! dites-moi ce qu’est devenu Charles Davis ?

— Laisse-moi tranquille avec tes piailleries, poulette ! grogna le bandit en haussant les épaules. Il a bien fallu qu’il voie comment ça se fait… Ah ! ah ! c’était justement là le plaisant de l’affaire… Comme vous étiez debout, si beaux tous les deux, devant l’autel, dans la maison de ton père,… tout à coup invasion d’une troupe farouche,… pif, paf ! l’éclair et le tonnerre à la fois… Ce valet du Diable de Jesse, qu’il se casse le cou un jour ou l’autre, je ne m’y oppose pas… c’est un bourreau… et en définitive j’en ai assez.

— Soyez donc miséricordieux ! gémit de nouveau la belle captive. Délivrez-moi de cette extrémité de misère ! Charles n’est pas mort… c’est impossible… il…

Sa voix se perdit encore dans la violence de ses sanglots.

Sans en être aucunement ému, son gardien était revenu auprès du feu du campement, où ses compagnons le saluèrent d’un rire bruyant et d’allusions grossières et brutales.

Dis-lui donc de te donner un petit baiser ! cria l’un de ces rustres pendant que les autres se tordaient de rire. Et tu lui montreras après de quelle sorte de colique son bien-aimé Charles a été pris.

Un autre alla droit à la pauvre fille toute en pleurs, la força à lever la tête et, après l’avoir insolemment dévisagée, revint en disant :

— Dommage que le Capitaine l’ait défendu ! Cette poulette eût bien fait l’affaire du fils unique de mon père.

— C’est ça ! chasse sur les terres de Jesse ! cria un autre.

— Je m’en garderais,… mais il a diablement bon goût.

— Cette femme-là n’est pas pour lui, grogna quelqu’un qui n’avait encore rien dit. Je donnerais ma tête à couper, qu’il y a quelque affaire avec Don Ramiro là-dessus… Nous nous sommes mis en route pour lui permettre de s’entretenir en secret avec le Capitaine.

— Fariboles ! interrompit un autre. Ta langue te fera pendre, Mike… Tu sais que le Capitaine ne peut pas souffrir ceux qui fourrent leur nez partout. En tout cas nous n’avons pas marché trop vite. Sans le moindre petit baiser de la princesse Clair de Lune ! C’est une poulette, celle-là, qui aurait été bien à mon goût.

Les autres, en manière d’approbation, poussèrent des cris de possédés.

Cependant Bill Cody, notre jeune héros, frémissait, dans sa cachette, d’une impuissante indignation. Des larmes brûlantes emplissaient ses yeux. Sa jeunesse en fleur avait cette pureté de mœurs, ce respect de la femme qui ne l’abandonnèrent jamais durant toute sa vie.

Mais il lui fallait se contenir. Il ne devait pas faire le plus léger bruit, quoi qu’il arrivât.

Il ne pouvait que contempler, d’un regard chargé d’une sympathie infinie, cette gracieuse jeune fille dans son attitude d’abattement.

Certes il comprenait jusqu’au moindre des horribles événements qui frappaient cette charmante tête de fiancée, et qui l’avaient précipitée du bonheur le plus haut dans une mer sans fond de souffrances et d’épreuves. Il sentait confusément aussi qu’il devait y avoir là en train quelque autre attentat caché, quelque complot diabolique, où Jesse James jouait, avec l’aide de compagnons surgis de l’enfer, un rôle infâme et impie.

Les quelques mots que Bill avait entendus l’avaient renseigné sur la famille de cette infortunée.

Son père était l’homme le plus riche de tout le pays ; il possédait des mines inépuisables ; il habitait avec sa famille une résidence d’aspect seigneurial, – et la veille, en quelques instants, le sort si envié de cette famille considérée de tous, avait été effroyablement changé !

Bill fut bientôt arraché à son absorbante méditation. Un des bandits, que la course avait mis hors d’haleine apparut soudain, haletant, à la porte de la caverne :

— Oust ! assez flâné ! cria-t-il de loin. Le Capitaine est dans tous ses états. Je ne l’ai jamais vu si furieux, et il y a joliment d’années que je connais Jesse James !… Il faut qu’il prenne l’individu, vivant ou mort, il se l’est juré. Arrivez tous ! Charles Dunn suffira bien à garder la fille.

À contrecœur les hommes se levèrent, bâillant et s’étirant.

— Qu’est-ce qu’il y a de cassé avec James ? Les États du Nord ne vous commanderaient pas plus durement ! grogna Dunn. Est-ce qu’on va nous embêter tout le temps ?

— Silence ! dit un autre. Ce que Jesse James fait est bien fait. Un hourra pour Jesse James !

Tous agitèrent leurs chapeaux et de leurs gosiers rauques poussèrent une acclamation.

Quant à Dunn, il restait en place, les poings fermés, l’air mauvais.

— Vexations de malheur ! Un chien ne voudrait pas de cette vie ! grommela-t-il avec une grimace de dégoût.

— Silence là, fainéant ! reprit celui qui avait fait acclamer Jesse James. Sot que tu es, il s’agit de notre vie à tous. Le Capitaine est informé que la moitié d’une semaine ne s’écoulera pas sans que l’Union envoie des renforts tels qu’ils pourront nous pendre tous, chacun à un arbre. Si nous n’emportons pas les forts auparavant, le Diable nous agrippe tous ! Les Peaux-Rouges branlent dans le manche, et s’ils ont tenu jusqu’à présent pour la cause glorieuse du Sud, ils pactiseraient aussi bien avec le Nord… Encore trois nuits, et alors prise d’assaut des forts Larned et Hayes. C’est pourquoi pas un chat n’a la permission de passer. – Et maintenant, en avant, les enfants ! Toi, Dunn, fais bonne garde ! Tu connais le Capitaine et tu sais que tu n’es déjà pas dans ses petits papiers.

— Que personne de vous ne touche à mon cheval ! cria Dunn, mal gracieux, à la troupe qui s’éloignait.

On lui répondit par un éclat de rire général. Quelqu’un ajouta :

— Ne sois donc pas stupide, espèce de fou ! Comme si nous n’avions pas assez de chevaux ! Mr. Huntington a mis à notre disposition toute son écurie.

Les pas de la troupe s’évanouirent peu à peu.

Le cœur de Bill battait à lui rompre la poitrine. La fièvre lui travaillait le cerveau.

Il comprenait pour la première fois toute l’importance de sa mission. Il fallait qu’elle réussît, en dépit de tous les obstacles. Le salut des forts et de leur garnison en dépendait.

La cause du Nord était en danger. Déjà avait été livrée, la terrible bataille de Bull Run, qui s’était terminée par une victoire éclatante des Confédérés. Une nouvelle défaite de cette gravité serait fatale à l’Union et finirait décidément la guerre en faveur des esclavagistes du Sud.

Mais, avant tout, il s’agissait de sortir d’ici. Comment pourrait-il opérer son évasion ?

Sans compter qu’il n’était plus seul ! Il avait déjà pris la résolution inébranlable de ne pas regagner sa liberté sans cette prisonnière, privée de tout soutien.

Une idée lui traversa la tête, qu’il ne fut pas long à transformer en fait,… fait extraordinaire, comme on va le voir.

Aussi silencieusement que possible, Bill se souleva en dehors de l’étroit couloir où il était enfoncé jusqu’au cou.

Sous ses pieds appuyés contre le rocher, un fragment se détacha et se brisa en miettes en tombant avec fracas. La chance voulut que le gardien, resté seul, fût à moitié abasourdi par la fièvre de sa blessure. Il leva la tête et écouta. Mais aucun autre bruit ne se faisant entendre, il laissa retomber son menton, les yeux fixés sur la flamme, et ne tarda pas à s’assoupir tout à fait.

Comme le cœur avait sauté dans la poitrine de Bill ! Mais l’insouciance de cet homme, qu’il haïssait comme son ennemi mortel, lui parut être d’un bon présage.

Son œil chercheur avait aperçu une carabine, appuyée, non loin de Dunn, à une pointe de rocher ; et auprès, jetée à terre, la ceinture garnie d’armes qu’on lui avait volée.

S’il réussissait à reprendre sa ceinture, il ne craindrait pas de tenir tête à toute la bande de Jesse James.

Mais comment en arriver là ?

Bill s’était heureusement dégagé de son étroite cachette. Maintenant il se laissa doucement tomber, avec l’adresse d’un maître gymnaste, jusqu’en bas de la paroi polie ; et il réussit, au prix d’efforts surhumains, à le faire sans troubler le silence.

En touchant le sol, Bill s’y coucha à plat ventre.

Avec les mouvements sinueux d’un serpent, il se mit à ramper sur le roc visqueux, à la manière des Indiens.

Il se dirigeait vers la jeune fille, et celle-ci ne devait pas tarder à le voir. Si, à sa présence inopinée, elle criait, comme le font les femmes, si elle faisait le moindre mouvement qui pût éveiller le soupçon, il était perdu !

Dunn n’avait qu’à étendre la main vers son fusil, et c’en était fait de lui, pauvre soldat sans armes.

Cependant Bill était arrivé, toujours rampant, jusqu’à la jeune fille.

Dans le visage angélique et hagard de la captive, des yeux pleins d’angoisse se tournèrent vers ce jeune homme au corps souple et glissant. L’infortunée ouvrait déjà sa bouche pour lancer un cri d’effroi. Mais, vif comme l’éclair, Bill s’était soulevé à demi et avait, en un geste suppliant, porté sa main à ses lèvres.

Il n’avait jamais contemplé, lui sembla-t-il, des traits aussi nobles et aussi célestement doux.

Cependant la jeune fille l’avait compris. Une lueur de joie brilla dans ses yeux, levés au ciel en un mouvement de prière.

Bill s’avança encore, retenant son souffle, le pouls battant en désordre, mais l’esprit toujours lucide, ne perdant pas de vue son but.

Pourtant, quelque prudent qu’il fût, le bruit presque imperceptible d’une approche éveilla l’attention du gardien.

Méfiant, Dunn tourna la tête.

Aussitôt de sa bouche sortit un cri étouffé d’indicible terreur.

Il se leva en chancelant. Affolé, il tâtonnait fébrilement pour trouver sa carabine.

Mais Bill fut plus prompt que lui.

Il bondit comme un tigre, et d’un gigantesque élan il fut sur le fusil. L’arracher à la main frémissante du coquin et le lui mettre sur la poitrine, ce fut pour Bill l’affaire d’un instant.

— Les mains en l’air ! ordonna-t-il à son tour d’un ton résolu. Pas de bruit, coquin… ou cette minute est ta dernière !

Dunn se rendit en grinçant des dents. L’apparition soudaine du jeune homme lui avait fait l’effet d’un spectre. Il se jeta tout de son long aux pieds de Bill en implorant sa clémence. Bill en profita pour prendre rapidement un revolver dans la ceinture qui était là. Puis il s’agenouilla auprès de Dunn étendu, et lui appliqua sur la tempe le froid canon de son arme.

— Je devrais te tuer, coquin, toi qui as si ignoblement assassiné mon pauvre père, Isaac Cody, dit tout bas le jeune homme au capon tremblant. Si j’épargne ta vie aujourd’hui, remercies-en cette jeune fille ! Mais l’heure viendra où cette vie que je te laisse, je la réclamerai, et où j’accomplirai mon serment.

Dunn était absolument terrifié. Un coup de poignard ne lui aurait pas tiré une goutte de sang. Sa langue lui collait au palais. Ses cheveux, courts et broussailleux, se dressaient tout droit et une sueur froide perlait à son front.

D’un mouvement rapide Bill avait tiré de sa poche le lasso qu’il portait toujours avec lui. Le revolver au poing, il se mit à garrotter le mauvais drôle, jusqu’à ce qu’il l’eût dûment ficelé, sans lui laisser la possibilité de remuer un membre.

Des chiffons d’étoffes déchirées gisaient à terre. D’une main habile notre héros eut vite fait d’en fabriquer un bâillon, qu’il fourra de force dans la bouche du misérable.

Ensuite il remit à ses reins sa ceinture garnie de ses armes et reprit la carabine. Alors seulement il s’empressa d’aller à la jeune fille, dont il coupa les liens avec son bowie-knife.

Profondément troublée, la jeune délivrée regardait son sauveur.

Grâce aux fatigues subies, Bill avait un air à faire peur. Mais dans son visage noirci et souillé luisaient des yeux clairs et francs.

— Ce n’est pas le moment des explications, Miss, dit-il d’un ton chevaleresque. Mais vous pouvez vous fier à moi. Je suis Bill Cody, soldat aux corps francs. Par mon amour pour ma bonne mère, au lit de mort de laquelle je vais, vous pouvez me suivre sans inquiétude, je vous le jure… Si je peux nous sauver, vous et moi, Dieu seul le sait ! Qu’il nous protège ! Et maintenant, veuillez me suivre !

Ce simple discours opéra comme un charme magique sur la pauvre fille, toute frissonnante. Elle voulut parler, lui prendre la main. Mais elle ne put que laisser un torrent de larmes inonder ses joues.

En vrai chevalier, Bill lui prit la main droite et la porta à ses lèvres.

— Pas de bruit, je vous en prie ! Les secondes sont précieuses, murmura-t-il. Allons ! maintenant, en avant ! Autrement, nous sommes perdus.

En disant cela, il se tourna vers l’entrée de la caverne, sur le chemin même que les forbans avaient pris.

Leur salut, en effet, dépendait de quelques secondes de plus ou de moins. Si l’un de ces drôles revenait, ou s’ils avaient laissé une garde à l’orifice, tout ce qu’il avait fait était inutile, et ils étaient perdus.

Mais Bill connaissait ni la crainte ni le retour en arrière. Il saisit la jeune fille par la main, et elle le suivit sans hésitation.

À la vie, à la mort !

Avant de quitter le souterrain, Bill avait pris dans le foyer une branche enflammée.

C’est à la lueur incertaine de cette torche qu’ils avançaient.

De temps en temps, au moindre bruit, Bill s’arrêtait, écoutait, le cœur oppressé. Mais la chance les favorisait.

Les voleurs, emportés par l’ardeur de leur quête, s’étaient dispersés au loin dans la forêt. Aucun d’eux n’était revenu à la caverne.

Un quart d’heure d’inquiétude, qui leur parut sans fin et lourd comme du plomb, s’écoula ainsi.

À cause de sa compagne, dont les pieds chancelants trébuchaient à chaque pas sur ce chemin de roches glissantes, Bill ne pouvait aller que lentement.

Tout à coup une bouffée d’air frais de l’extérieur leur arriva dans le visage. Ils approchaient de l’extrémité du corridor.

Comme ils sortaient, un hennissement de cheval frappa leurs oreilles.

Ils pénétrèrent dans le hallier, et trouvèrent un bon nombre d’animaux attachés là. On n’apercevait aucun gardien.

Bill respira longuement, comme s’il avait un poids de moins sur la poitrine, et dès lors il eut l’air plus assuré.

— Savez-vous monter à cheval ? murmura-t-il l’oreille de la jeune fille.

Elle fit oui de la tête et dit tout bas :

— Depuis mon enfance.

À ce moment, elle ne put retenir un petit cri de surprise. Elle venait dans les premières lueurs grises de l’aube commençant à poindre, de reconnaître son propre cheval qui hennissait joyeusement.

— Ô Dieu ! s’écria-t-elle avec un douloureux sourire. C’est mon cheval de selle… mon bon Ali !… Les misérables l’ont volé, lui aussi !

Dominée par les sentiments que cette vue réveillait en elle, elle pencha sa jolie tête sur le cou de l’animal hennissant et soufflant de plaisir.

— C’est Dieu qui a ordonné tout cela, Miss ! dit alors Bill, plein de confiance. Nous allons courir au mieux, vous et moi, et les drôles ne vous rattraperons jamais !

L’infortunée sourit à travers ses larmes.

Sans hésitation elle plaça vivement son pied dans la main ouverte de Bill Cody et, d’un mouvement souple, elle se mit en selle.

Puis elle jeta au jeune héros un regard reconnaissant et mouillé de pleurs.

— Dieu vous rende, mon ami, ce que vous faites pour moi, murmura-t-elle. Ces êtres exécrables ont enlevé tout ce que possédait mon père chéri… Dans une lutte horrible, ils ont étendu morts par douzaines nos fidèles ouvriers… et l’homme que j’aime plus que ma vie, ils l’ont tué, ou, sort plus épouvantable, ils… ils l’ont…

La voix lui manqua. Un tremblement convulsif courut dans ce frêle corps de vierge.

Bill étendit la main vers elle, et, d’un ton de prière :

— Plus tard, miss, dit-il, vous me raconterez tout ; et avec la volonté de Dieu, je vous aiderai, aussi vrai que je suis un honnête garçon. Mais maintenant il faut nous éloigner, et vivement.

