Demisel
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Précisons, à l’intention des personnes qui n’auraient pas lu Les Harengs de Ploucamor, première aventure de François Troudic, que Pioupiou est un petit canard vibrant en plastique jaune, et Michou, un cornichon au vinaigre. François et son épouse Géraldine les considèrent tous deux comme leurs propres enfants.
« Mon cher chérichouchou d’amour que j’aime de tout mon cœur… Ce matin un lapin a tué un chasseur… Nous nous amusons bien à Saint-Balo. C’est vraiment une très jolie ville, pleine de moussaillons en goguette et de vieilles bretonnes à moustaches… c’était un lapin qui, c’était un lapin qui… Tu nous manques fort. Vivement samedi ! Ce matin un lapin a tué un chasseur… Pioupiou et Michou se joignent à moi pour te faire des tas de bisous… C’était un lapin qui, avait un fusil… Ta Géraldine. »
Assis dans la cuisine, tandis que le transistor crachouille sans discontinuer les derniers tubes à la mode sur Radio-Ploucamor, j’équeute des haricots en relisant pour la énième fois la carte postale de Géraldine ; Au recto, on peut voir deux jeunes éphèbes sur la plage de Saint-Balo, en train de jouer au frisbee avec une rondelle d’ananas au sirop.
Normalement je devais partir les rejoindre avant-hier, mais, juste au moment où je posais ma valise sur le perron, le téléphone s’est mis à sonner.
C’est fou des fois ce que le destin tient à peu de choses. J’ai fermé la porte, empoigné ma valise, suis descendu dans le jardin, ai refermé le portillon derrière moi et me suis dirigé d’un pas guilleret vers la gare routière. Au bout de deux-cents mètres, je me suis rendu compte que j’avais oublié le paquet de Petits LU que je m’étais acheté pour le goûter et j’ai fait demi-tour pour aller le chercher. En arrivant à la maison, le téléphone sonnait toujours. Je suis resté là, à hésiter encore pendant cinq bonnes minutes devant le guéridon du salon, et puis finalement la curiosité l’a emporté et j’ai décroché.
J’aurais pas dû…
— Allo ?
— Allo, bonjour madame, pourrais-je parler avec mister François Twoudic ?
— C’est lui-même…
— Ah François, old ganache, je suis tellement happy de te speaker, c’est Peter dans l’appareil !
— Peter ?
— Mais wouiii tu sais bien, Peter… Peter Mac Roe !
— Peter Mac Roe… Peter Mac Roe… C’est pas possible !!… Peter Mac Roe !! Ah ben ça alors… ça fait une paire de baux dis donc…
— Tu l’as dit Goofy ! Depuis l’époque de nos étioudes à la Faculté de Biologie Marine de Bezons-la-Romaine.
— Hahaha… Bezons-la-Romaine… ce qu’on a pu s’marrer !… Bon alors, mets-moi au jus Peter, caisse tu deviens depuis tout ce temps, et caisse donc qui m’vaut le plaisir de ce coup de bigophon ?
— Ah François, si je me permets de te contacter après tant de years, c’est because j’ai le besoin que tu me rendes un big service ! On vient de me nommer directeur du Centre Océanographique et de la Protection des Plages de Saint-Glinglin, et depuis mon arrivée… Mais je préférerais t’en speaker de vive voice plutôt que dans le phone… Pourrais-tu passer me voir à Saint-Glinglin monday morning ?
— Ça aurait été avec plaisir Peter mais malheureusement ça ne va pas être possible car je suis justement sur le point de partir en vacances à Saint-Balo, rejoindre ma femme et mes loupiots. D’ailleurs il va falloir que je te laisse sinon je vais louper le bus de onze heures. Mais si tu veux je te rappelle à mon re…
— Fwançoiiiis, I understand que c’est not at all le right moment et je suis vraiment très sorry de te disturber le jour de ton departure, mais c’est really tellement important que je me permets d’insister. Pour tout te dire, je suis afraid, très afraid…
— Halala Peter, je sais pas quoi te dire… c’est vraiment grave à ce point-là ?
— Very very grave François… Non seulement je suis afraid pour ma vie mais en plus, j’ai peur pour my life…
Je suis allé à la poste envoyer un télégramme à Géraldine pour la prévenir que je ne pourrais pas venir les rejoindre avant mardi.
Contretemps – STOP – Arrive Mardi – STOP – François – STOP – PS : Ne m’en veux pas pour le laconisme de ce message mais je préfère ne pas m’étendre, car si j’en crois les indications du tableau de tarification placardé à l’intérieur du bureau de poste, ça coûte vraiment super cher ces putains de télégrammes – STOP.
Ensuite, je suis passé au Champion acheter du pain, du vin, du Boursin, des haricots verts, des radis noirs, du saucisson d’âne et trois filets de maquereau afin d’avoir de quoi manger pour le week-end.
Au retour, je me suis arrêté faire un tiercé à La Civette et j’en ai profité pour écluser vite fait quelques Pelforth avec mon pote Bertrand.
Puis je suis rentré à la maison à dix-neuf heures, juste à temps pour les actualités régionales.
Madamemonsieur bonsoir, tout de suite, les titres de l’actualité :
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« De passage à Plancoët, le ministre de l’agriculture, Aimé Lengrais, a mangé deux andouillettes et bu un verre de Badoit. »
« À Plougastan, l’enquête sur la disparition des choux-fleurs de Madame Leprout reste au point mort ; aucune preuve n’a pour l’instant permis d’inculper son voisin, monsieur Lelouch, qui a été relâché après seize mois de garde à vue. »
« À Saint-Glinglin, une mystérieuse invasion de concombres de mer contraint les autorités locales à décréter la fermeture temporaire des plages alors que commence tout juste la saison touristique ; nous ferons le point avec Monsieur Lebilan, conseiller municipal de Saint-Glinglin en charge des affaires maritimes et de l’entretien des transats. »
« Météo : pluie, averses, orages et crachin se succéderont harmonieusement tout au long du week-end. Une demi-heure d’éclaircie est toutefois à prévoir dans la nuit de samedi à dimanche au large de la baie de Douadanlnez. »
« Sport : cent vingt-sept concurrents sont attendus au départ de la course Troupaumé-Bledinic dont on célèbre demain la soixante-huitième édition. Le vainqueur recevra à l’issue de l’épreuve un paquet de rustines et douze tranches de jambon. Nous y reviendrons en détails à la fin de ce journal. »
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« C’est donc la ville de Plancoët que notre ministre de l’agriculture, Aimé Lengrais, a choisie cette année pour aller manger de l’andouillette. À l’issue de son repas, il a déclaré : – J’ai bien mangé et j’ai bien bu. Puis il s’est rendu sur le parking de la mairie où une kermesse avait été organisée à son intention. Après s’être brillamment illustré au chamboule-tout, le ministre a visité le stand de pêche à la ligne où il a gagné un coupe-ongles et un peigne en plastique bleu. – Je ne me suis jamais autant amusé de ma vie, a-t-il déclaré devant l’assistance ravie. Ensuite, il a rejoint la salle des fêtes où un pot avait été organisé à son inten… »
J’ai coupé la télé et je suis allé à la cuisine me préparer à manger. Je râpais tranquillement des radis noirs pour faire de la compote lorsque soudain, on a sonné à la porte. Trois petits coups brefs et insistants. Ça m’a fait sursauter tellement fort que j’ai été à deux doigts de me râper l’auriculaire. Putain d’bordel de balai d’chiottes ! Quel est l’empaffé qui peut bien venir sonner chez moi, un samedi soir, à dix-neuf heures trente-cinq ?
Autant en avoir le cœur net… j’ai empoigné un tire-bouchon, et je suis allé ouvrir.
C’était Jacky, le facteur, un télégramme à la main.
Gros malheur – STOP – Affreux – STOP – Rentrons demain – STOP – Géraldine – STOP – PS : ne soit pas contrarié par la brièveté de cette missive mais il ne serait vraiment pas raisonnable de t’en dire plus car après avoir pris connaissance des barèmes affichés sur la vitre du guichet de l’agence postale, je te confirme qu’envoyer ces saloperies de messages télégraphiques s’avère extrêmement onéreux. – STOP – PS2 : Hihihi vieux grigou, c’est une blague !! – STOP – Tout va très bien – STOP – On t’attend – STOP – À Mardi – STOP – Bisous – STOP.
Ah… l’humour moldave… je crois que je n’arriverai jamais à m’y faire complètement.
Un peu contrarié, j’ai à peine touché à ma compote et je me suis mis sous la couette avec un Bob et Bobette.
La nuit a été légèrement agitée.
J’ai rêvé que j’étais sur la plage de Saint-Glinglin et que je me débattais au fond d’une brouette, coincé sous un tas de choux-fleurs, tandis qu’un gros lapin gonflable boulottait mon paquet de Petits LU. J’appelais Géraldine pour qu’elle vienne à mon secours mais elle était à l’autre bout du bureau de poste en train de jouer au chamboule-tout avec le ministre de l’agriculture. C’est alors que Peter Mac Roe est arrivé au volant d’une voiture à pédales. Il brandissait un saucisson d’âne et criait : – Don’t worry François ! on va s’occuper de toi ! Bob et Bobette sont sortis du coffre avec une tondeuse à gazon. Juste au moment où ils commençaient à me raser les poils du ventre, je me suis réveillé en sursaut. Sous mon nez, Attila, le chat de la voisine, ronronnait béatement tout en me labourant le gras du bide. Il était sept heures et quart. Encore à moitié endormi, je me suis levé et je suis allé uriner dans le bidet. Dehors, il pleuvait à torrent.
J’ai petit-déjeuné d’une triscotte et d’un filet de maquereau, arrosés d’un verre de vin chaud, puis j’ai enfilé mon ciré et mes bottes en caoutchouc et je suis allé faire un jogging au stade Saint-Ignace. Après avoir tourné trente-huit fois autours du terrain de boules, je suis passé vite fait prendre l’apéro au Saturnin. Là, je suis tombé sur mon vieux copain Godefroid, le maître-nageur de la piscine Saint-Ignace. Je lui ai payé un verre, il a remis ça, j’ai remis ça, il a remis ça, j’ai remis ça, il a remis ça, j’ai remis ça, il a remis ça, j’ai remis ça, il a remis ça, j’ai remis ça, il a remis ça… Je sais plus trop bien ce qui s’est passé ensuite mais quand j’ai voulu partir, Godefroid était allongé sur le billard, en train de chanter Love me tender à l’oreille d’une de mes bottes en caoutchouc. J’ai eu beau insister, le supplier, le menacer, rien à faire, pas moyen de la lui faire lâcher… Du coup, je suis rentré chez moi à cloche-pied… Pile poil pour le journal télévisé.