Ce disant, il sauta sur le dos d’un cheval que son œil de connaisseur infaillible avait choisi.

Rapidement, il coupa les longes des autres chevaux et se mit à frapper au milieu d’eux à droite et à gauche. Les bêtes effrayées se cabraient, ruaient, et finalement, avec des hennissements, des ébrouements et des pétarades, elles se dispersèrent de tous côtés dans l’épaisseur de la forêt.

— Si maintenant les coquins veulent nous prendre, je calcule qu’il leur faudra quelque temps pour prendre d’abord leurs chevaux, déclara Bill avec un bon rire confiant. Mais pour le moment il y va de tout pour nous, Miss. Donc, en avant !

Et à toute bride ils commencèrent leur course, dans la pâle et grise lumière du matin.

Il était grand temps, d’ailleurs. Le sauvage tumulte de tous les chevaux de la bande, lâchés et dispersés en pleine fuite, s’entendait au loin. Bill apercevait à une grande distance des formes désordonnées s’agiter dans la forêt.

Des éclairs d’armes à feu s’allumaient. Le crépitement sourd des coups de fusil éveillait les échos de la solitude. Mais les balles que leur envoyait au hasard la rage aveugle de leurs ennemis, ne pouvaient leur faire aucun mal.

— Sauvés ! s’écria gaiement le jeune homme après une demi-heure de course.

En poussant cette exclamation de joie, il secoua les boucles de sa chevelure et regarda sa compagne qui avait vaillamment gardé sa place à côté de lui.

— Sauvés ! répéta-t-elle.

Mais sa voix était bien faible. Son regard était trouble. Une faiblesse manifeste se lisait dans la contraction de sa bouche.

Tout de suite Bill arrêta son cheval plein l’ardeur, et tendant les deux mains vers la jeune fille :

— Ô Miss, demanda-t-il d’un ton suppliant, ne vous laissez pas encore aller à la faiblesse, – oh ! non, pas maintenant ! Nous avons encore à courir pendant plusieurs heures, si nous voulons que ces méchants ne nous atteignent pas ; cinq ou six heures, peut-être. Et alors nous serons au fort Leawenworth. Ou bien… faisons mieux ! Vous êtes la fille de Mr. Huntington, le riche propriétaire de mines, n’est-ce pas ?

— Je la suis, répondit la jeune fille d’une voix qui n’était qu’un souffle, pendant qu’un nouveau torrent de larmes coulait irrésistiblement sur ses joues. C’est hier soir que les meurtriers ont assassiné mon bon père – j’ai été témoin de leur atroce forfait, sans pouvoir l’empêcher.

Et sa voix se brisa dans des sanglots convulsifs.

— Mais dites, Miss, comment tout cela s’est-il passé ? Vous aviez pourtant beaucoup d’ouvriers pour vous protéger ? Vous n’avez donc pas pu recevoir de secours du fort Leawenworth ? Vos propriétés n’en sont pas très éloignées, si je ne me trompe. Par conséquent, nous pouvons les traverser sans nous écarter de notre chemin – et peut-être rencontrerons-nous sur la route des gens de chez vous, occupés à votre recherche.

Elle ne répondit rien : les sanglots qui l’ébranlaient toute étouffaient encore sa voix.

Bill regardait la pauvre fille en pleurs avec un indicible sentiment de tendre sympathie, non moins qu’avec le souci d’un chevalier attentif. Son cœur bon et loyal se serrait douloureusement, il aurait voulu consoler la désespérée comme l’eût fait un frère, en l’attirant doucement sur son sein.

Mais il n’osa pas, et il se contenta gentiment de lui caresser la main.

— Il ne faut pas pleurer ainsi, Miss… Peut-être tout n’est-il pas aussi vilain que vous le pensez… Allons ! poussons plus loin ! En chemin vous essaierez de me raconter tout ce qui s’est passé… Le principal, c’est que le bon Dieu nous ait conduits hors de cette affreuse caverne… Maintenant le clair soleil luit au-dessus de nous, et en même temps revit l’espérance !

Sa parole si simple fit à la pauvre Louisa un bien infini. Elle lui adressa un signe de tête reconnaissant et murmura :

— Comme vous êtes bon ! Ah puissé-je vous récompenser de toute votre bonté !

— Ce n’est rien, cela me fait plaisir, s’écria-t-il vivement, le visage tout rouge. Cela me rend heureux de vous être utile, Miss… Mais une récompense, je n’en veux pas… Que je puisse vous venir en aide, cela m’est une récompense suffisante ; et s’il vous semble bon, nous pousserons plus loin sans tarder ; autrement ils nous arriveraient dessus… Débarrassons-nous une bonne fois de ces gueux !

Louisa hocha la tête.

— Vous avez raison, mon ami ; je crois tout le temps qu’ils sont derrière nous, dit-elle. Ah ! si nous pouvions atteindre le fort Leawenworth !… Je ne peux pas dépeindre tout ce qui s’agite dans mon cœur… l’inquiétude anxieuse… Si seulement j’étais délivrée de cette terrible incertitude, de ce doute qui me torture sur le sort de mon fiancé !

Ils reprirent leur course.

Louisa essaya de parler en chemin, mais elle en fut pour ses essais. La rapidité épuisante de cette allure avec le vent en face, l’empêchait presque de respirer. Une irrésistible faiblesse l’envahissait de plus en plus.

Et ils allaient, allaient toujours en un galop éperdu.

Parfois ils filaient le long de la rive du Missouri, et un instant après parmi les arbres de la forêt sans chemins.

À l’estimation de Bill, encore une bonne heure de course, et le fort Leawenworth surgirait à l’horizon devant eux.

Mais soudain, d’un sec mouvement de bride, Louisa arrêta son cheval.

Sa figure était couleur de cendre. Toute tremblante d’une émotion intime, elle montrait une construction en bois, assez étrange d’aspect, qui s’élevait sur un côté de la route. À la place du rez-de-chaussée se dressaient quatre troncs d’arbre dépouillés de leur écorce, qui soutenaient une sorte de cabine en planches grossièrement équarries.

Le sol était extraordinairement piétiné. Le feu semblait avoir été mis à la construction, dont les piliers de bois étaient à moitié carbonisés. Mais pas un être humain ne se faisait voir, ni là ni dans les environs.

— Nous sommes sur les domaines de mon père, murmura la jeune fille dont la bouche avait repris sa contraction douloureuse. Ici, c’était l’entrée d’une mine, naguère. Nos fidèles ouvriers ont poursuivi les voleurs jusqu’à cette place. Encore une demi-heure de marche et nous aurons atteint notre habitation.

Comme elle finissait de dire cela d’une voix à peine distincte, elle chancela subitement sur sa selle et Bill entendit encore ces paroles comme un souffle :

— Oui, mais je ne peux aller plus loin, quand même j’en devrais mourir ! D’ailleurs, il n’y a plus de danger, et cela fera du bien aux bêtes, de se reposer un tout petit quart d’heure.

Bill était d’un autre avis. Les pieds lui brûlaient, et il aurait voulu arriver au fort le plus vite possible, pour pouvoir communiquer au Général ses importantes observations.

Mais un coup d’œil sur la figure exténuée de sa compagne de route le convainquit qu’elle n’irait pas une portée de fusil plus loin sans tomber.

Il se rendit donc galamment à la nécessité, sauta à bas de son cheval et aida la jeune fille à descendre du sien.

Doucement elle laissa glisser dans l’herbe son corps délicat.

— Si seulement je pouvais vous procurer un peu d’eau à boire ! dit Bill, cherchant de l’œil autour de lui.

Louisa secoua faiblement la tête.

— Je n’en ai pas besoin, répondit-elle. Il n’y a ni source ni ruisseau ici ; il n’y a que le Missouri, qui coule tout près. Mais ne me laissez pas seule, mon ami. – Seulement quelques minutes, et j’aurai repris des forces.

Bill s’assit dans l’herbe près d’elle.

— Ainsi James et sa bande sont tombés sur vous ? fit-il. Je suis surpris que le gaillard se soit avancé si loin. D’après mes renseignements, il surveillait depuis plusieurs jours le gué du fleuve, vous savez, près de la caverne où vous avez été prisonnière cette nuit.

— Cela me fait l’effet d’un rêve d’angoisse et d’effroi, dit la jeune fille. Si je n’avais pas vécu toute cette épouvante et toute cette douleur, je prendrais cela pour quelque conte à donner le frisson.

Et puis, après avoir lutté courageusement contre le courant des larmes et séché un peu ses grands yeux, elle se mit à retracer à son jeune ami, dont l’attention était extrême, les événements de la journée précédente.

— Vous pouvez vous figurer, mon ami, lui dit-elle entre autres choses, avec quelle impatience de désir j’attendais le retour de l’homme que j’aimais. Les récits de mon bon père avaient semé dans mon esprit le germe malsain des folles et troublantes terreurs ; mais de même que les nuages de la nuit se dissipent et s’anéantissent au seul aspect du soleil vainqueur, ainsi s’en allèrent toute mon anxiété et toute ma peine, lorsque, vers le soir, le bruit du galop d’un cheval m’annonça le retour de mon Charles. Il ne revenait pas seul ; comme il l’avait promis, il amenait le pasteur qui devait bénir notre union. De notre côté, nous n’étions pas restées inactives. Avec l’aide de quelques servantes, je m’étais fait un costume de mariée… Ah ! comme j’étais heureuse, lorsque je le revêtis et que j’allai, ainsi parée, saluer mon Charles !… Ô miséricorde éternelle, pitié ! ayez pitié !

Et une fois de plus, elle éclata en sanglots.

— N’est-ce pas épouvantable, rien que d’y penser ? continua-t-elle, frémissante. Je vois encore étinceler ses yeux sincères, où se reflétait pour moi un monde d’amour et de félicité. Je sens encore l’étreinte loyale et forte de sa main, lorsqu’il se mit à mon côté et me conduisit à la chapelle, près de la maison, où notre mariage devait être célébré, et que mon père avait fait bâtir bien des années auparavant, pour que les ouvriers de la mine ne fussent pas privés de service religieux le dimanche.

— Et qu’arriva-t-il ensuite ? demanda Bill Cody, incapable de maîtriser plus longtemps la violence de sa curiosité.

— Le sais-je moi-même ? gémit la jeune fille. Les craintes et les appréhensions s’étaient dissipées chez nous tous, comme des ombres devant la lumière scintillante et solennelle des cierges qui brûlaient dans la chapelle, et alors…

— Et alors ? répéta Bill, suspendant son haleine.

L’infortunée se cacha le visage dans ses deux mains.

— Nous étions debout devant l’autel, continua-t-elle d’une voix faible, en proie à une émotion qui agitait son jeune sein de mouvements tumultueux. Le prêtre adressait la question décisive et qui lie pour toujours ; l’homme à qui mon cœur appartiendra jusqu’à son dernier battement allait répondre… alors…

— Eh bien ! alors ?

— Il me sembla que j’entendais comme un sifflement bas et aigu qui passait tout près de moi, et au même moment Charles chancela… il tomba sans un mot sur le sol… resta sans mouvement… et le prêtre, tout ému, interrompant la cérémonie sacrée, se pencha sur lui et me cria qu’il était mort, celui que je chéris en mon âme !

Profondément ému, Bill prit la main de la malheureuse enfant, qui ne cessait de pleurer.

— Dieu nous aide ! C’est indiciblement triste, balbutia-t-il. C’est à n’y pas croire. Et lui… votre fiancé,… est-ce que vraiment il était mort ?

— Non, mille fois non ! Il ne peut pas être mort ! Comment serait-il possible ?… Si bien portant… si frais… la vie dans sa fleur !… Eh quoi ! frappé au plus haut point du bonheur… et mort ? Non ; il s’est passé quelque chose d’épouvantable, quelque atroce coup de traîtrise que je ne pouvais pas prévoir et que je ne peux pas comprendre… mais il n’est pas mort, mon Charles ; il ne peut pas être mort.

— Mais ne pouviez-vous pas appeler un médecin ?… Oh ! je comprends, c’est à ce moment que se produisit le reste de la catastrophe ?

Louisa fit un signe affirmatif, et continua en mots entrecoupés, que sa douleur rendait parfois incohérents :

— L’ennemi cruel a tout pris d’assaut, tout mis à feu et à sang !… Une fusillade, partie de tout près… Un effroyable cri, comme si l’enfer déchaînait tous ses diables ensemble… Les fenêtres volant en éclats et par toutes les ouvertures, des hommes hardis et farouches… C’était le terrible Jesse James avec sa bande !

— Et votre père ?

— Ah ! c’est là l’horrible ! Brave comme un lion, il s’était jeté au milieu des bandits… Il tenait le revolver dont il était toujours armé, et s’en servait contre ces scélérats… Je me sens saisie par des mains de fer, arrachée de l’autel, et au moment où je crie au secours, où j’appelle mon père à mon aide… je vois… Ô Dieu ! fallait-il que j’assistasse impuissante à ce spectacle ?… un vil assassin le frapper de son arme, mon père, mon pauvre cher père !… et lui, chanceler, tomber sur les genoux… J’entends son dernier cri désespéré… je le vois percé de coups de couteaux et baignant dans son sang… et puis la nuit se fait autour de moi, nuit pleine d’horreur, épaisse et lourde ; et quand je m’éveillai, j’étais depuis longtemps au pouvoir de mon ravisseur,… et… et…

Elle eut une nouvelle crise de larmes. Se tordant les mains, elle criait les noms des êtres chers, maintenant si loin d’elle.

Bill Cody était remué au point qu’il put à peine émettre une sourde exclamation.

Mais il s’effraya lorsque, tout-à-coup, la pauvre Louisa, posant sa main sur son cœur comme pour l’étreindre, s’affaissa sans connaissance sur le sol.

— Miss, qu’avez-vous ?… Il ne faut pas vous tourmenter ainsi ! bégaya-t-il, perdant la tête dans son émotion. Je vous en prie, revenez à vous !

Et, de fait, la jeune fille rouvrit les yeux ; elle essayait même de sourire.

Bill, penché sur la pauvre enfant, crut voir un ciel empli d’immense bonté.

— Je vous en prie… une goutte d’eau. Je défaille. Rien qu’une goutte… puis… je serai… forte encore.

— Tout de suite ! Attendez-moi !… Quelques minutes de patience… Je reviens avec de l’eau.

Dès le commencement de cette courte halte, Bill avait débouclé la ceinture où il avait ses armes.

Il la laissa là sur l’herbe, pour courir plus vite.

Aussi rapidement que ses pieds pouvaient le porter, il se hâta vers le Missouri, qui coulait tout proche.

En moins de deux minutes, d’une course en ligne directe et que rien n’arrêtait, il avait, à travers des fourrés, épineux, atteint la rive escarpée du fleuve.

Il la descendit vivement jusqu’au courant, où il puisa avec son chapeau.

Au moment où, ayant remonté la pente rocheuse et presque à pic, il mit le pied sur le sommet de la berge, il lui sembla soudain que son cœur cessait de battre.

Dans la direction du lieu où il savait qu’était la jeune fille, un cri prolongé qu’il connaissait bien, l’effrayant cri de guerre des Sioux, venait de retentir.

Deux, trois cris de détresse déchirants le suivirent.

Et brusquement tout retomba dans un silence de mort.

Sur l’instant Bill resta abasourdi. Sa tête tourbillonnait, incapable d’avoir une idée.

Il était bouleversé par le regret et la fureur… Il avait perdu ses armes pour la seconde fois, et cette fois par sa faute, juste quand la vie de cette gracieuse jeune fille était en jeu !

Mais il ne fallut qu’une seconde pour reprendre son sang-froid accoutumé.

Aussi vite qu’un cerf poursuivi, il courut à la clairière, à la place qu’il venait de quitter.

Un silence profond régnait aux alentours.

Les chevaux, soigneusement attachés par lui, avaient disparus ; disparu aussi la forme légère de la jeune fille !

Mais, à demi caché dans l’herbe et échappé sans doute à la main d’un des Indiens ravisseurs, gisait un tomahawk, dont le tranchant brillait.

Bill était en proie à une terrible colère.

Sachant à peine ce qu’il faisait, il ramassa le tomahawk. Il s’agitait sur place, ivre de rage et du désir de se venger.

Une idée, qui lui traversa le cerveau comme un éclair, le frappa d’une vraie douleur physique : c’était parce qu’un sauvage sanguinaire l’avait trouvée trop belle, que l’aimable jeune fille n’avait pas été, selon la coutume indienne, étendue morte dans l’herbe !

Çà et là pendaient aux branches des lambeaux de son long voile de mariée.

Les traces se dirigeaient vers le fleuve.