Madamemonsieur bonsoir, tout de suite, les titres de l’actualité :
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« Aujourd’hui vers onze heures trente, au centre de thalassothérapie de Larnac-sur-Mer, un touriste Irlandais s’est cassé un ongle en sortant du jacuzzi. Rappelons que déjà l’an dernier, une charcutière du Pas-de-Calais s’était foulé un orteil dans des conditions similaires. Alors, négligence ou malchance ? Nous ferons le point sur place avec notre envoyé spécial, Michel Fouinard. »
« Ça ne s’arrange pas à Saint-Glinglin où la prolifération de concombres de mer prend des proportions de plus en plus inquiétantes. Une situation d’autant plus préoccupante que nul n’est pour l’instant en mesure d’en comprendre les raisons, même si certaines rumeurs laissent sous-entendre que ce phénomène pourrait être lié aux flatulences de vaches de mer dont les sonars placés à l’entrée de la baie de Saint-Glinglin ont relevés une nette recrudescence au cours de ces derniers mois. Pour en savoir plus, nous recevrons le professeur Pépin Labulle, chercheur au Centre d’Entérologie Subaquatique de Lancôlon, et spécialiste du système digestif des lamantins. »
« Et puis nous nous rendrons à Paimpont, où les sapeurs-pompiers d’Ille-et-Vilaine manifestaient ce matin pour réclamer l’amélioration de leurs conditions de travail. Parmi leurs revendications, la retraite à vingt-cinq ans, le droit de travailler en smoking à la chandeleur ou bien encore la suppression de la crème brûlée à la cantine. – Y’en a marre de la crème brûlée, on veut des bananes flambées ! a déclaré leur porte-parole, le Caporal Toultant, avec qui nous nous entretiendrons à la fin de ce journal »
« Météo : Bruine, ondées, giboulées et pluies torrentielles égaieront les cieux armoricains tout au long de la semaine prochaine. Une éclaircie de vingt minutes est toutefois à prévoir jeudi en fin d’après-midi dans l’arrière-pays bigouden. Attention aux coups de soleil. »
« Sport : C’est demain matin que s’élanceront depuis le port de Langouesse les vingt concurrents du tour de Bretagne en pédalo. Le spectacle risque d’être d’autant plus réjouissant que le temps s’annonce infâme et que des creux de quinze mètres sont à prévoir au large de la baie des Trépassés. Rappelons que Rémi Racculé, vainqueur et seul survivant de la dernière édition, ne pourra malheureusement pas venir défendre son titre cette année puisqu’il s’est malencontreusement noyé samedi dernier en prenant sa douche. »
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Comme nous vous l’annoncions au début de ce journal, c’est donc ce matin vers onze heures trente que Bob O’Nail, citoyen Irlandais de cinquante-neuf ans, s’est cassé un ongle en sortant du jacuzzi du centre de thalassothérapie de Larnac-sur-Mer. Il a immédiatement été évacué vers l’hôpital de Pleumeur-Boudiou et aux dernières nouvelles, ses jours ne seraient pas en danger. Ce drame n’est évidemment pas sans rappeler le terrible accident de cette charcutière du Pas-de-Calais qui l’an dernier, dans ce même centre de thalassothérapie s’était violemment retourné le gros orteil alors qu’elle…
J’ai éteint la télé, allumé la radio, et je suis allé dans la cuisine équeuter des haricots tout en relisant la dernière carte postale de Géraldine.
Non mais quelle idée j’ai eu d’accepter d’aller voir Peter Mac Roe demain matin à Saint-Glinglin alors que je pourrais déjà être bien au chaud dans les draps de Géraldine, au camping de Saint-Balo… et faire des chouettes parties de Cluedo avec les mômes en écoutant tomber la pluie… Au lieu de ça, va falloir que je me lève à l’aube et que je me tape dans la journée un aller-retour Ploucamor-Saint-Glinglin pour aller écouter les divagations d’un rosbif à moitié allumé du cigare… Fwançoiiiiis… je préférerais t’en speaker de vive voice plutôt que dans le phone… Non mais je te jure… Trop bon, trop couillon… Enfin bref… C’est dit, c’est dit… Mais je vais sûrement pas m’y éterniser… J’arrive, je l’écoute, je me casse… Je suis de retour à la maison demain dans la soirée et mardi matin, à la première heure, je pars rejoindre Géraldine et les gamins…
J’avale fissa un bol de haricots verts au Boursin, je règle le radioréveil sur cinq heures et demie et je me pieute avec un Tintin.
C’était un lapin quiiiii, c’était un lapin quiiiii… La douce voix de Chantal Yoga m’arrache des bras de Morphée à cinq heures et demie pétantes… Bon, allez, c’est pas le moment de traînasser… Ce matin un lapin, a tué un chasseeeeuuuuur… Je me lève, saute sous la douche, me récure du sol au plafond, m’habille, déjeune de deux rondelles de sauciflard et d’un coup de jaja et à six heures moins trois, je sors de chez moi sous une pluie battante pour remonter la rue Émile Varech en direction de la gare routière.
Juste quand j’arrive sur le boulevard Saint-Ignace, je vois déboucher le père Justin au volant de son motoculteur, tirant une carriole remplie de choux-fleurs.
Il s’arrête à ma hauteur :
— Cré vin diou d’bon sang d’bon souère, mais c’est le p’tit Troudic ! Ben alors mon gaillard, où c’est-y don’ qu’tu vas t’y don’ comme ça de si bonne heure ?