Évidemment le ravisseur voulait traverser avec son butin le Missouri, malgré sa largeur à cet endroit.

Il devait être tapi aux aguets, lorsque Bill et la jeune fille s’étaient arrêtés dans la clairière pour goûter un repos bien funeste.

C’était à cause de la jeune fille que le ravisseur et son camarade (un Indien ne va jamais seul) n’avaient pas attaqué Bill, mais avaient attendu qu’il s’éloignât, afin de mieux s’emparer de la dame…

Jamais dans toute sa vie, Bill ne mérita mieux d’être comparé à une flèche qu’à cette heure qu’il courait sur la mousse du bois. Les buissons épineux lui fouettaient le visage et le piquaient au sang. Mais il ne s’en apercevait pas.

Bientôt le fourré s’éclaircit.

Devant lui miroitait la nappe luisante du fleuve, plissée de vagues.

Bill aperçut un Sioux gigantesque qui dégringolait à toutes jambes le talus de la berge.

Le misérable portait sur l’épaule le corps abandonné et comme sans vie de la pauvre fille. Un bâillon lui fermait la bouche. Elle avait les mains liées ensemble derrière le dos.

Les chevaux volés étaient là aussi, mais sur l’autre bord, où un parti d’indiens, en grand costume de guerre, étaient déjà passés avec eux.

Une course, qui avait pour enjeu la mort ou la vie, commença.

Quelque rapide que fût le Peau-Rouge, chaque nouveau bond de Bill diminuait la distance entre eux.

Au loin un cri déchira l’air.

Les Indiens de l’autre rive avaient aperçu Bill.

Leur hurlement inquiéta le fuyard, qui tourna sa tête ornée de plumes, et vit son ennemi tout près.

Rejeter de son épaule son vivant fardeau et tirer de sa ceinture son couteau à scalper fut pour le Sioux l’affaire d’un instant.

Avec un cri de démon, il se précipita à la rencontre de Bill.

Celui-ci lança d’une force terrible le tomahawk, qui tournoya en faisant vibrer l’air.

Mais en même temps le couteau du Peau-Rouge fendait aussi l’air en sifflant.

Et pendant qu’avec un craquement sourd, la hache s’enfonçait dans le crâne du voleur et l’étendait mort sur le sable, Bill sentait une douleur cuisante au bras gauche. Le couteau du Sioux s’y était planté.

Sans s’inquiéter de la douleur, Bill arracha l’arme de la blessure.

Puis il courut à la jeune fille.

De l’autre bord du Missouri montait une tempête de cris forcenés.

Les Indiens avaient vu la chute de leur camarade. Aussitôt ils se jetèrent dans le fleuve, pour venger sa mort.

La jeune fille était déjà sur ses pieds.

Lorsque Bill lui eût enlevé le bâillon de la bouche et délié les mains, un cri étouffé s’échappa de ses lèvres.

Cédant à la violence de son émotion, impuissante à se maîtriser, elle se jeta au cou de Bill, en l’appelant d’une voix brisée.

— Mon ami !… Mon sauveur !

Jamais encore le jeune Bill Cody n’avait tenu dans ses bras une femme. En un ravissement muet, il laissa un instant se répandre sur lui la pure effusion d’une gratitude sans bornes.

— Puissé-je mourir pour vous ! dit-il enfin, donnant cours à l’impétuosité de ses sentiments. Ange du ciel ! Non, ils ne t’auront pas… Ils ont assassiné ton père et ton fiancé bien aimé. Mais moi, je te protégerai… Tant que j’aurai un souffle de vie, non, ils ne te saisiront pas !

Mais aussitôt il reprit possession de lui-même. Les farouches cris de guerre des Sioux frappaient lugubrement ses oreilles.

— Il faut courir. Le salut est à ce prix, murmura Bill.

Ils voyaient les Indiens qui hurlaient dans le lit du fleuve.

— Je pense que nous atteindrons encore à temps la cabane de la mine et nous nous retrancherons dans le haut. Êtes-vous assez forte pour courir ?… ou ne vaut-il pas mieux que je vous porte ? Mes bras sont vigoureux.

La jeune fille secoua la tête.

— Dieu me donnera de la force, fit-elle. En avant !

Elle s’arrêta, prise d’angoisse à la vue du sang qui coulait du bras de son sauveur. Bill avait ramassé le tomahawk. Jusque-là il n’avait guère ressenti de sa blessure qu’une chaleur au bras gauche.

Tout-à-coup, il fut envahi par la sensation redoutable d’une faiblesse croissante.

— Ce n’est rien… une simple écorchure, disait-il, cherchant à tranquilliser la jeune fille, qui se lamentait.

Mais il trébucha et tomba à terre.

Du fleuve monta un infernal cri de triomphe.

En même temps des flèches vibrèrent au-dessus de la tête des deux malheureux.

Vivement la jeune fille déchira des bandes de ses vêtements et les enroula autour du bras de Bill.

À peine le sang fut-il arrêté que notre jeune héros rouvrit les yeux et d’un bond fut sur ses pieds.

— Courons ! courons seulement ! balbutia-t-il après avoir jeté un regard rapide sur l’ennemi.

Ils se mirent à courir.

De nouveau les flèches meurtrières sifflèrent au-dessus de leurs têtes.

Derrière eux l’horrible hurlement retentissait, pareil à celui de chacals affamés.

La jeune fille avait saisi la main de Bill. Près de lui, elle multipliait ses pas rapides.

Soudain, Bill eut un autre étourdissement. Il tomba sur les genoux ; mais il se releva aussitôt et reprit sa course.

Maintenant il mettait un pied devant l’autre machinalement, dans les rêves de la fièvre, oppressé et haletant.

Il voulait… Il ne se permettait pas de succomber à la faiblesse ! Il avait la vie devant lui… Et sa mère l’appelait… Et le devoir commandait !… Il fallait marcher. Ils étaient dans la forêt.

Le soleil se perdait parmi la luxuriance du feuillage. Les ombres du crépuscule s’étendaient de tous côtés.

Ils firent une courte halte, appuyés aux troncs de grands arbres. Puis, presque aussitôt :

— Plus loin !… toujours plus loin !

Le cœur de Bill Cody battait à briser sa poitrine. Ses poumons haletaient comme des soufflets de forge. Il était comme quelqu’un qu’on étouffe… De l’air !… rien que de l’air !

Tout lui dansait devant les yeux ; tout bruissait et bourdonnait confusément à ses oreilles. Il voyait tournoyer des roues de feu qui éblouissaient ses prunelles fatiguées et allaient se perdre dans un embrasement de soleils rouges.

Il marchait, trébuchant d’un arbre à l’autre ; derrière lui, la meute d’ennemis altérés de sang ; près de lui, comme un ange lumineux, la jeune fille sur le point, elle aussi, de défaillir.

Rassemblant ses dernières forces, Bill montre du doigt quelque chose devant eux.

— C’est la cabane de la mine… Encore un élan, un dernier élan… et le salut est là… le salut…

Mais la jeune fille ne peut aller plus loin.

Comme des ombres, elle voit devant elle les piliers qui supportent la hutte vermoulue. Elle fait appel à tout ce qui lui reste de force. Elle chancelle, mais avance de quelques pas. Elle touche un des piliers, qu’elle embrasse comme un soutien.

— En haut !… Au nom du Ciel ! en haut ! lui dit Bill qui peut à peine parler.

Cependant les cris démoniaques de ceux qui les poursuivent retentissent à leurs oreilles comme les trompettes du Jugement dernier.

Ils doivent être sur leurs talons. De tous côtés part le sinistre cri de guerre. Ces sauvages avides de sang se sont divisés, afin de mieux cerner les deux fugitifs.

Malgré l’appui du poteau, la jeune fille va tomber.

Bill ouvre tout grand ses bras et l’y reçoit.

Comme le feu de l’enfer, sa blessure le brûle. Il n’est plus que l’ombre de l’être fort qu’il était. C’est un corps que l’âme a quitté.

Cependant dans l’extrémité de son désespoir, il ne s’abandonne pas ; il enfonce ses dents dans ses lèvres et résiste malgré tout.

Il a jeté son regard vers le Ciel. Il tient toujours embrassé le corps frêle de la jeune fille et le presse contre lui.

De son bras sain, en un effort suprême, il se hisse, lui et son gracieux fardeau, jusqu’à la chambre supérieure. Le voilà en haut. Lorsqu’il a délicatement déposé près de lui la jeune fille inanimée, il a un retour de son ancienne et fière énergie. Il ne veut pas faiblir !… Il ne faiblira pas !

Sombre et résolu, il surveille ses sanguinaires ennemis. Là, entre les arbres, le plus avancé d’entre eux était aux aguets.

Il a découvert le jeune homme dans son réduit aérien. Il pousse un cri de joie, à la perspective du meurtre.

La forêt était devenue vivante ; elle résonnait du bruit farouche de ces bouches hurlant à la mort.

Çà et là, entre les troncs d’arbres, épiaient les diables rouges, les Indiens, qui n’ont jamais connu la pitié.

Cinq, six, davantage, sans doute, contre un seul ! Et encore, ce jeune homme au cœur de lion est blessé !

Tout près de Bill, voilà qu’une figure grimaçante, couverte de peintures hideuses, s’est hissée à son niveau et le regarde.

À la façon des serpents, ses regards aigus examinent le guerrier blanc, et lui annoncent un horrible destin.

Bill brandit son tomahawk.

En un coup terriblement asséné, l’arme bien affilée fend l’air. Le grand corps du Peau-Rouge se tord en une convulsion ; ses bras battent l’air comme des rames battant l’eau.

L’ennemi a disparu, et en bas on entend le fracas d’une lourde masse qui tombe et rebondit.

Mais un second, puis un troisième diable rouge grimpent jusqu’à la plate-forme de la cabane.

Et à chaque fois, Bill frappe – il frappe et frappe, ne manquant jamais son coup ; avec cette hache tranchante, qui crisse en fendant les crânes dont les os craquent ; il frappe et frappe, jusqu’à ce qu’il tombe évanoui.

Comme mort, le jeune héros gît auprès du corps inanimé de l’infortunée Louisa.

Et dans l’étroite retraite les Indiens pénètrent, pleins d’un enivrement farouche, en poussant le hurlement de la victoire.

Au Poteau du Supplice.

Avec un sourd gémissement, Bill Cody rouvrit les yeux. Que lui était-il arrivé ?

Il gisait à terre, comme paralysé. Ce ne fut que lentement et à force de volonté qu’il put évoquer de l’obscurité de son cerveau le souvenir des dernières minutes qu’il avait vécues.

Il eut d’abord comme la sensation d’un poing qui le serrait à la gorge. Une terrible angoisse lui comprima le cœur.

Grand Dieu ! Au milieu d’un combat avec les diables rouges, il s’était évanoui, épuisé par la perte de son sang, complètement exténué.

Que s’était-il passé depuis ?… Qu’était devenue la gracieuse jeune fille, pour le salut de laquelle il avait joué sa vie ?

Vivement, Bill voulut se lever pour chercher où pouvait être la délicate et charmante enfant. Mais il dut s’en tenir à l’intention.

À son grand effroi, Bill reconnut qu’il ne pouvait remuer aucun de ses membres. Il n’arrivait pas à bouger sa tête, non pas même pour la soulever de l’épaisseur d’un cheveu.

Pourtant il était bien vivant ; ce n’étaient pas les bandelettes des morts qui le retenaient. Loin de là, vraiment ! Le soleil était au zénith, droit au-dessus de lui, et ses rayons éclatants lui faisaient mal aux yeux. Il entendait aussi des bruits. Il en percevait un qui lui rappelait, par sa cadence régulière et rapide, les rames qui frappent l’eau, et se relèvent pour la frapper encore.

Cependant une inquiétude indéfinissable s’était emparée de lui.

Il voulut ouvrir les lèvres et articuler un mot, pour se convaincre qu’il vivait et qu’il était éveillé. Mais il s’aperçut qu’il avait, enfoncée dans la bouche, un bâillon, qui lui rendait impossible de proférer aucun son.

Il ne put qu’exhaler une sorte de plainte rauque, à peine plus forte qu’un soupir.

L’idée de la réalité, comme un éclair funeste, traversa la tête de Bill Cody. Il eut le sentiment de l’abandon le plus absolu, de la détresse la plus horrible. Une vision lugubre abattit la fierté de son cœur.

Il avait compris le sort effroyable qui l’attendait, sans que rien ne pût l’y soustraire.

Il se trouvait aux mains des Sioux, ses ennemis mortels ! Si ceux-ci, lorsqu’il gisait inconscient, ne l’avaient pas tout de suite tué et scalpé, c’était pour lui, si bien au courant des mœurs atroces de ces sauvages, la preuve certaine qu’ils lui réservaient une fin plus terrible encore.

Dans sa lutte désespérée, Bill avait frappé un bon nombre de diables rouges. Son aventure de la veille lui revint en mémoire, où pour défendre sa vie, il avait, d’une balle sûre, fait dégringoler un chef de son cheval.

Les Indiens implacables, à qui tout sentiment tendre est inconnu, l’avaient mis à part pour lui infliger une mort dix fois, que dis-je ? cent fois plus épouvantable. Il était réservé pour le poteau du supplice.

Un accès de désespoir farouche s’empara du jeune homme. Dans son indignation d’être enchaîné, il se raidissait violemment contre ses liens.

Vains efforts !

Les cordes tenaient bon, et la blessure de son bras recommençait à le faire souffrir affreusement.

À ce moment il sentit un corps pesant qui s’appuyait contre lui.

En même temps il vit au-dessus de son visage la figure grimaçante et effroyablement peinte d’un Indien, coiffé de toutes ses plumes.

— Le garçon blanc vit… c’est très bien ! dit le sauvage en mauvais anglais. Le téméraire garçon nous donnera au wigwam beaucoup d’amusement… Ses cris de douleur nous ragaillardiront ! Le garçon blanc fera voir, au poteau de supplice, s’il sait seulement donner des coups, ou s’il sait aussi les recevoir.

Bill voulut parler, mais le bâillon l’en empêchait. Par les signes d’impatience de son visage, il chercha à faire entendre à l’Indien ce qu’il souhaitait.

Celui-ci comprit parfaitement, il enleva le bâillon. Mais en même temps il faisait étinceler aux yeux de Bill la lame de son bowie-knife, et d’un geste expressif il indiquait clairement au jeune homme que le moindre cri de sa part serait suivi d’une mort immédiate.

Mais Bill ne pensait ni à lui-même ni à l’épouvantable sort qui l’attendait.

— Qu’est devenue la jeune fille que vous avez trouvée près de moi ? dit-il à l’Indien, dans son idiome, qu’il connaissait parfaitement.

Le Peau-Rouge parut surpris. Puis un hideux ricanement sépara ses lèvres minces.

— Le garçon blanc a beaucoup d’esprit ; il parle avec la langue de l’homme rouge. Mais son cœur est faux ; sa langue est fourchue comme celle du serpent. Qu’il ne se chagrine pas du sort de la Colombe blanche. Le garçon blanc seul doit mourir ; mais la Colombe blanche vivra. La Panthère rampante est un grand chef. Hier, le garçon blanc lui a pris son frère. La Panthère rampante s’enivrera des tortures du garçon blanc, et la gracieuse Colombe à la voix d’oiseau sera sa squaw !

— Tu mens, misérable voleur de Peau-Rouge ! s’écria Bill exaspéré. Tu es aussi poltron que traître. Jamais la belle jeune fille ne sera tienne. Auparavant tu seras mangé des vautours !

L’insulté leva son couteau.

Mais il le laissa aussitôt retomber, en riant d’un rire de démon.

— Le garçon blanc passera par les verges. C’est un sot. Nos chiens sont plus intelligents que lui. La Panthère rampante ne se laissera pas mettre en colère par ses paroles. Elle le verra souffrir. Il sera martyrisé plus longtemps et ses gémissements animeront le courage de nos jeunes gens.

Il attendait un moment la réponse. Mais comme elle ne venait point et que Bill le regardait dédaigneusement en silence, l’Indien replaça solidement le bâillon dans la bouche de sa victime, et reprit avec son hideux ricanement :

— La Panthère rampante ouvrira les lèvres du garçon blanc. Sa voix sera entendue des chacals. Son corps sera jeté en pâture aux chiens… et les charmes de la colombe blanche me ranimeront quand je me serai assez baigné dans le sang du cœur du garçon blanc !

Il se retira pour reprendre sa place de rameur, et laissa Bill à ses sombres pensées.

Quelque fût le mépris de Bill pour la mort, il ne s’en rendait pas moins compte de l’effroyable gravité de sa situation. Tout indiquait qu’il était perdu sans ressource et qu’il lui fallait mourir de la plus cruelle des morts.