— Salut père Justin, je vais à la gare routière prendre le bus pour Saint-Glinglin.
— Eh ben, on peut dire que t’as vraiment d’la chance mon gars ! Tel que tu m’voué, j’allions justement à Saint-Glinglin vendre mes choux-fleurs au marché. Allez, grimpe don’ dans la carriole, ça t’fera économiser les sous de l’autocar.
— C’est vraiment gentil à vous père Justin, mais je ne voudrais pas abîmer vos beaux choux-fleurs. Non, ne vous inquiétez pas, je vais aller prendre le bus, ça sera plus raisonna…
— Dis donc mon gars, tu veux t’y don’ m’fâcher ? Allez, fais don’ point d’manières avec moué et dépêche-toi de grimper sinon j’allions finir par arriver en retard au marché.
Et nous voilà partis pour Saint-Glinglin, le père Justin au volant de son motoculteur, et moi dans la carriole, assis sur un tas de choux-fleurs.
En arrivant devant L’Escale, le père Justin freine d’un coup sec.
— Fais vraiment un sacré temps d’cochon, hein, mon gars ! Allez, descends don’ d’là et viens avec moué, on va aller s’prendre un chti canon à L’Escale, ça nous requinquera.
— Bon d’accord, mais alors juste un…
— Non mais dis donc mon gars, c’est y des foués qu’tu m’prendrais t’y don’ pour un pochtron ?
On s’envoie vite fait trois petits canons et hop, nous voilà repartis.
En arrivant sur la nationale, la pluie se met à redoubler de violence. Au bout de cinq cents mètres, le père Justin s’arrête devant le Porc-Épique.
— Cré vin Diou d’bon sang d’bon souère, tu parles d’un déluge. Allez, saute don’ de la carriole et viens avec moué, on va aller s’prendre un chti godet au Porc-Épique, histouère de s’réchauffer la couenne.
— Bon d’accord, mais alors… juste un…
— Non mais dis donc gamin, tu m’prendrais t’y don’ pour un pochard ?
Le temps de se jeter trois petits godets sur le pouce et hop, on se remet en route.
En traversant Kersauciss, ça tombe tellement fort qu’on n’y voit plus à cinq mètres. Le père Justin s’arrête en catastrophe devant le Relais de Kersauciss.
— Cré vin Diou d’bon sang d’bon souère, vla t’y pas qu’c’est carrément le déluge… Allez viens vite mon gars, on va aller s’mettre à l’abri au Relais de Kersauciss en attendant qu’ça s’passe…
— Bon da-d’accord père Justin, mais alors ju-juste un…
— Non mais dis donc p’tit gars, c’est t’y don’ des foués qu’tu m’prendrais t’y don’ pour un soiffard ?
On s’envoie cinq ou six canons le temps que ça se calme et hop, nous voilà repartis.
En arrivant à Trouillamor, la pluie a presque cessé de tomber, cédant la place à un petit crachin revigorant.
Le père Justin se gare devant Le Vieux Clocher.
— Cré vin Diou d’bon sang d’bon souère… v’la t’y pas qui s’mettions à faire beau. Tu vas vouère qu’on va finir par attraper un chaud et froid. Vaut mieux être prudent… Allez viens don’ mon gars, on va aller s’prendre un chtite goute, histoire de s’ravigoter.
— Da-da-d’accord Ju-Ju-Justin…
— Non mais dis don’ mon gars, c’est t’y don’ des foués qu’tu m’prendrais t’y don’ pour une arsouille ?
Je me réveille Place du Marché à Saint-Glinglin, avec le père Justin penché au-dessus de moi, un chou-fleur à la main.
— Cré vin Diou d’bon sang d’bon souère… ah ben mon gars, on peut dire que tu m’avions fait une sacré peur. T’étais tellement bien enfoui sous ton tas de choux-fleurs qu’j’avions bien cru que j’t’avions perdu en chemin. Bon allez, c’est point tout ça, mais il étions déjà midi passé et j’avions toujours rien vendu. Viens don’, on va aller se jeter vite fait un petit gorgeon à la Bolée des Halles, histouère de s’donner du cœur à l’ouvrage, et après, hop, au turbin !
— Bon d’accord, mais alors… juste un…
À treize heures trente, je gravis enfin les marches du Centre Océanographique et de la Protection des Plages de Saint-Glinglin. Le hall d’accueil est vaste, lumineux, et décoré avec un goût exquis. Au centre, des tabourets de cuisine recouverts de housses vertes en velours côtelé sont élégamment agencés autours d’une ravissante table ronde en formica sur laquelle trône un pot-à-lait en fer-blanc astucieusement transformé en vase dans lequel trois roses en plastique scintillent de mille feux sous la lumière tremblotante des néons. Sur le mur du fond, un immense tableau met en scène une ribambelle d’adorables petits porcelets tout roses gambadant gaiement dans une prairie ensoleillée sous le regard attendri d’une truie débonnaire.
Derrière le comptoir, une minuscule blonde peroxydée à lunettes d’écaille tricote un passe-montagne en me dévisageant d’un œil suspicieux.
— Bonjour mademoiselle, je viens voir votre directeur…
— Vous avez rendez-vous ?
— Je pense bien ! Pour tout vous dire, ma jolie, c’est même lui qui m’a demandé de venir.
— Vous vous appelez ?
— Troudic, François Troudic, avec un T, comme dans Topinambour.