Il connaissait assez les diables rouges pour être sûr qu’ils l’attacheraient au poteau du supplice.

Mais où l’emportaient-ils ?

Ils suivaient le cours du fleuve. Probablement il y avait quelque part dans le voisinage un campement d’indiens vers lequel se dirigeaient ses vainqueurs.

Et Louisa, où était-elle ? Certainement pas dans ce même bateau ; car il sentait à ses mouvements qu’il pouvait donner place à trois ou quatre personnes tout au plus, en outre de lui.

Les coquins s’étaient, à la mode indienne, divisés en petites troupes qui, se dissimulant plus aisément en suivant des chemins divers, tendaient toutes au même but.

Naturellement, dès leur arrivée au campement, les horribles drôles attacheraient Bill au poteau. Ils le feraient tout de suite, pour prévenir les sauveurs possibles envoyés à la recherche du prisonnier.

Ils ne pouvaient pas savoir que son absence ne commencerait pas à être remarquée avant trois jours, si même elle l’était.

Bill avait beau agiter toutes les possibilités dans son cerveau fiévreux, il en revenait toujours à la terrifiante conviction qu’il n’était plus de salut pour lui, que son sort était définitivement scellé.

Devoir mourir si jeune, n’était-ce pas là une horrible pensée ?

Non pas que Bill craignît la mort. Il était, depuis sa première enfance, si bien familiarisé avec le danger qu’il ne songeait même pas à se dire que chaque jour de sa vie pouvait être celui où il serait couché dans le linceul. Mais l’idée de finir de cette fin mesquine et sans gloire, de devoir offrir à ces bêtes sauvages le spectacle voluptueux et émoustillant de son jeune corps dans les spasmes de l’agonie, c’était cette idée qui lui pesait sur l’esprit.

Et puis sa pensée allait vers sa mère mourante !

Sa douleur, de ce côté, était si vive qu’il en oubliait un autre terrible sujet de tourment, l’espérance que le Général Custer et la garnison du fort Hayes, cernés de toute part, avaient mise en lui, et qui était irrémédiablement trompée.

Depuis combien d’heures sa mère gémissait-elle vainement après lui ?

Il se disait qu’il aurait sûrement atteint, sain et sauf, le fort Leawenworth, s’il ne s’était pas chargé de l’infortunée Louisa.

Mais pas une seconde son noble cœur n’eut un regret, ni ne s’adressa un reproche. Seulement à l’idée que Louisa était prisonnière comme lui, il souffrait deux fois.

Ah ! c’était au-devant d’un destin encore plus terrible que le sien qu’elle allait ! – Et lui, Bill, ne pouvait remuer aucun membre !

Pauvre, douce Louisa ! Ah ! si cette mort atroce, qu’il allait subir, pouvait du moins racheter sa vie et sa liberté !

— Mais je ne veux pas mourir ! se dit soudain Bill Cody. Et la gracieuse fille n’ira pas non plus à sa perte !… Il faut que je la sauve, et moi aussi ! Ce ne peut pas être la volonté du Ciel, de donner à notre printemps une fin si atroce !

Et Bill se sentit pénétré d’une pieuse confiance. Ses regards cherchèrent le ciel bleu, au-dessus de lui, et fervemment monta du fond de son âme une suppliante prière vers le grand Conservateur de toutes choses. Mais rien ne laissa paraître que le Ciel eût entendu cette ardente supplication du jeune prisonnier.

Ils continuèrent pendant plus d’une heure à descendre le fleuve.

À un balancement particulier, Bill reconnut tout à coup que l’embarcation changeait de direction. Presque aussitôt le canot, lancé avec force, glissa en grinçant sur le sable d’une grève, où il s’arrêta.

Bill en vit sortir quelques Indiens qui lui jetaient en passant des regards pleins de haine.

Puis il se sentit empoigné rudement par des mains vigoureuses, et hissé sur les épaules de deux hommes.

Alors ce fut une course rapide sous bois. Le sol inégal, les mouvements brusques et les pas irréguliers de ses porteurs faisaient souffrir à Bill des douleurs d’enfer.

Son bras blessé le brûlait horriblement. Ajoutez à cela la torture d’une soif atroce, qui lui donnait la sensation d’avoir dans la gorge un charbon ardent.

Mais virilement notre jeune héros interdisait toute plainte à ses lèvres. De toute son énergie, il luttait contre la faiblesse et la fatigue mortelle qui de plus en plus envahissaient ses membres.

Cependant il faut que la Nature ait ses droits. Elle fut plus forte que la force d’âme du jeune homme.

Sa conscience des choses devint de plus en plus indistincte et nuageuse. À la fin une insensibilité bienfaisante enveloppa son esprit, surexcité depuis si longtemps.

Mais quel affreux réveil il devait avoir !

Les mécréants lui allumèrent de la poudre devant la bouche et sous le nez, et le rappelèrent de cette façon au sentiment de la vie.

Comme à travers un voile épais, Bill promena son regard autour de lui.

On lui avait ôté son bâillon de la bouche. Il se trouvait debout, attaché à un tronc d’arbre flexible.

Où qu’il regardât, son œil rencontrait des figures hideusement peintes, dont les traits tordus par d’affreuses grimaces n’exprimaient qu’une diabolique méchanceté.

C’était la fin ! C’était là le lieu de son dernier combat !

Pendant que son profond évanouissement lui tenait les sens engourdis, on l’avait, à défaut de poteau de supplice, attaché au premier tronc d’arbre qui avait paru propre à en tenir lieu.

Devant lui, la figure de diable, barbouillée de couleurs éclatantes, de la Panthère rampante le dévisageait.

— Le Visage pâle, si dédaigneux, va pouvoir montrer son courage ! dit l’Indien de son accent guttural.

Sa droite menaçante balançait un tomahawk dont les rayons du soleil faisaient étinceler le tranchant poli.

Tout à coup, le chef se recula d’une dizaine de pas, sans quitter des yeux le captif.

Pendant ce temps il n’avait cessé de brandir le tomahawk au-dessus de sa tête emplumée.

Avec un cri retentissant, le mécréant lança d’une force terrible l’arme affilée vers la tête sans défense de la malheureuse victime.

La lame étincelante de la hache s’enfonça en sifflant dans le tronc, qui en frémit, juste au-dessus de la tête de Bill.

Mais pas une exclamation, pas un soupir n’échappa aux lèvres du jeune héros. Rien n’altéra la complète impassibilité de ses traits. Pas un tressaillement ne trahit qu’il se fût aperçu du danger qui l’avait menacé.

Bill connaissait parfaitement les mœurs des Indiens.

Il savait que ceux qui l’entouraient de leur ronde sauvage mettraient d’abord toute leur habileté à le frapper d’épouvante et à lui arracher des plaintes, avant d’en venir à le découper lentement membre par membre, à lui arracher les ongles des doigts et des orteils et à se livrer aux autres horreurs que peuvent accomplir leurs couteaux de bourreaux.

Leur donner l’occasion de se délecter de ses plaintes ?… Non, les diables rouges n’obtiendront pas ce triomphe. Jusqu’à l’amertume de la minute suprême, ils ne le verront pas faiblir, et encore moins parviendront-ils à arracher à ses lèvres un cri de douleur. Puisqu’il doit mourir, les coquins témoins de son supplice ne pourront se refuser à reconnaître qu’il est mort sans peur et sans reproche, comme il a vécu.

Cependant leur jeu, aussi hideux qu’effroyable, poursuivait son cours. Criant et hurlant, les plus proches dansaient autour du corps nu, nerveux et musclé, du jeune guerrier malheureux.

Bientôt, au milieu du tapage et des hurlements frénétiques, un des diables rouges vise le poteau, et son tomahawk va tomber devant Bill, près à le toucher.

D’autres bandent leurs arcs dans la direction du prisonnier.

Les flèches traversent l’air en sifflant et se fichent, frémissantes, dans le tronc d’arbre. Le tir en est si sûr que chacune d’elles a effleuré le corps du captif, sans l’entamer.

Plus Bill avait l’air froid et méprisant, moins les muscles de son visage frémissaient, mieux il évitait de laisser dévier d’une ligne sa tête, laissée libre de liens tout exprès, et plus les sauvages altérés de sang devenaient furieux et farouches.

Ils se mirent, tout en continuant leur danse et leurs cris, à lancer vers Bill leurs bowie-knives.

Avec ces couteaux ils bordèrent de près le corps de Bill, dont les contours se trouvèrent ainsi dessinés sur l’arbre.

Mais tous leurs efforts restaient vains. Toutes leurs diaboliques inventions étaient incapables d’effrayer Bill Cody. Un sourire froid et dédaigneux restait fixé sur ses lèvres, et s’il les ouvrait, c’était pour donner passage à une manifestation de mépris, à laquelle répondaient de vrais hurlements de rage.

Soudain la Panthère rampante vint encore le regarder en face. Cette fois, le chef était armé d’un fusil à deux coups.

Il poussa un cri d’une voix enrouée, et prompt comme l’éclair, coucha en joue l’intrépide Bill, qui le regardait fixement.

Les deux détonations se suivirent de près. Une épaisse fumée enveloppa notre infortuné héros.

Les deux balles s’étaient enfoncées dans l’arbre, tout près des deux tempes du jeune homme, si près qu’elles lui avaient brûlé les joues. Si la tête de Bill avait remué de l’épaisseur d’un cheveu, il était tué instantanément.

Obligé de constater l’inébranlable et impassible tenue de sa victime, l’Indien donna libre cours à sa furie. Le sang-froid dont il avait fait preuve jusque-là, le diabolique et hautain mépris sous lequel il cachait les passions qui bouillaient en lui, tout cela parut l’abandonner en un moment.

Avec une vivacité fébrile, il avait rechargé son fusil, et de nouveau il couchait en joue Bill Cody.

— Meurs donc, chien de visage pâle ! hurla-t-il de toute sa voix. Bill avait vu que le coquin le visait au cœur.

— Adieu, mère ! Que Dieu te protège !… et au revoir là-haut !… Telle fut la dernière pensée que Bill crut former sur terre.

Mais au même moment, une forte détonation se fit entendre, venant de côté.

Droit au milieu du canon, le fusil de la Panthère rampante était brisé, avant qu’il eût eu le temps de tirer.

— Arrière ! loin de cet homme, là !… La mort à qui ose le molester !… Voilà ce qu’entendit Bill, prononcé par une voix d’homme, impérieuse et rude.

Tout près, un bruit de piétinement de chevaux.

Ô Ciel, royaume de grâce ! Ainsi, à l’heure suprême, à la minute décisive, le salut s’approchait !

Pour la première fois depuis qu’il était au poteau du supplice, Bill remua la tête et la tourna de côté.

Son émotion était trop forte. Il fallait qu’il regardât celui qui lui sauvait la vie.

Mais ses genoux fléchirent sous lui, et le plus horrible désespoir déchira son cœur vaillant.

Il aperçut une poignée d’aventuriers à mines farouches, qui, montés sur des chevaux ardents, envahissaient le campement indien.

En un clin d’œil, ces hommes entourèrent le poteau du supplice. À leur tête était Jesse James, le bandit.

Bill rencontra son regard d’homme de proie, brillant et implacable. Il sut dès lors que c’en était fait, cette fois, et qu’il n’y avait plus pour lui aucun salut d’aucune sorte.

Pour l’Honneur et la Vie.

Le réveil de l’infortunée Louisa n’avait pas été moins affreux que celui de son jeune et héroïque protecteur.

De même que Bill, lorsque la jeune fille était revenue à elle, elle était depuis longtemps au pouvoir des Peaux-Rouges.

La première impression de Louisa en reprenant ses sens, fut qu’on l’emportait à toute vitesse à travers la forêt.

Elle sentit ensuite qu’elle était de nouveau garrottée.

Les liens de ses mains et de ses pieds lui mordaient impitoyablement la chair, lui causant des souffrances indescriptibles.

Mais incomparablement plus cruelles que ces souffrances étaient les tortures que son esprit endurait, l’incertitude dont elle était tourmentée.

Qu’était devenu le jeune maître au cœur de lion, qui avait exposé sa vie pour la sienne ?…

Quel serait son propre sort, et vers quel effroyable avenir les impitoyables ravisseurs rouges l’entraînaient-ils ?

Par bonheur, l’épouvante et l’effroi lui enlevaient encore en partie la perception nette des choses ; de sorte qu’elle ne parvint pas à prendre une idée exacte de son épouvantable situation ;… et ce fut un bonheur, répétons-le, sans cela elle serait infailliblement morte d’horreur.

Ils allaient toujours plus loin, toujours plus loin.

Louisa ne pouvait mesurer s’il y avait peu de temps ou des heures qu’on l’entraînait de cette façon ; elle n’avait plus aucune notion du temps ni de l’espace.

Tout avait fini par être purement machinal pour elle, pendant qu’elle allait, secouée par le pas saccadé des porteurs.

Elle revit, dans cette course, la cabane qui leur avait servi de retraite, à elle et au vaillant jeune homme, – à moins que ce ne fût une autre, y ressemblant.

À un moment, la jeune fille se sentit enlevée de nouveau par des bras vigoureux, et déposée dans une sorte de litière étroite.

Puis il lui sembla, dans cette espèce de cercueil, que s’évanouissait le soleil de son jeune printemps et que s’ouvraient devant elle les portes obscures de la mort.

Une nuit noire s’était faite autour d’elle.

Peu à peu ses esprits l’abandonnèrent. Elle ne conservait plus que la sensation de l’air de plus en plus épais, lourd, vicié, irrespirable.

Lorsque Louisa se réveilla de cet engourdissement, sur le lit de camp couvert de foin où on l’avait étendue, elle se dressa à moitié en étouffant un cri.

Très troublée, elle regarda autour d’elle.

Elle était si étonnée et inquiète qu’elle remarqua à peine qu’on l’avait délivrée de ses liens et qu’elle pouvait remuer librement.

Elle se trouvait dans une sorte de vaste fosse, dont les parois et la voûte étaient revêtues d’épaisses planches de chêne.

Louisa eut l’impression qu’elle était sous terre, probablement dans une mine de son père.

Dans cette espèce de salle souterraine régnait une lueur crépusculaire. Cette clarté venait d’une lampe à lumière fumeuse et trouble, qui reposait sur une table grossièrement équarrie.

Sur un banc de même fabrication un homme était assis, les bras croisés, vêtu comme un coureur des bois.

Son chapeau à larges bords était tiré bas sur son front, ce qui mit Louisa dans l’impossibilité d’apercevoir ses traits ; elle vit seulement qu’il ne portait pas de barbe. Mais elle n’en eut que plus violente l’impression de deux yeux éclatants, qui, sous le chapeau, étaient braqués sur elle et la brûlaient…

Pour se soustraire à ce regard, qui l’effrayait et l’indignait, elle se leva d’un mouvement rapide et se mit à genoux sur les planches dures du lit de camp où elle s’était jusque-là reposée ; puis elle poursuivit son examen de la salle. Auprès d’une sorte de chemin en pente qui pouvait conduire à l’orifice de la fosse, elle vit deux Indiens de haute stature qui montaient la garde, le tomahawk affilé en leurs mains croisées, aussi raides et immobiles que s’ils étaient de pierre.

Avec un frisson, la jeune fille détournait les yeux de ce spectacle, lorsqu’un mouvement brusque de l’homme assis à la table, derrière elle, les ramena de ce côté.

Il s’était levé vivement. D’une secousse rapide il dégagea son front en renvoyant son chapeau en arrière, et il offrit ses traits en plein à la vue de la jeune fille. Louisa, au comble de l’épouvante, fixait sur lui des yeux hagards.

Elle reconnaissait en lui un étranger qui s’était naguère introduit dans la propriété de son père et qui avait tenté de s’emparer d’elle.

Mais la robuste main de son fiancé avait mis en fuite le larron et l’avait, cette fois-là, sauvée, et maintenant elle était tombée au pouvoir de ce même individu, tandis que son bien-aimé Charles…

Vaincue par l’horreur, la crainte et une douleur sans nom, la malheureuse se cacha le visage dans les deux mains et se mit à sangloter amèrement.

— Il ne vous faut pas pleurer ! dit l’odieux étranger d’une voix qu’il faisait mielleuse et caressante. Remettez-vous, belle demoiselle ! Séchez ces larmes qu’il n’est point nécessaire de répandre, du moins avec tant de violence, car votre sort est entre vos mains.

Mais Louisa n’écoutait point ses paroles. Une indignation, qu’il n’y a pas de mots pour décrire, la soulevait toute.

Se dressant sur ses pieds, de l’air méprisant d’une reine ou d’une déesse justicière, elle s’avança vers le scélérat.