— Un instant je vous prie……………… Allo ?… Monsieur le Directeur ?… Excusez-moi de vous déranger… un certain François… Troudic est là qui demande à vous voir… Je vous demande pardon ? Non Monsieur le Directeur, François Troudic, avec un T comme dans Topinambour… Oui ? Non… D’accord… Très bien Mr le Direc… Tout à fait… Je comprends Mons… Abso… C’est entendu… Mes respects Monsieur le directeur.
Elle raccroche et me foudroie du regard.
— Monsieur le Directeur est en réunion et me prie de vous faire savoir qu’il ne connaît pas le moindre François Troudic et a d’autant moins l’intention de le connaître qu’il a une sainte horreur des Topinambours…
— Mais enfin mademoiselle, c’est insensé… monsieur Mac Roe, m’a téléphoné en personne vendredi dernier afin de me prier de venir le voir aujourd’hui.
— Monsieur comment dites-vous ?
— Monsieur Mac Roe, Peter Mac Roe, avec un M comme dans Moustiquaire et un R comme dans Rutabaga.
— Désolée, mais je ne connais pas le moindre monsieur Maquereau. Notre directeur se nomme Monsieur Legrouik, avec un L comme dans Liposuccion.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous ? Pourquoi Peter Mac Roe se serait-il amusé à me faire croire qu’il venait d’être nommé directeur du Centre Océanographique et de la Protection des Plages de Saint-Glinglin !
— Directeur de quoi, avez-vous dit ?
— Du C.O.P. P, Centre Océanographique et de la Protection des Plages.
— Alors cher monsieur, tout s’explique. Vous n’êtes pas au siège du C.O.P. P mais au siège du C.O.P. P, Comité Olympique des Producteurs de Porcs. Vous trouverez le C.O.P. P juste en sortant d’ici, à une cinquantaine de mètres sur votre gauche.
À treize heures quarante-cinq, je gravis enfin les marches du Centre Océanographique et de la Protection des Plages de Saint-Glinglin. Le hall d’accueil est vaste, lumineux, et décoré avec un goût exquis. Au centre, des chaises longues en rotin, recouvertes de plaids aux couleurs bariolées, sont harmonieusement disposées autour d’une table basse en plastique blanc sur laquelle trône un bocal à l’intérieur duquel virevolte gracieusement un poisson rouge en tutu. Sur le mur du fond, un immense tableau représente le Commandant Jacques-Yves Couchetôt, coiffé de son légendaire bonnet de nuit, en train de boire une camomille sous l’œil attendri d’une sardine à l’huile.
Derrière le comptoir, une jolie brunette, chaussée d’une paire de lunettes de piscine, reprise un filet de pêche tout en me dévisageant d’un air mutin.
— Bonjour mademoiselle, je viens voir votre directeur…
— Vous êtes monsieur ?
— Troudic, François Troudic, avec un T, comme dans Torticolis.
— Un instant je vous prie……………… Allo ?… Monsieur le Directeur ?… Excusez-moi de vous déranger… un certain François… Troudic est là qui demande à vous voir… Je vous demande pardon ? Non Monsieur le Directeur, François Troudic, avec un T comme dans Torticolis… Oui ? Très bien Monsieur le Directeur.
— Dépêchez-vous de monter Monsieur Troudic, Monsieur Mac Roe est impatient de vous voir. Il vous attend dans son bureau, deuxième étage, cinquième porte à droite en sortant de l’ascenseur.
En arrivant au deuxième étage, juste au moment où je sors de l’ascenseur, j’entends une porte se refermer violemment, puis une sorte de râle lancinant entrecoupé de lointains borborygmes… Bizarre… j’arrive devant la cinquième porte. « Peter Mac Roe – Directeur ». Je frappe… pas de réponse… je frappe plus fort… toujours rien… – Peter ! c’est moi, François !… toujours pas le moindre signe de vie… un terrible pressentiment m’envahit… Non seulement je suis afraid pour ma vie mais en plus, j’ai peur pour my life… sans hésiter, je prends mon élan et j’enfonce la porte.
— Bonté divine, François !… mais qu’est-ce que tu fais là, couché devant la porte de mon office ?
Je tourne la tête et entrouvre péniblement un œil. Au fond du couloir, j’aperçois Peter Mac Roe qui se précipite vers moi.
— … Agaaaahaaa… Agaaaahaaa
— Qu’est-ce que tu dis François ? Mais ma parole… tu as une big bosse sur la tête… et du sang dans ton nose !…
— Peter… je… ouch !… je crois que… je me suis aussi… bousillé l’épaule…
— François… by the kilt of my uncle, m’expliqueras-tu ce qui s’est passé ?
— J’ai cru… qu’il t’était… arrivé quelque chose… Peter… j’ai frappé… je t’ai appelé… et comme tu ne… répondais pas… j’ai pensé que tu étais… blessé… ou mort… et j’ai décidé de défoncer… la porte… mais finalement… c’est la porte… qui m’a défoncé.
— Mais enfin François… pourquoi n’as-tu pas tout simplement ouvert la porte en tournant la poignée ?
— ……… Je n’y ai pas pensé… Peter.
— Ah François… je te reconnais bien là, toujours aussi impetious qu’à l’époque de la university… Allez, come on, je vais t’aider à te relever et on va aller prendre un drink dans mon office, ça va te remettre d’aplomb…
— Merci Peter, c’est pas… de refus. Mais dis-moi, pourquoi n’étais-tu pas dans ton bureau ?
— J’étais aux waters François. J’étais parti… dégobiller… Mais rentre et assieds-toi, je vais t’expliquer… Tu vois ce bocal ouvert à côté du téléphone ?
— Oui…
— C’est du juice d’holothurie.
— Du jus de quoi ?
— De l’holothurie, du concombre de mer si tu préfères. Quand ma secrétaire a téléphoné pour m’informer que tu étais là, j’étais en train de boire un petit whisky, et quand j’ai raccroché, au lieu de prendre mon verre, j’ai pris par inadvertance le bocal et j’ai bu le juice de cucumber. C’est vraiment… dégueulasse… et ça brûle terriblement… je me suis précipité aux waters pour vomir.
— Du jus de concombre de mer… pouah… mais, qu’est-ce que tu fais avec du jus de concombre de mer dans ton bureau ? Est-ce que c’est en rapport avec cette histoire dont on a parlé dernièrement aux informations ?
— Exactly François… nous avons un big problem en ce moment avec ces saloperies de cucumbers… Ils viennent s’échouer par milliers sur les plages de la région… on les enlève le matin et le lendemain… il y en a le double !… En pleine saison touristique, tu imagines le drame !… C’est une énorme catastrophe pour l’économie de Saint-Glinglin… Le maire, le préfet, tout le monde est très nervous… On nous a confié le soin de comprendre le pourquoi du comment de la raison de la cause du phénomène et de trouver rapidement une solution…
— Et… où en êtes-vous ?
— Ça avance plutôt bien… d’après les dernières analyses, il semble presque certain que les concombres se multiplient à cause des pets de lamantins.
— Des pets de lamantin ?
— Ça t’interloque hein ?… c’est vrai que les vaches de mer vivent généralement beaucoup plus au sud, mais depuis quelques mois, sans doute à cause de notre microclimat, un troupeau est venu s’installer dans la baie de Saint-Glinglin, et comme par hasard, c’est depuis leur arrivée que les sea cucumbers se sont mis à proliférer. Le professeur Michel-André Nieux, qui dirige les recherches dans notre laboratoire, est pratiquement certain que ce sont leurs prouts qui ont déclenché ce fléau.
— C’est vraiment passionnant Peter, mais heu… quel rapport avec ma présence ici ?
— J’allais y venir François… ça ne fait que deux semaines que j’ai été nommé directeur de ce centre, suite au malheureux accident dont a été victime Jethro Lapoisse, mon prédécesseur. Un matin, en descendant au sous-sol pour inspecter les aquariums, il a malencontreusement glissé sur une méduse et est tombé la tête la première dans le bassin des barracudas. Une vraie boucherie… sa veuve n’a pu l’identifier que grâce à ses boutons de manchettes. On m’a donc envoyé pour le remplacer… et dès le lendemain de mon arrivée, quelqu’un a commencé à coller des post-it un peu partout où j’allais… sur la porte de mon office, sur le dossier de mon fauteuil, sur ma bouteille de whisky, sur la selle de ma mobylette, sur mon rond de serviette à la cantine… on en a même collé un sur mon front pendant que je faisais la sieste… avec à chaque fois des messages de plus en plus menaçants… Tiens, wait a minute, ils sont là dans mon tiroir, je vais te montrer…
« Retourne chez ta mère »
« Sale british, occupe-toi de tes miches »
« Feuking bassetarde »
« Mac Roe, tu f’ras pas d’vieux os »
« Les barracudas raffolent du rosbif »
… Alors François, tu comprends à présent pourquoi je suis si inquiet… Quelqu’un me veut du mal et je n’ai aucune idée de qui ça peut être… Vendredi, j’étais vraiment à bout de nerfs et c’est pour ça que je t’ai appelé… J’ai suivi tes exploits lors de l’affaire Marcel Lanchois[1], la façon extraordinaire dont tu as démantelé ce gang de trafiquants de boîtes de conserves… vraiment… c’était brillant !… et puis tu es la seule personne que je connaisse dans la région… Alors je t’en prie, François… please… il faut que tu m’aides à démasquer le coupable.
— Écoute Peter, je crois que tu te fais du souci pour rien, à mon avis, c’est juste quelqu’un qui s’amuse à te faire une blague… une sorte de bizutage de bienvenue… Après, savoir qui… combien de personnes travaillent avec toi au centre ?
— Nous sommes cinq en tout. Il y a notre réceptionniste, Mlle Flétan, que tu as vue en arrivant, le professeur Michel-André Nieux, qui dirige notre laboratory, et ses deux assistants… mais come on, le plus simple, c’est encore que je te les présente, ils sont justement au sous-sol en train d’analyser des concombres, et puis comme ça j’en profiterai pour te faire visiter nos installations.
Le sous-sol du Centre Océanographique et de la Protection des plages de Saint-Glinglin se présente sous la forme d’un long couloir rectiligne bordé d’immenses baies vitrées derrière lesquelles évoluent les créatures marines les plus variées : Sardines, seiches, moustelles, encornets, espadons, calamars, carrelets, mérous, pétoncles, homards, germons, bouquets, pageots, bars, exocets, casserons, rougets, limandes, Saint-Jacques, rascasses, araignées, vives, moules, tourteaux, vieilles, crevettes, turbots, coques, tacauds, pieuvres, carangues, lançons, congres, lottes, morues, berniques, sars, raies, palourdes, cigales, étrilles, lieus, éperlans, zées, barbeaux, thons, dentés, chimères… tout ce joli monde nage, rampe, ondule, ondoie, plonge, barbote, qui dans un bassin, qui dans une bassine, qui dans un bocal, qui dans une piscine.