— Monstre, quelle audace est la vôtre, de me faire enlever violemment ? s’écria-t-elle, d’une voix forte et assurée. Que vous a fait mon père, et mon fiancé ? Assassin sans entrailles, qu’avez-vous fait de la vie de ceux qui me sont chers ?

Mais le terrible effort qu’elle venait de faire pour affronter cet être abominable l’avait épuisée, et elle retomba dans une nouvelle crise de larmes.

— Ceux que j’aimais sont morts, cria-t-elle au milieu de ses sanglots. Que t’avaient-ils fait, monstrueux assassin ?

Puis, dans un revirement subit de sentiments et d’impressions, elle se jeta à genoux devant l’homme, et les mains étendues vers lui, comme une suppliante :

— S’il reste en vous une lueur de pitié, dit-elle d’une voix plaintive, apprenez-moi ce que mon père et mon fiancé sont devenus. Ô mon Dieu ! je me souviens que je les ai vus couverts de sang… et puis la nuit vint, la terrible nuit, tout autour de moi… Je t’en conjure, homme, – qui que tu sois, – mets fin à cette affreuse incertitude, qui me torture… Apprends-moi si j’ai bien vu… si tes mains meurtrières ont été vraiment assez criminelles pour les mettre à mort, eux la force et le soleil de ma vie… ou si tout cela n’a pas été seulement un rêve, et si je dois encore espérer !

L’homme l’avait écoutée les bras croisés.

— Vous demandez beaucoup en une fois, ma belle ! dit-il d’un ton ironique et léger. Où sont-ils ? Qu’est-il devenu, lui et vos parents ? Et qui suis-je, moi-même, au bout du compte, et pourquoi me suis-je permis de modifier un peu le cours de votre destinée ? En vérité, vous avez parfaitement raison de vouloir savoir tant de choses, – et je vous promets que je serai disposé à répondre à toutes ces questions dans leur ordre, si vous êtes raisonnable et gentille, ma douce petite.

Il eut un bref éclat de rire et pivota sur ses talons.

— Et d’abord, la question de localité, toute belle. Vous vous trouvez dans une galerie des mines paternelles – dans une partie abandonnée, il est vrai, et qu’on n’exploite plus depuis des années. Pour ce qui est de votre sort à venir, ma gracieuse enfant, je vous ai déjà dit qu’il dépend entièrement de vous-même ; enfin qui je suis, ce gaillard peut vous le dire.

En même temps il désignait de l’œil un des Indiens qui gardaient l’entrée.

Louisa vit avec un grand étonnement que ces deux Peaux-Rouges portaient une riche coiffure de plumes, qui indiquait qu’ils avaient le rang de chef dans leurs tribus.

Comment ces fiers guerriers en étaient-ils arrivés à garder humblement une porte, comme des chiens ?

Obéissant au signe de l’étranger, l’un d’eux s’avança :

— Ami, dis-lui qui tu es ! La Colombe blanche veut le savoir, dit l’homme sur un ton de commandement.

— Ma tribu me nomme l’Orateur de la Prairie, dit d’une voix sonore l’Indien interpellé, les bras croisés sur la poitrine, dans une attitude où l’humilité se mêlait à la connaissance et à l’orgueil de sa propre valeur. Mais les visages pâles pleurent et tremblent comme des enfants poltrons quand le nom de Satanta arrive à leurs oreilles. Satanta est un grand chef. Il n’est pas un guerrier Kiowah qui n’ait baissé la tête devant lui, et lui, Satanta, ne connaît qu’un homme qu’il serve avec respect et docilité.

— Et qui est cet homme ? interrogea de nouveau l’étranger. Parle encore à la demoiselle, Satanta.

L’orgueilleux chef plia le genou.

— C’est toi, seigneur !

— Et comment me nommes-tu, ami Satanta ?

— Tu es la Volonté du Manitou, et nous t’appelons son Messager, le Seigneur ! répondit avec solennité l’Indien pliant toujours le genou.

— Je te remercie, ami Satanta, reprit le « Seigneur » d’un air détaché. Tu peux maintenant te retirer, avec le brave Tall Bull. C’est aussi un grand chef, parmi les Sioux, et comme toi il est mon ami.

Les deux chefs s’inclinèrent respectueusement avec la dignité propre à leur race, puis ils se retirèrent au-delà de la fermeture en planches qui servait de porte.

Les yeux grands ouverts, au comble de la stupéfaction, Louisa avait laissé se jouer devant elle cette scène, bien significative dans sa courte durée.

Ce qu’elle venait de voir renversait toutes les notions qu’elle avait eues jusqu’ici sur les Indiens.

Pour elle les Peaux-Rouges étaient des sauvages nettement divisés en tribus, la plupart du temps hostiles entre elles, et qui, lorsqu’ils font la guerre, se livrent à toutes les dévastations.

Et voilà qu’elle voyait deux chefs, l’un Sioux, l’autre Kiowah, ennemis jurés d’ordinaire, qui se reconnaissaient soumis aux mêmes devoirs et aux mêmes services envers un homme étranger à leur race et qu’ils vénéraient comme un être supérieur !

Le « seigneur » n’avait pas détourné ses regards de la jeune fille ; on eût dit un dévot les yeux fixés sur sa madone.

— Vous voyez, belle demoiselle, fit-il avec un rire satisfait, que vous ne vous trouvez pas au pouvoir du premier venu.

Mais il s’arrêta bientôt devant l’expression de physionomie de sa victime. Un monde d’aversion et d’horreur s’y lisait clairement. Et de ses lèvres frémissantes s’échappèrent ces paroles :

— Que d’autres vous honorent ! Je ne vois en vous que l’infâme meurtrier de ceux que j’aimais, et le scélérat qui a détruit le bonheur de mon existence !

Le rire qui entrouvrit les lèvres de l’homme et laissa voir ses dents de loup, aurait dû avertir la jeune fille qu’il était prudent de ne point parler davantage. Mais l’élan de sa noble indignation l’emportait ; elle reprit :

— Ah ! il avait ses raisons pour vous craindre, mon pauvre père ! Il avait ses raisons pour ne parler de vous que dans les termes les plus méprisants, de Don Ramiro… ou quel que soit le nom dont vous, vous nommiez. Vous n’avez apporté à ceux qui me sont chers que l’épouvante et la mort. Vous avez arraché l’époux à sa femme… Vous m’avez ravi ma mère et ma sœur ;… et maintenant c’est sur moi que vous allongez vos mains fumantes de sang, monstre plus effroyable que tous les maux de la terre réunis !… S’il est un Dieu dans le ciel, il veut… il doit vous frapper et vous punir !

L’effet de ces paroles hardies et imprévues sur l’homme debout devant elle fut terrible.

La veine de la colère se gonfla sur son front bas. Ses yeux sournois lancèrent des éclairs de rage, et une étrange expression de haine se répandit sur sa sombre physionomie.

— Qu’oses-tu dire, folle ! siffla-t-il. Ne t’a-t-il donc pas dit, cet homme que tu appelais ton père, qu’en mon enveloppe charnelle il n’y a point d’âme ; que le tigre, dans sa fureur aveugle, est un doux agneau, comparé à moi lorsqu’on ose m’irriter ?… Misérable folle, ne comprends-tu pas qu’il ne dépend que d’un clin d’œil de moi pour t’exposer à des tortures si raffinées dans leur horreur que ta cervelle de pigeon ne saurait les concevoir, encore moins les endurer.

Mais instantanément ses traits se rassérénèrent.

— Et pourquoi m’échauffer, après tout ? dit-il d’un ton tout différent et avec un rire indulgent, comme on en a à l’égard des enfants gâtés. C’est vrai, ce Mr. Huntington avait certaines raisons pour se garer de moi et éviter ma colère… Mais ne lui avais-je pas dit que je le retrouverais et que la mort serait l’expiation de son insolence d’oser contrarier ma volonté ?… Pourquoi a-t-il eu l’audace de vouloir me priver de cette cassette ?… Il aurait pu vivre avec vous tous dans la paix, s’il ne m’avait pas traité avec arrogance. Mais il me fallait cette cassette… il me la fallait, entends-tu, jeune fille ? Et puisqu’il ne me la donnait pas de sa libre volonté et que j’étais obligé de monter sur des cadavres pour m’en assurer la possession, ma foi ! je suis monté sur des cadavres… et la cassette est maintenant entre mes mains.

Avec un rire féroce il montrait une cassette de métal d’un brillant poli, placée sur la table, non loin de la lampe.

Un frisson saisit Louisa et la secoua de la tête aux pieds. Elle avait reconnu dans cette cassette un petit meuble que son tendre père conservait avec soin et qui, d’après ses propres déclarations, enfermait le secret de la vie de la jeune fille et la révélation du passé.

— Vous tous, vous ne m’importiez en rien ; je n’avais besoin que de cette cassette, continua Don Ramiro avec un accent d’ironie voulu. L’excellent Mr. Huntington peut vous avoir dit, ma belle demoiselle, que le contenu de cette cassette vous touche de très près ?… Non ?… Alors, je dois vous déclarer que, jusqu’à votre dernier soupir vous ne saurez pas exactement ce qui s’y cache. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce contenu est tout à fait particulier et qu’il m’oblige, malgré mes regrets, à vous mettre, ma belle jeune fille, en demeure de faire un choix, qui vous paraîtra étrange non moins que cruel… J’ajoute que ce choix, c’est aujourd’hui, c’est même sur l’heure que vous devez le faire. Vous êtes complètement en mon pouvoir, par conséquent, je pourrais faire ce choix moi-même à votre place, et vous contraindre à obéir à ma volonté. Mais j’ai mes raisons pour vous laisser libre, et vous donner par là l’option entre la vie et la mort… Et maintenant, ma belle jeune fille, écoutez-moi, si c’est l’effet de votre bon plaisir.

Il était debout, s’appuyant au bord de la table, le visage tourné vers elle ; il appuyait ses mains sur ses hanches, et il la regardait fixement :

— Apprenez d’abord qui je suis. Je mène une vie double. En public, je suis un riche, sinon le plus riche planteur du Sud, possesseur de milliers d’esclaves, et naturellement très intéressé dans cette guerre au succès de nos braves États. Dans ce rôle-là, on me nomme Don Ramiro… et je puis bien dire que ce nom est également estimé, honoré et redouté !

Il s’interrompit avec un petit rire railleur, comme pour laisser à ses paroles le temps de produire leur effet sur Louisa. Mais plus il parlait, moins l’innocente enfant le comprenait. Elle ne savait qu’une chose, qu’elle sentait confusément dans chacune de ses paroles, – c’est que c’était un meurtrier inaccessible à la pitié, dont la main sanglante s’était abattue sur le bonheur de sa vie.

— Et maintenant ce choix, que je regrette d’avoir à vous mettre en demeure de faire ! continua Don Ramiro. Il s’agit de savoir, ma gracieuse colombe, si tu dois aujourd’hui devenir mienne…

Le regard de la jeune fille avait dans sa douceur une telle expression de réprobation justicière, qu’il s’interrompit malgré lui.

Mais le moment d’après, il frappait du pied avec impatience et avait repris tout son aplomb.

— Devenir mienne ! répéta-t-il avec force. Je m’exprime assez clairement, je crois !

— Jamais !

Louisa cria ce mot, pleine d’une farouche indignation, tandis qu’un frisson glacé courait par tous ses membres.

— Jamais, répéta-t-elle, toute soulevée de colère. Vos paroles sont infâmes. Vous n’avez pas d’honneur !… Vous abusez lâchement du pouvoir que vous avez usurpé sur moi… Mais j’aimerais mieux mourir, Don Ramiro, que d’être votre compagne… votre femme… Ah ! Ah ! le scélérat dont les doigts sont encore fumants du sang répandu de mon père chéri… de mon fiancé, plus aimé que tout le reste du monde !

Mais elle s’arrêta subitement. Le rire diabolique et le regard fixe de Don Ramiro, lui figeaient le sang dans les veines.

— Ne sois pas trop insolente, petite ! On donne les verges aux enfants gâtés, fit Don Ramiro d’une voir sifflante, avec un accent de dur mépris. Qui t’a dit, folle enfant, que je te veuille pour compagne ?… Apprends donc que, devant le monde, j’ai une femme qui porte mon nom et qui partage avec moi le respect du pays… Ce que tu as à choisir, c’est la mort, ou un instant d’ivresse dans mes bras, comme une amante qui s’offre librement !

Une pâleur mortelle avait envahi les joues de la jeune fille. À chacune de ces paroles tout son corps frissonnait et se contractait comme sous des coups de fouet infâmes.

Cependant elle reprit bientôt possession d’elle-même. Les larmes se séchèrent dans ses yeux. Une expression de noble fierté se répandît sur ses traits décolorés.

— J’attends la mort ! dit-elle, frémissante. Don Ramiro la regarda comme s’il ne l’avait pas bien entendu.

Puis, d’un bond, il se plaça devant elle, la couvant de son œil sombre, où luisait une résolution passionnée.

— Es-tu folle, jeune fille ? lui demanda-t-il encore une fois. Il est facile de parler légèrement de la mort, mais mourir est dur, surtout à ton âge ; et en vérité, elle ne serait pas douce, la mort qui t’attendrait… Mes fidèles, les Sioux, les Kiowahs, les Comanches, les Apaches – je ne peux les nommer tous, – prêts à obéir à un signe de ma main, savent admirablement martyriser. Qu’ils aient à préparer les affres de l’enfer pour un guerrier farouche, ou à déchiqueter et à déchirer de leurs mains un corps de vierge blanc comme les lis, ils ne font aucune différence. Ils ne savent pas ce que c’est que la miséricorde ; la pitié leur est aussi étrangère qu’à moi-même. Fais attention à cela, folle que tu es ! Réfléchis d’abord, tu choisiras ensuite !

Louisa fit appel à toute sa force de résistance. Elle se redressa d’un mouvement rapide, et avec un calme qui ajoutait un charme de plus à sa gracieuse innocence, elle répondit :

— Ceux que j’aimais sont morts, mais ils m’ont appris à estimer l’honneur plus haut que la vie. L’infamie que recèle votre proposition, que le ciel vous la pardonne ! moi, je ne peux pas le faire… Vous m’avez mortellement offensée. En tout cas, voici ma réponse. Appelez tout de suite les valets du meurtre. Je saurai vous montrer à tous, bien que je ne sois qu’une faible fille, comment on meurt avec courage et résignation !

Mais ce discours parut ne faire aucune impression sur Don Ramiro.

Enfoncé dans un sombre silence, il ne le rompit que longtemps après que Louisa eut cessé de parler.

— Je veux, dit-il, pardonner ces paroles à ton inexpérience. Tu ne sais pas devant qui tu es… Sache que je suis un homme qui n’a jamais laissé une seule offense sans vengeance… Pour chaque mot allant trop loin, tu seras punie toi aussi, note bien cela ! D’ailleurs, je ne m’échauffe pas à ton sujet ; je ne recherche pas ton amour… Je n’ai pas à feindre avec toi. Eh bien ! je n’ai jamais encore aimé de femme ; jamais une femme ne m’a inspiré le chaud sentiment de la tendresse… Tu me seras toujours aussi indifférente que tu l’es maintenant. Mais les circonstances me commandent. Tu es un danger dans ma vie. Si je te fais mourir, tu es, il est vrai, hors de mon chemin, tu ne peux plus jamais me nuire… mais ton ombre le peut ! Une fois accompli, le fait peut s’ébruiter et me devenir fatal. Ce n’est pas vraisemblable, sans doute, mais c’est cependant, toujours possible. Comme tout homme de sens rassis, je ne m’appuie qu’à contrecœur sur la vraisemblance ou son contraire ;… c’est pourquoi je ne te ferai mourir qu’en cas de nécessité absolue. Comprends-moi bien, petite : ce n’est ni par sympathie, ni parce que tu es jeune et ce que les hommes appellent belle. Tes charmes ne m’émeuvent pas et ta beauté ne me dit rien. Je te hais, comme je hais le monde entier… Oui, si je pouvais faire que l’humanité n’eût qu’une seule tête, je l’abattrais d’un seul coup de sabre !

Il était hideux en ce moment. Ses yeux roulaient farouchement dans leurs orbites et lançaient du feu. On entendait ses dents grincer les unes contre les autres, et l’excès de sa rage mettait un tremblement dans tous ses muscles. Il continua :

— Si je te ravis ce qu’on appelle l’honneur des filles, cela pareillement ne me servira de rien, car tu pourras toujours te plaindre d’être une victime de la violence ; – et alors tu serais encore un danger pour moi. Non ! ce qu’il faut, c’est que tu te donnes à moi librement, sous les yeux de personnes soigneusement choisies par moi, qui puissent croire à la sincérité de ton sentiment et à l’abandon volontaire de tes principes ; et pour cela, tu devras me combler des marques de ton amour et de ton ardeur… Après, il arrivera ce qu’il pourra… après, tu pourras vivre, car tu ne seras plus jamais un danger pour moi ni pour mes fiers desseins.

Il eut un rire effrayant en prononçant ces derniers mots ; puis il se tut, les yeux fixés sur la jeune fille qui tremblait comme les feuilles du peuplier, et dont il attendait impatiemment la réponse.

Mais elle ne lui répondit pas un mot. Surmontant son émotion, elle l’enveloppa d’un long et énigmatique regard, où se reflétait tout un monde de pensées ; puis, toujours muette, elle se détourna.

La veine de la colère se gonfla de nouveau sur le front de l’homme. Il s’élança vers Louisa et lui prit la main avec une violence si brutale qu’elle ne put retenir un cri.

— Enfant insensée ! s’écria le scélérat. La simple pression de ma main t’arrache un cri de douleur, et tu crois pouvoir supporter la mort sous sa forme la plus effroyable et la plus cruelle !… L’orgueil se lit sur tes traits… Ah ! ah ! ah ! Cela vous a un air si héroïque, de préférer la mort au déshonneur !… Mais ne compte pas sur ma pitié… je n’en possède pas une parcelle, je te le répète… Je regrette déjà de m’être laissé aller à causer avec toi… Mais tu as choisi, et je vais appeler les inexorables exécuteurs de mes arrêts. Ainsi tout regret est tardif et inutile. Tu es et restes perdue.

La jeune fille blêmit encore, mais sa bouche se contracta en un rire de dédain.

— Je préfère la mort à l’ignominie d’être obligée de respirer quelques secondes de plus le même air que vous, Don Ramiro ! dit-elle.

Elle avait fait effort pour rendre sa voix ferme. L’insulté pâlit, à son tour, jusqu’à la racine des cheveux. Emporté par la fureur, il fit un mouvement comme pour s’élancer sur Louisa et l’étrangler de ses doigts crispés.

Mais brusquement, il parut céder à une autre pensée, et sa physionomie reprit son expression ordinaire.

— Écoutez-moi ! commença-t-il après un instant de réflexion. Vous vouliez savoir tout à l’heure ce qu’est devenu votre fiancé… Qu’arriverait-il si je consentais maintenant et ici-même à vous donner ce renseignement ?

Dès les premiers mots, un changement surprenant s’était produit sur les traits de la jeune fille.

Elle se cacha le visage dans ses mains et se mit à sangloter amèrement. La surexcitation de son âme était si intense, toutes les fibres de son corps étaient tellement tendues dans l’attente de la torture, qu’il suffit de la mention de cet être cher pour lui ravir tout ce qui lui restait du sens de la réalité.

— Charles !

Comme un cri de désir parmi les sanglots, ce cher nom revenait toujours sur ses lèvres.

Elle ne s’inquiétait pas de l’air de Don Ramiro, qui semblait la guetter avec une attention aiguë.

Cédant à une impulsion soudaine, elle se précipita à ses pieds et lui embrassa les genoux en un geste de fervente prière.

— Et vous aussi, une mère vous a porté ! gémit-elle. Par la tête de cette femme qui doit vous être chère, je vous conjure… ne me mettez plus les nerfs à l’épreuve avec cette idée de torture :… ne m’entraînez pas dans la nuit délirante du désespoir ; mais dites-moi ce qu’il est advenu de Charles Davis et de mon pauvre et respectable père.

Et sans attendre la réponse de Don Ramiro, la malheureuse se tordait les mains dans un nouvel accès de désespoir.

— Qu’est-ce que je demande ?… N’ai-je pas vu de mes yeux mes bien-aimés couchés dans leur sang ? s’écria-t-elle avec une douleur poignante. Ô homme exécrable, ce que vous avez fait, vous ne pourriez pas dans toute l’éternité en faire une chose bonne, sans parler du compte que vous avez à rendre à Dieu !

Don Ramiro souriait avec indulgence.

— Laissez-moi ce soin ! reprit-il au bout d’un instant. Mais vous ne devriez pas en croire trop vos souvenirs… En ce qui concerne l’homme que vous appeliez votre père et que vous croyez devoir respecter, bien qu’il mérite peut-être beaucoup plus votre haine et votre mépris, il n’y a rien de caché… il est et reste aussi mort qu’un homme peut l’être. Au contraire, votre promis tendrement aimé, Charles Davis…

Il s’arrêta tout à coup, pour se repaître les yeux de la figure troublée de sa victime, qui dénotait une extrême angoisse en même temps que l’attente avide et impatiente d’en être délivrée.

— Au nom de la Miséricorde divine, fit-elle, qu’est devenu… qu’est devenu Charles Davis ?

Louisa n’avait plus d’autre idée que celle-là. La violence de son émotion lui permettait à peine de parler.

Elle était tellement inquiète du sort de l’homme qu’elle aimait, que son esprit, travaillé par la fièvre, ne pouvait s’occuper d’autre chose. Plus tard seulement, elle devait réfléchir aux indications que Don Ramiro lui avait données relativement à l’homme qu’elle tenait pour son père.

Calme, faisant montre d’une entière indifférence, Don Ramiro, le sang-mêlé, était toujours debout. Mais cette indifférence n’était qu’un masque, derrière lequel il cachait l’impatience fiévreuse de ce qu’allait dire et faire sa prisonnière à genoux devant lui.

— Pour quelqu’un qui a déjà renoncé à la vie et qui se prépare à la mort, vous êtes remarquablement avide de nouvelles, ma belle enfant, dit-il reprenant son ton hautain et son ironie tranchante. Mais soit ! Je suis, en un sens, d’humeur généreuse, ce qui ne se voit pas souvent chez moi… Eh bien ! sachez donc que l’homme qui est si près de votre cœur, vit… et que, cependant, il est mort… Un seul homme est capable de le sauver du sort le plus effroyable qui puisse émouvoir une poitrine humaine,… je veux dire d’être enterré vivant, pour se réveiller d’abord dans l’épaisse nuit du tombeau, loin de tout secours humain, et pour y périr ensuite lentement et misérablement… Cet homme unique, c’est moi… moi tout seul !

La pauvre et charmante enfant, jouet des sentiments les plus contraires, était toujours à genoux. La tête lui tourna aux révélations de cet homme plein de mystères.

Elle fixait son regard incertain et troublé sur l’hypocrite qui affectait de rire.

— Je ne vous comprends pas. Vous dites que mon fiancé est en vie… et cependant qu’il est mort… Qu’est-ce que cela signifie ? Oh ! ne m’énervez pas avec des images de supplices ; si vous aviez aimé, vous sauriez ce que c’est que de devoir constamment craindre pour les jours de l’être qu’on aime !

Et des larmes coulèrent, amères et abondantes, sur le visage désolé de Louisa.

— J’ai peu de mots à ajouter, dit le sang-mêlé du même ton détaché que tout à l’heure. C’est que le sort de cet homme, que vous déclarez aimer d’un amour extraordinaire, c’est vous qui avez à en décider.

— Moi ? s’écria Louisa, étonnée.

Ses yeux, rivés sur Don Ramiro, perdirent promptement leur animation et n’exprimèrent plus qu’une complète incrédulité.

Mais elle dut les baisser sous le feu impur qui éclatait dans les sombres et flamboyants regards du sang-mêlé, et qui fit passer un frisson par tout son jeune corps.

— Vous, et seulement vous ! répéta don Ramiro avec une insistance impressionnante, tout en se rapprochant d’elle. C’est en vos mains que je remets la décision qui réglera le sort de ce Charles Davis, lequel est maintenant gisant en un caveau secret de ma maison de campagne, sur l’autre rive du Missouri, dans un état qui ressemble à la mort, – mort et pourtant vivant, – incapable de lever un doigt ou de commander à son cœur un battement, et pourtant capable de comprendre clairement toutes les paroles prononcées dans son voisinage.

— Effrayant !… Vous êtes un démon… Un démon seul peut imposer de telles tortures à un malheureux, soupira la jeune fille, affolée de douleur.

Don Ramiro ne tint pas compte de l’interruption. Il la couvait du regard, comme le serpent venimeux fait de sa victime fascinée, avant de se jeter à sa mortelle étreinte.

— Et maintenant décidez ! poursuivit-il d’une voix rauque. Renoncez à ce qu’on appelle l’honneur, et déterminez-vous à vivre pendant une semaine au milieu d’un camp indien avec moi. Vous feindrez pour moi de l’amour et de la tendresse, de façon à persuader tout le monde que c’est librement que vous vous êtes jetée dans mes bras ; – et non seulement votre Charles, intact, sain et sauf, ressuscitera d’entre les morts, mais encore il ne saura rien de nos petits arrangements, à moins que vous ne soyez assez folle pour vendre la mèche ; et à la fin de la semaine, vous serez unie à lui. Ainsi, dans les bras de l’homme aimé, vous pourrez vous dédommager avec usure de ce que vous m’aurez sacrifié auparavant.

Il ponctua d’un rire hideux ces paroles, qui étaient autant de coups de poignard dans le cœur de Louisa.

— Mieux encore : comme compensation du dommage fait aux mines de l’homme que vous appeliez votre père, je vous compte dix mille dollars. Vous pouvez vous transporter dans un autre pays plus heureux, et, loin du théâtre d’une guerre sanglante, mener une vie pleine des délices de l’amour auprès de votre bien-aimé, – jouir d’avance du Ciel sur la terre.

Il attendit, mais en vain, qu’un mot sortît des lèvres convulsées de la jeune fille.

En proie à une agitation qui la dominait toute, Louisa, toujours à genoux, pouvait à peine conserver son équilibre ; son corps vacillait de côté et d’autre comme sous l’influence de l’ivresse.

— Est-ce pour bientôt ? fit enfin Don Ramiro d’une voix menaçante, en frappant impatiemment le sol du pied.

Encore point de réponse. Un sanglot convulsif, fut tout ce que les lèvres laissèrent échapper de la détresse de l’âme.

— Jeune fille, ma patience est épuisée. Ne crois pas pouvoir me retenir plus longtemps. Si tu n’es pas mienne pendant que je le veux encore, tu appartiens dès cet instant, à titre de butin, et de butin agréable, crois-le, à ces mêmes Indiens que tu as vus. Ils te feront mourir dans les plus cruels tourments… Et pour que ton bien-aimé te maudisse, je prendrai soin, avant de l’enfermer dans le cercueil et de l’enfouir vivant dans la terre, de lui murmurer à l’oreille que tu aurais pu le sauver, mais qu’un caprice t’a fait refuser de prononcer le mot libérateur ; de sorte que le malheureux, dans son épouvantable tombe, mêlera à son dernier râle une malédiction contre toi !

L’infortunée Louisa tremblait sous ces paroles, dans une fièvre d’épouvante et d’horreur.

La nouvelle que l’élu de son cœur était encore vivant l’avait ranimée, lui donnant une plénitude de joie qu’elle ne connaissait pas encore. Elle était, dans le premier moment, si transportée de gratitude qu’elle aurait humblement baisé les pieds du métis.

Mais cette exaltation d’un enthousiasme excessif n’avait duré que quelques secondes, et elle était retombée dans l’abîme sans fond du désespoir le plus amer.

Comment pourrait-elle satisfaire à ce que ce monstre détestable exigeait d’elle ?

Louisa plaçait sa vertu plus haut que sa vie ; elle aurait volontiers donné celle-ci à l’homme aimé ; mais elle ne pouvait pourtant pas lui faire le sacrifice de son honneur !

Non ! Charles lui-même lui ordonnerait de ne pas le faire ; tel qu’elle connaissait son bien-aimé, il préférerait la mort.

Et comment pourrait-elle soutenir la pensée de se présenter jamais à ses yeux avec le stigmate de la honte sur son front souillé ?…

— Non ! mille fois non !

Cette exclamation sortit inconsciemment de la bouche de la jeune fille qui, dans le tourbillon de ses pensées, avait presque oublié le lieu où elle se trouvait.

En même temps elle se relevait, les traits rayonnant d’un éclat surnaturel.

Don Ramiro tressaillit, comme arraché à ses réflexions.

— Qu’est-ce que cela signifie ? hurla-t-il, plein de fureur. Votre fiancé et son sort vous intéressent-ils si peu que vous osiez encore me braver ?… Avez-vous oublié que je sais le moyen de lui faire quitter cette vie en vous maudissant ?

— Ceci est entre les mains de Dieu… et d’ailleurs il faut toujours souffrir l’amertume de la mort… Là finit votre puissance… Mais notre âme, la partie de nous-même qui ne meurt pas, monte vers Dieu. C’est lui, lui qui est l’Amour, qui nous unira, en un lieu où il n’y a plus ni séparation ni mort, et où tous les artifices et toutes les méchancetés du Malin ne pourront plus troubler notre pur et délicieux bonheur !

Ce fut avec l’enthousiasme d’une visionnaire, les bras étendus, comme si elle voyait déjà les portes du Paradis grandes ouvertes devant elle, que la jeune fille prononça ces mots.

— Ainsi vous choisissez la mort ? siffla le sang-mêlé.

Louisa répondit d’un signe de tête. Elle le regardait les yeux pleins de flamme, impuissante à dire une parole.

— Idiote ! au lieu de m’écouter, tu vas te laisser dépecer au gré des fantaisies bestiales d’indiens ivres de sang !

— L’ignominie des autres ne saurait être un déshonneur pour moi ! dit la jeune héroïne avec calme. Seule ma volonté peut me salir. Et c’est pourquoi je meurs pleine de confiance, et je prierai encore, au dernier moment, pour vos valets assassins, misérables dévoyés, qui ne savent guère ce qu’ils font… Quant à vous. Don Ramiro, je vous assigne devant le tribunal de Dieu, et vous m’y rendrez des comptes durant l’éternité !

Il y avait dans toute la personne de Louisa une telle noblesse et une telle grandeur que Don Ramiro lui-même, tout endurci qu’il fût, ne trouva dans le premier moment rien à répliquer, et ne put s’empêcher d’admirer la radieuse figure debout devant lui.

Mais cela ne dura qu’une minute ; aussitôt après le vieil homme reparut.

Un cri qu’on ne peut appeler que bestial entrouvrit ses lèvres minces. La certitude que, contre la pureté de cette âme de vierge, toutes ses machinations devaient se réduire à néant, le jeta dans un accès d’aveugle frénésie.

Un instant, il se replia sur lui-même comme s’il prenait son élan pour se jeter sur cette fille têtue et l’étouffer de ses mains. Mais, au milieu de son mouvement, il s’interrompit et se mit à écouter avec une grande intensité d’attention.

On avait tiré un coup de feu à l’extérieur, et la galerie souterraine en avait répété l’écho jusqu’en ses profondeurs.

Une seconde encore, Don Ramiro écouta avec une incroyable expression de trouble sur la physionomie, comme si la possibilité d’un tel événement fût absolument en dehors de toutes ses prévisions.

Mais une seconde détonation résonna bientôt, puis, sans intervalle et venant évidemment d’un revolver, une troisième et une quatrième.

Les traits du coquin, tout à l’heure encore si impérieux, exprimaient un effroi farouche.

Inquiet, plein d’une angoisse croissante, il regardait autour de lui, comme pour chercher un coin, où il pourrait se soustraire au danger menaçant.

Un mépris sans borne envahissait le cœur de Louisa.

Avec l’instinct de l’innocence, elle perçait à jour tout ce qu’il y avait de faux dans cet homme. Aucun sentiment n’habitait en son âme. C’était un despote féroce, capable de contempler voluptueusement les douleurs de ses semblables, mais qui devenait un lamentable lâche dès qu’il devait lui-même regarder le danger en face.

À cette idée, Louisa eut un rire plein de fierté en même temps que de mépris.

Lançant un terrible coup d’œil, haineux et vindicatif, sur la brave jeune fille, Don Ramiro grinça des dents.

— C’est un rire que tu paieras cher, misérable ! fit-il. Puis il tapa des mains.

Aussitôt apparurent, dans l’ouverture qui servait de porte, les deux chefs indiens.

Étendant la main droite, Don Ramiro leur montra Louisa, immobile et calme.

— Emparez-vous de cette donzelle ! ordonna impérieusement le sang-mêlé.

Immédiatement et sans qu’un cil de leurs yeux bougeât, les chefs obéirent.

Semblables à des étaux de fer, leurs mains enserrèrent les membres délicats de la jeune fille.

On entendait dans le lointain un bruit de lutte acharnée.

— Que se passe-t-il donc là-bas ? demanda Don Ramiro, le front plissé.

Il avait peine à maîtriser l’inquiétude de plus en plus forte qui l’agitait intérieurement.

— L’ennemi s’est approché, répondit Satanta avec la dignité qui lui était propre. Nos jeunes gens sont sur leurs gardes. Ils reviendront bientôt, et les chevelures des visages pâles vaincus orneront leurs ceintures.