— Alors, qu’en penses-tu François ?
— C’est vraiment très impressionnant, Peter…
— N’est-ce pas ? Et encore, tu n’as rien vu ! Viens, je vais te montrer ma collection de coquilla…
Soudain, du fond de la pièce s’élève un meuglement funèbre, une sorte de vagissement déchirant, de chant désespéré, dont la poignante tristesse me saisit et me bouleverse.
— Mon Dieu Peter, mais qu’est-ce que c’est que ça ?
— Ah ça, François, c’est un jeune lamantin que nous avons capturé la semaine dernière dans la baie de Saint-Glinglin. Les vaches de mer sont toujours dépressives lorsqu’elles sont séparées de leur troupeau, et celle-ci semble avoir particulièrement du mal à s’y faire… depuis qu’elle est là, elle n’arrête pas de pleurnicher et de se plaindre, à tel point que le Professeur l’a baptisé Ouin-Ouin…
— Franchement Peter, je trouve ça…
— Oui je sais François, you don’t agree… tout cela te semble cruel, mais que veux-tu… c’est dans l’intérêt de la science ! Vois-tu, le Professeur Michel-André Nieux le nourrit exclusivement d’oignons, de choux-fleurs, de fayots, et de pois chiches, afin de le faire péter en abondance, puis il récupère ses gaz et les fait inhaler aux concombres de mer. Il ne lui reste plus ensuite qu’à faire dégorger les concombres et à en analyser le juice. C’est de cette façon qu’il entend pouvoir prouver que ce sont bien les pets de lamantins qui sont à l’origine de cette invasion de cucumbers. Mais viens, allons le saluer, il t’expliquera tout cela beaucoup mieux que moi.
« Alors qu’on peut aisément se dispenser d’enfiler un kilt pour écosser des petits pois, il est vivement conseillé de mettre un imperméable, des gants et des lunettes étanches avant de faire dégorger un concombre de mer. En effet, lorsqu’on lui chatouille les téguments, le concombre se contracte de toutes ses forces pour ne pas céder au fou-rire… Lorsqu’il ne peut plus résister, il explose. À ce stade, mieux vaut être bien protégé car ça gicle dans tous les sens, et le jus d’holothurie, non seulement ça pue, mais en plus, c’est très corrosif. »
Professeur Stanislas Padbraire in « Holothuroidea : Le langage corporel des échinodermes », É. Rachid Huilda, 1959.
Peter Mac Roe : Hello guys ! Je vous présente mon vieil ami, François Troudic, qui est de passage à Saint-Glinglin et m’a fait l’amitié de venir me saluer. François, je te présente le Professeur Michel-André Nieux.
Moi : Ravi de vous connaitre, Professeur.
Michel-André Nieux : Tout le plaisir est pour moi, monsieur Troudic.
Peter Mac Roe : Et voici son assistant, Michel-André Vogratin.
Moi : Enchanté.
Michel-André Vogratin : Moi de même.
Peter Mac Roe : Et enfin, notre laborantin, Michel-André Comtou.
Moi : Salut.
Michel-André Comtou : salut.
Moi : Vous vous appelez tous les trois Michel-André ! Eh ben ça alors, il faut reconnaître que c’est pas banal… Ça ne vous pose pas de problèmes de communication pour travailler ensembles ?
Michel-André Nieux : C’est une remarque extrêmement judicieuse, Monsieur Troudic, qui prouve à quel point vous avez l’esprit vif. Voyez-vous, cher ami, là où d’aucuns, dans une telle situation, eussent été fort embarrassés ou se seraient banalement contentés de résoudre le problème en s’appelant par leurs noms de famille, nous l’avons pour notre part abordé de façon méthodique et cartésienne. Après tout, huhuhu, nous ne sommes pas scientifiques pour rien… Ainsi, pour éviter toute confusion et rendre de surcroît nos relations professionnelles encore plus conviviales, avons-nous décidé de nous appeler mutuellement par nos surnoms, ceux-là même dont nos parents et nos proches nous affublaient lorsque nous étions enfants. Vous pouvez donc appeler Monsieur Vogratin Andy et Monsieur Comtou Mimi. Quant à moi, vous pouvez, en toute simplicité, m’appeler Dédé.
Moi : Voilà un système fort ingénieux, Professeur.
Michel-André Nieux : Je ne vous l’envoie pas dire, cher ami, mais trêve de bavardage, vous tombez à pic, messieurs, car nous venons tout juste de faire inhaler à ce gros concombre, une triple dose de concentré de pet de lamantin et nous allons maintenant entreprendre de le faire dégorger. Nul doute que cette ultime expérience viendra étayer de façon définitive notre théorie quant à l’influence des gaz de vaches de mer sur le système reproducteur des holothuries, et nous permettra ainsi de prouver à la face du monde la justesse de nos assertions. Il faudra alors prendre rapidement les décisions qui s’imposent afin de juguler définitivement l’abominable fléau dont pâtit notre bonne ville de Saint-Glinglin. Mais assez parlé, messieurs, ne perdons pas de temps… Mimi, ayez l’amabilité de bien vouloir passer des gants, des lunettes et des imperméables à Monsieur le Directeur et à Monsieur Troudic afin qu’ils puissent assister au spectacle en toute sécurité. Et maintenant, mes amis… au travail !