Un hideux sourire de satisfaction se joua sur la physionomie de Don Ramiro, prompt à se rassurer.

— Et maintenant, à vous ! commanda-t-il en montrant la jeune fille. Garrottez la donzelle, de sorte qu’elle ne puisse pas dire ouf !… puis vous la porterez à ma maison de campagne,… aujourd’hui même, mais sous la protection des ténèbres, vers minuit. Vous frapperez à la Porte de la mort, me comprenez-vous ? C’est ma volonté et mon ordre que personne, non pas même les avant-postes disposés autour de ma propriété, ne la voie quand vous l’apporterez. Je me trouverai moi-même à la Porte de la mort, et je recevrai la fille… Est-ce entendu ?

— Tu seras content de nous, seigneur, répondirent les deux chefs comme d’une seule bouche.

— Bien ! fit brièvement Don Ramiro.

Après un moment de réflexion, il reprit :

— Vous me répondez sur vos têtes que cette jeune fille ne se fera connaître à personne en chemin… Malgré toute votre vigilance, le cas peut se présenter où elle soit en danger de tomber au pouvoir de l’ennemi. Dans ce cas, tuez-la sans hésitation. Mais ne la faites pas mourir comme une jeune fille ; voyez en elle un guerrier qui a tué votre propre fils et a ravi sa chevelure ; qu’aucune torture ne soit trop terrible, et ayez soin qu’elle rende le dernier soupir avant que l’ennemi puisse mettre la main sur elle… Liez-la sur un cheval, et nous irons ensemble au wigwam. Le reste se fera en son temps.

Les traits halés des deux chefs indiens s’éclairèrent d’une joie cruelle.

— Tu seras content, Seigneur, répétèrent-ils ensemble et avec la même assurance.

Don Ramiro fit un signe de satisfaction. Il enleva la cassette de la table et la serra soigneusement sur lui.

Puis il leva la main en un geste significatif pour avertir encore Louisa :

— Il y va de l’honneur ou de la vie… Il faut que tu abandonnes l’un ou l’autre. Réfléchis à cela une dernière fois. Dans une heure, l’arrêt sera rendu.

— Il l’est déjà. Je choisis la mort, dit Louisa, sans hésiter.

Mais Don Ramiro n’écoutait plus. Il sortit de la salle souterraine en faisant entendre son rire odieux, et derrière lui les Indiens entraînèrent la victime infortunée.

Bill Cody arrive à ses fins.

Nous avons laissé notre juvénile héros dans une situation désespérée. Retournons vers lui.

La Panthère rampante s’était reculé avec un cri de rage, lorsque, avant d’avoir pu tirer, il avait vu sa carabine si brusquement brisée dans sa main. Il tenait encore dans sa droite la crosse de l’arme fracassée.

Les autres Indiens, dont le cruel divertissement avait été ainsi interrompu à l’improviste, protestaient également par des cris.

Ils se pressaient autour de l’homme attaché au poteau du supplice.

Ils auraient mieux aimé perdre la vie que de voir mettre en liberté la victime dédiée à la mort.

Mais, comme un éclair, Jesse James, avec une poignée de fidèles, s’était élancé vers le poteau.

Ils savaient monter à cheval, ces hardis voleurs, c’était un fait ! Bill Cody lui-même qui, dans cette extrémité, n’avait plus grande attention à donner aux frivolités de la terre, et pour qui l’apparition du bandit présageait quelque chose de pire que les tortures subies et à subir au poteau du supplice, ne put s’empêcher de le remarquer.

Par un mouvement doublement habile en ce qu’il était irrésistible et paraissait involontaire, l’audacieux bandit et ses hommes réussirent à passer à travers les Indiens de façon à se placer entre ceux-ci et la victime attachée au poteau.

Là, Jesse James resta immobile, comme s’il eût été coulé en fonte, sur son cheval fumant.

— Arrière là ! cria le chef Indien, grinçant des dents. Le visage pâle n’a pas le droit de s’introduire ici !

— Sottise ! riposta Jesse James, avec un pli ironique aux lèvres, tandis que ses yeux sombres se portaient, en clignotant avec arrogance, sur l’Indien furieux. Je ne m’appellerais pas Jesse James, si je passais mon temps à m’inquiéter de ce qu’on appelle le droit. Je suis ici et j’y reste ! Si vos crânes vous sont chers, n’essayez pas de remuer un doigt contre moi !

— Mais ce visage pâle est mon prisonnier ! J’ai juré de le faire mourir au poteau ! insista la Panthère rampante, bouillant de fureur.

— Puissent tous les saints du Paradis te pardonner ce parjure ! répliqua Jesse James, sardonique.

En même temps il se leva sur la selle et l’expression de son visage de bronze apparut vraiment terrible.

— Cet homme est à moi ! cria-t-il au chef, en indiquant Bill de son bras tendu. Quiconque fait seulement mine de me résister plus longtemps est un homme mort.

L’Indien eut un rire venimeux.

Il était allé de l’un à l’autre parmi ceux de sa race, et il avait pris avec eux des arrangements mystérieux à l’insu des bandits.

Évidemment il s’était efforcé de les exciter à s’opposer à la volonté de l’homme qui avait si inopinément brouillé leur jeu.

Il est vrai que la Panthère rampante était un jeune chef, et qu’à cause de ses manières tranchantes et impérieuses, il n’était pas très aimé parmi ceux de sa race. D’un autre côté, Jesse James jouissait chez les Peaux-Rouges d’une si terrible réputation, – on prétendait qu’il était doué d’une force surnaturelle, – qu’aucun de ces hardis enfants de la Prairie n’éprouvait le moindre plaisir à se déclarer ouvertement contre lui.

Avec un rire qui exprimait l’orgueil et le contentement de soi, Jesse James avait remarqué parmi les Peaux-Rouges, ce mouvement d’hésitation et de recul.

— La vie de cet homme m’appartient, répéta-t-il, et sa voix puissante remplit tout le campement. J’ai sur lui un droit plus ancien que vous.

— Mais il a massacré nos frères ! riposta le chef d’une voix bien proche du hurlement.

— Ça ne fait rien, persista Jesse James avec son rire effrayant. Avant d’en venir là, il s’était saisi de ma propriété, il m’avait ravi une jeune fille, mis la confusion dans ma brave troupe, volé mes meilleurs chevaux… et par conséquent il doit passer devant ma justice.

La Panthère rampante leva les yeux et les sourcils.

— Nous avons trouvé une jeune fille près de lui…

— Je sais ; vous chassiez pour Don Ramiro, ah ! ah ! dit le bandit toujours riant. Eh bien ! le « Seigneur » vous donnera votre compte, si vous osez encore dire seulement un mot contre moi.

— Le « Seigneur » ? murmura le chef, sur les traits duquel une expression de soumission craintive se répandit aussitôt.

— Oui certes, votre Seigneur ! répéta Jesse James, avec le même rire sarcastique. J’étais aux trousses de ce garçon-là. J’ai appris d’un de vos espions ce qui s’était passé… La jeune fille se trouve déjà au pouvoir du « Seigneur ».

La colère et la consternation se lisaient sur le visage du chef.

— La jeune fille m’appartient ! s’écria-t-il douloureusement. La Panthère rampante est un grand chef ! La Colombe blanche sera la fleur de sa tente !

— La Panthère rampante est un grand bélître. Il peut faire peindre à l’huile sa Colombe et la pendre dans sa tente en fiche de consolation ! grommela Jesse James, riant ironiquement dans sa barbe, sans s’émouvoir des yeux flamboyants du désir de la vengeance que l’Indien raillé fixait sur lui. En attendant, la « Colombe blanche » appartient au « Seigneur » par ordre de qui je suis allé l’arracher à l’autel de l’hyménée. Et si ça ne te convient pas et que ta peau rouge te démange, tu peux aller te plaindre au « Seigneur ». Prends bien garde, toutefois, qu’il ne donne ton cuir à tanner pour en faire un lasso !

Blême, l’œil chargé de méchanceté et de perfidie, la Panthère rampante se retira. Une colère impuissante, mais immense, bouillonnait dans sa poitrine ; seulement, il ne se risquait plus à donner issue à ses sentiments.

Ses yeux aigus et étincelants en disaient long, il est vrai, quand il se retourna pour voir le bandit s’éloigner ; une haine mortelle et inextinguible en débordait. Jesse James avait humilié et tourné en ridicule le chef devant ceux de son peuple. Un Peau-Rouge ne pardonne pas cela, la Panthère rampante moins qu’un autre encore, parce qu’il était plus vindicatif. Mais il se résignait à attendre que son heure fût venue.

— Chaque chien a son jour, dit un proverbe indien. Et ce sauvage, âpre à la vengeance, savait que pour lui aussi le jour terrible de la rétribution viendrait.

Cependant Jesse James s’était retourné vers notre jeune héros qui, dans l’intervalle, était resté au poteau, presque oublié.

— Donnez à ce gaillard une bonne goutte de whisky ; ça lui fera plus d’effet qu’une bénédiction, ordonna-t-il d’une voix rauque. Il a une mine si pitoyable, ce hibou-là, qu’on dirait une péronnelle poitrinaire, prête à tomber en défaillance à la première occasion. On aurait tort de s’y fier trop, tout de même !

Un des bandits sauta à bas de son cheval et présenta son flacon d’eau-de-vie aux lèvres de Bill.

Mais le jeune homme fit un geste de refus en éloignant violemment la tête.

— Je vous remercie, mais de vous et de votre Seigneur je ne peux accepter une goutte. De votre main, le rafraîchissement se changerait en poison ! cria-t-il, plein d’une noble colère.

— Faites-lui avaler la médecine, répéta le capitaine en colère.

Deux de ses hardis compagnons se jetèrent sur le jeune homme sans défense, qui, bien qu’il pût à peine la remuer, écartait la tête de toute son énergie.

Mais ses efforts ne pouvaient avoir grand effet.

L’un des bandits lui empoigna la tête de ses mains robustes et l’attira violemment en arrière.

L’autre s’empressa de lui fourrer rudement le goulot du flacon entre les lèvres.

La liqueur déborda sur les joues et jusque sur le nez.

Le jeune homme tâchait de tenir les voies respiratoires fermées. Il en avait déjà le visage d’un bleu noir. Mais à la fin sa vigoureuse et saine nature l’emporta. Il respira profondément et ne put empêcher qu’une certaine quantité de whisky ne coulât en même temps dans son gosier.

Bill Cody détestait toutes les liqueurs fortes. C’était la première fois de sa vie que ses lèvres entraient en contact avec cette boisson pernicieuse qu’est l’eau-de-vie.

Introduite de force en sa bouche, elle courut comme un torrent de feu dans ses membres. La force vitale de Bill, amoindrie par les terribles épreuves de ces dernières heures et arrivée au dernier degré de l’épuisement, se renouvela sous cette influence.

Riant de son rire insolent, Jesse James toisait de l’œil le prisonnier sans défense.

— Holà ! mon gaillard, est-ce que nous ne sommes pas de vieilles connaissances, dis-moi ? » cria-t-il à Bill Cody.

Mais Bill soutint son menaçant regard, qui avait inspiré l’effroi à tant de gens et mis la mort dans tant de cœurs tendres.

— Nous ne sommes pas des connaissances ; car être une connaissance de Jesse James me ferait monter le rouge aux joues, répondit le jeune homme en élevant la voix. Mais moi, je vous connais – vous êtes l’artisan exécré de la mort de mon père. C’est sur votre ordre que le méprisable Charles Dunn a dirigé l’arme mortelle contre sa tête chérie. Et pour cela sois maudit, infâme Jesse James !

— Bien rugi, lion ! gronda pour toute réponse, avec un rire hideux, le bandit chez qui était éteint depuis longtemps tout sentiment humain. Dommage que je fasse si peu de cas de ces beaux discours. On me les a déjà hurlé cent fois… Et cependant les tiens me chatouillent agréablement le tympan. Tu me plais, l’ami, malgré ton langage, ou peut-être à cause de cela même. Ta langue est chaude et affilée ! Ah ! ah ! tu as joliment fait la barbe à ce veau de Charles Dunn ! Mais tu ne la lui feras pas une seconde fois, car le brave Dunn est déjà devenu un mignon petit ange… c’est à dire que je l’ai fait pendre. Et quant à ce qui te concerne, mon petit ami,… ici sa voix devint plus sévère… eh bien !…

— C’est un sort beaucoup plus terrible qui m’attend ? interrompit Bill Cody. Je le sais. Qui pourrait prétendre à la pitié d’un Jesse James ? Un tigre montrerait de la générosité plutôt que vous !

— Tu as une fois de plus mis dans le mille, mon jeune gaillard ! répondit le bandit, d’un air de bonne humeur.

Cependant la ligne perpendiculaire marquée entre ses sourcils se creusait ; c’était un signe que ses compagnons connaissaient et redoutaient comme l’indice le plus sûr d’une fureur qui s’accumulait et allait bientôt éclater en frénétiques violences. Il reprit :

— Tu as raison, l’ami. Je ne connais pas la compassion, et plus un capon braille et geint, plus je me sens à l’aise pour lui régler son compte en m’amusant… juste comme mes amis les Peaux-Rouges, ici présents, dont j’ai appris comment il faut se comporter avec ses ennemis.

En disant ces derniers mots, il s’était tourné vers les Indiens. Ceux-ci qui avaient jusque-là joué le rôle de spectateurs muets, ne lui ménagèrent pas leur approbation.

La Panthère rampante seule resta tournée à l’écart. Son visage taillé à coups de serpe et devenu sinistre, ne changea pas d’expression, et ses lèvres demeurèrent immobiles comme si elles eussent été de pierre.

Notre jeune héros garda également le silence. Un sentiment d’horreur tel qu’il n’en avait pas encore éprouvé, lui serrait la gorge.

Il ne répondit à Jesse James que par un regard de défi, présentant, d’ailleurs, aux badauds farouches qui l’entouraient, une physionomie calme et impassible, comme s’il n’eût pas été la personne la plus cruellement intéressée dans le drame qui se déroulait.

— Oui, ma foi ! tu me plais, l’ami, répéta encore Jesse James. Je pourrais te faire pendiller aussi au bout d’une branche – ou ne pas troubler davantage par mon intervention mes amis, les Peaux-Rouges, dans leurs judicieux plaisirs. Ce serait, sans doute, tout à fait réjouissant de me donner le spectacle de tes tortures. Mais après tout, il y a assez d’autres gaillards comme Charles Dunn ; on en trouve toujours douze à la douzaine. Tandis que toi… Enfin, tu me plais… tu es un moineau franc, et tu n’as pas peur de me dire des choses désagréables en face… Eh bien ! tu ne sais pas ? Jure-moi fidélité, et non seulement tu conserves ta vie, mais, tout jeune que tu es, tu deviens un des premiers dans les rangs de mes hommes, et ta part de butin ne sera pas maigre, je te le promets. Ça va-t-il ?

Bill Cody se mit à rire.

La proposition qui lui était faite lui paraissait si monstrueuse et si méprisable qu’il ne la jugea pas digne d’une réponse.

— C’est bien toi le petit courrier qui, il y a deux ans, partagea ma chute de diligence ? demanda le bandit, toujours d’excellente humeur.

Un éclair passa dans les yeux de Bill.

— Vous pouvez ajouter que c’est aussi moi qui vous ai fait dégringoler comme un chat de la locomotive de ce train express, que vous vouliez piller avec votre bande, l’hiver dernier.

— Damnation !

À ce souvenir le visage du voleur devint terreux. Pendant plusieurs secondes il lutta pour maîtriser la colère qui l’envahissait.

— C’était toi ! fit-il enfin. Sais-tu que j’ai dû garder le lit pendant des semaines, en attendant que mes os fussent guéris ?

— Je le sais, dit Bill avec un rire de légitime satisfaction. Je regrette cependant une chose, c’est de n’avoir pas frappé plus juste et plus fort. Je voudrais que vous fussiez resté couché jusqu’au jour du Jugement dernier, pour vous promener ensuite dans l’Enfer. Ah ! vrai ! je serais bien content !

À la fin cependant le hardi langage de Bill cessa de plaire à ce Capitaine de forbans. Jesse James était habitué à voir les hommes l’approcher à genoux, ou courir, çà et là, comme un troupeau affolé, au seul bruit de son nom.

— En voilà assez ! grommela-t-il. Fais attention à toi, pinson bavard, et décide-toi : les Indiens poursuivront-ils leurs divertissements nationaux, ou bien consens-tu à me prêter un serment de fidélité… et aussi à le tenir ? Sache bien, en tout cas, qu’il n’y a pas de châtiments assez terribles pour punir un manque de foi à mon égard. Jusqu’ici, il n’est pas un traître qui n’ait reçu la mort de ma propre main.

Bill Cody regardait en face sans sourciller ce redouté bandit, dont la colère contractait les traits.

— Ce n’est qu’un affront de plus, dit-il avec calme, comme s’il s’agissait de quelque chose de tout à fait en dehors de lui, et que ses paroles ne fussent pas un arrêt contre sa propre existence. Pourquoi vous mêlez-vous de cette affaire, après tout ? Allons ! Panthère rampante, Indien mal habile et lourdaud… prends un fusil et tire mieux.

Un grimaçant sourire se jouait sur les lèvres de Jesse James. Il poussa son cheval tout près du captif.

— Quoi ! dit-il, et les mots sortaient de sa bouche comme un sifflement. Tu ne veux pas de ma grâce ? Tu préfères mourir ?

— Vous le dites vous-même ; pourquoi donc le demander ? répliqua Bill intrépidement, d’une voix sonore.

Le bandit ne put retenir un rauque cri de rage. Il avait saisi un pistolet et il en donna au malheureux Bill un terrible coup de crosse sur la tête.

Sous la violence du choc Bill vacilla. Il se serait abattu sur les genoux si les solides et souples liens d’écorce ne l’avaient fortement retenu au poteau du supplice.

Il lui fallut quelques minutes pour remettre ses esprits de l’étourdissement où cet odieux traitement l’avait jeté.

— Voilà qui vous ressemble bien, Jesse James ! dit-il, les lèvres frémissantes. Frapper un homme enchaîné et sans défense, dont la mort prochaine est certaine et dont, par conséquent, on n’a plus à craindre la vengeance… Scélérat ! Si le Ciel voulait que je puisse échapper encore une fois, – c’est la vérité que je dis, Jesse James, – je te ferais payer ce coup-là… Je n’aurais ni paix ni repos avant d’avoir lavé dans ton sang l’affront que tu viens de me faire !

— Sa Seigneurie désire peut-être autre chose ? demanda le Bandit, sur les traits duquel avaient disparu les derniers vestiges de sentiments humains. Tu peux maintenant prier et supplier, et pleurer comme un chien geignard !… Je sais ce que vaut ton esprit têtu, et je n’ai plus envie de t’avoir jamais pour compagnon.

Il se tourna sur la selle et fit un signe de l’œil à la Panthère rampante, dont le regard aux aguets ne perdait pas un mouvement autour de lui.

— Qu’y a-t-il ? Que veut le Capitaine des visages pâles ? demanda-t-il avec assez peu d’empressement.

— Continue ta besogne, farceur rouge ! répliqua le bandit avec un rire rauque. Il est vrai que j’ai des droits antérieurs sur le particulier, mais je ne saurais peut-être pas le torturer à mort avec la même maîtrise. En tout cas, fais de ton mieux ! J’ai vu une fois un petit travail de ce genre : on avait entouré celui qui était au poteau de supplice de torches enflammées, et les assistants arrivaient l’un après l’autre en courant et chacun lui enfonçait dans le corps une torche par son extrémité pointue… C’était vraiment très divertissant à voir, et ça nous a fait passer un bon quart d’heure.

— Ce que dit le chef blanc, il y a longtemps que la Panthère rampante le sait. C’est un grand chef. Il est capable d’imaginer de meilleures tortures. Le chef blanc peut s’étendre sur l’herbe et regarder, il sera content.

L’Indien frappa dans ses mains.

Immédiatement tous ceux de son sang se rassemblèrent autour de lui.

Il leur adressa rapidement quelques mots à voix basse.

Alors les jeunes guerriers se dispersèrent, employant à des occupations diverses et déterminées leur activité meurtrière.

Les uns entassaient des pierres en un même lieu ; d’autres en construisaient une sorte de four ouvert ; d’autres arrivaient, essoufflés sous leur fardeau de bois à brûler, tandis que d’autres encore traînaient jusqu’au foyer des flèches et des lances de fer.

Partout alentour régnait une animation farouche.

Le Capitaine des bandits, accroupi dans l’herbe, tout près du malheureux Bill, n’était pas chiche d’encouragements et d’exclamations enthousiastes.

Mais Bill Cody contre qui tous ces préparatifs étaient dirigés, restait tranquille et maître de lui. Il ne pensait guère aux tortures diaboliquement inventées, destinées à déchirer tout à l’heure son jeune corps.

Son esprit était bien ailleurs.

Maintenant qu’il en avait fini avec la vie et que les compagnons des jours de sa jeunesse s’étaient retirés à l’arrière, tout au premier plan de son esprit surgissait l’image de sa mère.

— Pauvre, chère mère ! Elle ne pourrait pas, à l’heure de sa mort, serrer encore une fois sur son cœur son fils bien aimé ! Il fallait qu’il se résignât, ce cœur, à entrer dans l’immobilité éternelle sans avoir donné la bénédiction suprême au fils absent !

Bill Cody avait toujours été un bon fils et il avait – comme il est habituel chez tous les hommes vraiment grands et supérieurs – entouré sa mère de vénération et d’un amour confiant et fanatique ; et maintenant il ne pourrait même lui rendre les derniers devoirs, lui offrir les dernières marques de sa filiale tendresse ! Il fallait la précéder peut-être dans le chemin qui conduit au pays éblouissant d’étoiles, des confins duquel jamais voyageur n’est revenu !

Cette pensée, qui l’entraînait bien loin des horreurs présentes, lui arracha un soupir.

Aussitôt le rire rauque et sardonique du Capitaine des bandits résonna à ses oreilles, et il leva les yeux, surpris et troublé.

— Ah ! ah ! le bonhomme commence déjà à soupirer ! s’écria Jesse James avec une joie diabolique. Dès que les pointes des flèches rougies au feu lui roussiront la peau, il piaillera comme un petit rat.

— Vous mentez, Jesse James ! interrompit Bill Cody, parfaitement calme, mais d’un ton tranchant et plein de mépris. Si vous n’étiez pas un monstre altéré de sang et dépourvu de tout sentiment humain, vous seriez saisi de respect en apprenant de ma bouche que j’étais en route vers ma mère mourante, pour prendre congé d’elle et lui fermer les yeux. C’est la pensée de cet être chéri qui me remplissait le cœur et m’a fait soupirer. Quant à la mort, vous la craignez plus que moi.

Cependant Jesse James, depuis le commencement de cette scène, avait fréquemment donné l’accolade au flacon d’eau de vie qui circulait parmi les bandits.

Il se leva d’un mouvement mal assuré, en poussant une sauvage imprécation.

— En voilà une bonne bouffonnerie ! cria-t-il. Ça n’est pas sorti de la coquille et ça veut morigéner les hommes ! Encore un mot d’insulte, gamin, et c’est moi qui te plante le premier fer rougi dans le corps.

Et il courut en trébuchant au feu que les Indiens entretenaient. Il en arracha une lance dont le fer était déjà chauffé à blanc.

Mais Bill Cody soutint sans peur le regard que le brutal bandit fixait sur lui de ses yeux striés de sang.

— Plante donc, misérable ! cria-t-il d’une voix retentissante ; tu ne m’effraies pas. Je ris de toi jusque dans la mort, étrangleur de femmes et d’enfants !… Je ris et te méprise.

Jesse James, hors de lui, poussa un cri de rage, en se voyant si cruellement insulté en présence de ses hommes.

Dans un geste de frénésie indescriptible, il brandit la lance fumante.

C’en était fait de Bill.

Quelques Indiens voulurent bien s’opposer au bandit qui allait leur ravir la victime.

Mais Jesse James repoussa d’un bras vigoureux ceux qui se mettaient devant lui.

Il leva de nouveau la lance ; en moins d’une seconde elle allait, sous l’impulsion violente de son bras, s’échapper en sifflant de sa main ouverte, et pénétrer, avec un grincement de chairs grillées, dans le corps du jeune homme.

Mais à ce moment se plaça entre celui-ci et le forcené une haute figure qui sembla surgir du sol. C’était Don Ramiro.

La vérité est que, depuis quelque temps déjà, il était entré, dans le campement indien, avec ses deux chefs et Louisa, sans être remarqué. Les gardes l’avaient reçu et salué avec une profonde soumission.

Les Indiens qui faisaient le cercle plièrent un genou devant le « seigneur » qui se faisait si inopinément visible parmi eux.

Jesse James ne les imita point.

Celui-là n’était pas accoutumé à se laisser dicter des lois, ni à recevoir des ordres.

— Hors du chemin, Don Ramiro ! cria-t-il violemment. Il faut que je tue cet effronté gamin-là ! Il le faut !

— Vous allez laisser cela provisoirement ! dit froidement Don Ramiro, qui se tenait debout, les bras croisés, et qui le regardait avec la mine sévère d’un justicier. À bas la lance !

L’audacieux bandit proféra un blasphème.

— Mort et damnation ! s’écria-t-il, affolé de rage. Hors du chemin !… ou la pointe de cette lance va trouer votre poitrine, Don Ramiro !

Et il brandit son arme menaçante contre le sang-mêlé.

Celui-ci resta calme. Il ne montrait pas la même inquiétude que tout à l’heure dans le souterrain de la mine. Au milieu de ses Indiens, il se sentait parfaitement en sûreté.

Et de fait, avant même qu’il eût fait un signe de l’œil, une douzaine de Peaux-Rouges s’étaient précipités, avec un hurlement strident, entre lui et le desperado. Ils s’accrochèrent à ce dernier, l’assaillirent de tous les côtés à la fois, et avant même de savoir au juste ce qui lui arrivait, Jesse James était jeté sur les genoux et la Panthère rampante se penchait au-dessus de lui, le tomahawk levé, n’attendant qu’un signe pour donner le coup de mort.

Les hommes de Jesse James, déconcertés tout d’abord, faisaient mine de dégainer.

Mais Don Ramiro les arrêta d’un signe en souriant.

— Pas d’agitation, Messieurs ! Nous sommes confédérés, je pense, dit-il poliment.

Il se tourna vers le chef.

— Êtes-vous hors de votre bon sens, mes amis ?… Écartez-vous de cet excellent Jesse James, qui est mon ami, lui aussi ! Tout cela n’est qu’un malentendu.

Les Indiens, d’ordinaire si tenaces, se montrèrent soumis comme des chiens. Ils s’éloignèrent de Jesse James aussi promptement qu’ils l’avaient assailli et terrassé.

Fortement troublé et pouvant à peine se rendre compte de ce qui venait de lui arriver, le bandit était debout, immobile.

Don Ramiro s’avança rapidement vers lui. Avec un sourire prévenant, il lui tendit la main.

— Nous restons amis, Jesse James, fit-il d’un air aimable. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Mais le bandit irrité refusa la main qu’on lui offrait.

— Je ne suis plus votre ami, et…

— Je le regretterais beaucoup, dit le sang-mêlé en lui coupant la parole. Mais peut-être aurez-vous encore la bonté d’entendre quelques mots de moi, entre quatre-yeux comme on dit ?

Là-dessus malgré sa résistance, il conduisit le bandit, quelques pas à l’écart.

Là il lui parla, la bouche riante.

Il riait. Mais ce qu’il disait devait avoir un son bien terrible, car les bandits voyaient de leurs yeux leur chef blêmir et frissonner.

Jesse James fixait sur Don Ramiro un regard plein d’horreur et d’effroi.

Soudain il s’inclina et mit de bonne grâce sa main dans la main qui lui était offerte de nouveau.

Bill Cody n’avait pas perdu le moindre détail de cette scène. À la vérité, il n’avait pas pu comprendre les paroles échangées entre les deux hommes ; mais leurs regards de son côté lui avaient donné la conviction que leur conversation avait roulé principalement sur lui.

Qui était ce mystérieux étranger, que ces indiens sanguinaires n’approchaient qu’avec un respect craintif et dont les paroles faisaient plier même un Jesse James ?

Avant que Bill Cody eût pu revenir de son étonnement, il aperçut Louisa qui, bien que garrottée, était, saine et sauve, assise sur son cheval.

Près du cheval étaient aussi restées les autres montures, pendant que les deux chefs, mêlés aux Indiens, se livraient à une conversation très active.

Ranimé par la joie, Bill pesait, sans le savoir, sur ses liens. À son grand étonnement il remarqua qu’ils cédaient, bien qu’il eût été ficelé et noué très serré à la manière des Indiens. Le jeune homme résigné à la mort ne s’était nullement aperçu que Jesse James, dans ses gesticulations, avait effleuré de sa lance rougie au feu la corde qui s’était roussie au contact.

Mais à ce moment, un désir farouche de brûler la politesse à tous ces ennemis massés en rond, s’empara de notre jeune héros. Avec de grandes précautions, il retira des nœuds devenus lâches ses membres, l’un après l’autre ; le lasso détendu tomba sans bruit dans l’herbe. Il était libre.

Bondissant comme un chien détaché de sa chaîne, Bill s’élança vers le lieu où Louisa attendait.

L’instant d’après, il avait enfourché le cheval de Don Ramiro. Le poussant les talons aux flancs, il saisit, d’un mouvement prompt comme l’éclair, les rênes du cheval de Louisa avec les siennes, et les voilà partis, rapides comme une flèche.

Toute l’affaire s’était passée avec une telle vitesse que la plupart des assistants s’en aperçurent à peine, d’autant plus que tous les regards étaient dirigés vers le « Seigneur » et vers le chef des bandits.

Cependant Jesse James et les Peaux-Rouges revinrent bientôt au sentiment de la réalité. Un effroyable concert de cris et de blasphèmes se fit entendre. Tous coururent aux bêtes attachées à quelque distance, pour commencer à poursuivre des fugitifs.

Ces quelques minutes avaient donné de l’avance aux deux jeunes gens. Ils voyaient la possibilité de mettre leur vie en sûreté par une fuite rapide, et cet espoir les faisait filer comme le vent.

Mais d’affreux cris de guerre ne tardèrent pas à frapper leurs oreilles. On leur tirait des flèches qu’ils entendaient vibrer et cliqueter derrière eux.

Ce n’était pas le moment des récits et des explications. Il s’agissait avant tout d’atteindre vite le fort, peu éloigné, de Leawenworth.

La chance se déclarait pour eux. La rougeur du soir n’était pas complètement obscurcie quand Bill Cody et sa compagne virent le profil du fort se dessiner à l’horizon.

Ceux qui les poursuivaient durent, le cœur brûlé de rage, se résigner à ne pas les joindre ; la distance qui les séparait était devenue absolument irréductible, car ils n’osaient pas s’aventurer trop près du fort.

Un quart d’heure plus tard, Bill était reçu par les avant-postes étonnés, et conduit sans retard devant le Général.

— Envoyé du fort Hayes ? demanda-t-il aussitôt.

D’un regard stupéfait il examinait la personne de cet envoyé. Il s’étonnait du visage juvénile et délicat de Bill, qui avait osé entreprendre cette chevauchée à travers des dangers terribles ; le vêtement déchiré, couvert de plusieurs couches de poussière et de boue, le bras, suspendu dans une écharpe de soie blanche maculée de sang, du tout jeune homme qui se tenait raide devant lui, en disaient long sur les pénibles épreuves dont le souvenir se cachait là.

— J’attendais depuis longtemps des nouvelles du Général Custer. Je lui ai déjà envoyé plusieurs messagers. Il y a trois jours que le dernier émissaire est parti d’ici, déclara le Général en chef après une pause employée comme on vient de le dire.

— Nous devons nous être croisés, répondit Bill Cody. Je n’ai pas pu garder tout le temps la grande route, et j’ai eu quelques petites aventures, d’où j’ai dû me tirer de mon mieux.

Ce fut là tout ce qu’il dit sans qu’on le lui demandât. Cent autres à sa place n’auraient pu résister à la tentation de raconter par gloriole les hauts faits accomplis.

Mais Bill Cody aimait, dès ce temps-là, les aventures pour les aventures ; il cherchait le danger pour l’excitation qu’il y trouvait. Que, plus tard, on le sût ou non, cela lui était indifférent ; que dis-je ? s’il avait été le maître, personne n’aurait jamais rien su des actes de courage qu’il prodiguait.

Aussi lui fut-il pénible d’avoir besoin, à cause de son bras blessé, d’un secours étranger pour découdre son col d’habit et en retirer les dépêches destinées au Général Smith.

À peine le Général eut-il lu les papiers qu’il donna l’ordre aux officiers et aux hommes de venir tous au rassemblement.

— Camarades, leur dit-il alors, je viens d’apprendre par ce messager que le fort Hayes est en péril. Bill Cody s’est frayé un chemin jusqu’ici en combattant. Il a fait son devoir ; c’est à nous maintenant de délivrer le régiment, pressé de trop près, des Jennison-Jayhawkers !

 

FIN.


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Février 2018

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