Michel-André Nieux : Tout est prêt Andy ?
Michel-André Vogratin : Tout est prêt, Dédé.
Michel-André Nieux : Parfait ! Mimi ? Avez-vous bien stérilisé tous les instruments ?
Michel-André Comtou : Oui Dédé, tout est en ordre.
Michel-André Nieux : Très bien. Le patient est-il soigneusement ligoté sur la table d’opération ?
Michel-André Vogratin : Comme un saucisson, Dédé.
Michel-André Nieux : Formidable Andy. Le pouls ?
Michel-André Vogratin : Régulier.
Michel-André Nieux : La tension ?
Michel-André Comtou : Treize et des brouettes.
Michel-André Nieux : Excellent ! Bon, allons-y… en douceur… Mimi, passez-moi l’écarteur de poils et la plume de serin, je vous prie ! Merci. Guili guili guili… guili guili guili…
Le concombre : Gnnn…
Michel-André Nieux : Guili guili guili… guili guili guili…
Le concombre : Gnnn… Gnnn… Hmmm… Gnnn…
Michel-André Nieux : Ah, il résiste le bougre… Attends un peu mon gaillard… Plume d’oie ! Merci Mimi. Guili guili guili… guili guili guili… Guili Guili Guili…
Le concombre : Gnnn… Gnnn… hihi… Gnnn… hihihi… Gnnn…
Michel-André Nieux : Héhé, je sens que ça vient… Allez, encore un petit effort… Guili guili guili… guili guili guili… Guili Guili Guili…
Le concombre : Gnnn… Gnnn… hihi… Gnnn… hihihi… Gnnn… Hihihi hihihi hahaha houhouhou hahahaha hihihiiiiiiii… BOUM !!!!
Michel-André Nieux : Et voilà le travail ! Vite Mimi, récupérez-moi autant de jus que vous le pourrez, nous allons immédiatement l’analyser. Ça va messieurs ? Vous ne vous êtes pas fait trop éclabousser ?
Peter Mac Roe : My God, ça brûle ! Déjà tout à l’heure j’en ai ingurgité une lampée et voilà que maintenant, je m’en prends une giclée dans l’œil !
Michel-André Nieux : Sans soute aviez-vous mal ajusté vos lunettes Monsieur le Directeur… Allez vite vous rincer l’œil ! Bien… procédons à l’analyse de ce jus… Mon Dieu, que ça pue… Alors, voyons voir ça… Oui… D’accord… C’est cela… Ah ! Je m’en doutais… Eh bien Messieurs, voilà qui confirme définitivement ce que nous suspections depuis longtemps. Alors qu’en temps normal la libido d’un concombre de mer est proche du zéro absolu sur l’échelle de Braquemart, il apparaît que le métabolisme de celui-ci a été totalement bouleversé par le concentré de pet de lamantin que nous lui avons fait inhaler et que son jus charrie à présent une impressionnante quantité de citrate de sildénafil et de testostérone. De plus, l’observation de son mésoderme intermédiaire met en évidence un accroissement considérable de la taille de ses gonades. Ce matin, lorsque nous lui avons fait passer l’échographie, elles étaient à peine plus volumineuses que des graines de radis nains et voilà qu’à présent, elles sont grosses comme des litchis… En vérité messieurs, je vous le dis, si nous n’avions pas eu la bonne idée de le faire exploser, ce concombre, une fois relâché dans la nature, aurait été une véritable bombe sexuelle et se serait reproduit comme un lapin.
Peter Mac Roe : Eh bien, je crois que cette fois-ci, il n’y a plus le moindre doute. Toutes mes congratulations, Professeur !
Michel-André Nieux : Je vous en prie, Monsieur le Directeur, je n’ai fait que mon devoir et je suis particulièrement heureux d’avoir pu, en toute humilité, mettre mon modeste génie au service de notre belle cité et de nos chers concitoyens.
Peter Mac Roe : Je vais immediately aller téléphoner à Monsieur le Maire afin qu’il puisse prendre sans retard les décisions qui s’imposent.
Michel-André Nieux : Vous avez raison, Monsieur le Directeur, il faut agir, et sans délai !
Moi : Qu’allez-vous faire exactement ?
Michel-André Nieux : Hélas, nous n’avons guère le choix, Monsieur Troudic. Aux grands maux les grands remèdes… Nous allons procéder à l’éradication totale du troupeau de lamantins qui encombre la baie de Saint-Glinglin.
Moi : Éradication… Vous voulez dire que vous allez tous les… ?
Michel-André Nieux : Les tuer, oui, absolument, tous, jusqu’au dernier !
Moi : Mais… n’y aurait-il pas moyen de simplement les capturer et de les emmener ailleurs ?
Michel-André Nieux : Pour qu’ils reviennent l’année prochaine et que le problème recommence de plus belle ? Tss tss tss, voyons, soyons sérieux… non, croyez-moi Monsieur Troudic, la seule solution, pour se débarrasser définitivement de ces grosses vaches et de leurs pets infâmes, c’est de les zigouiller, toutes, et sans exceptions.
Moi : Je trouve quand même cela extrêmement cruel…
Michel-André Nieux : Ne vous méprenez pas, cher Monsieur Troudic, moi aussi j’adore les animaux, j’ai même eu un cochon d’Inde quand j’étais petit et j’ai beaucoup pleuré lorsqu’il est mort noyé dans le pot de chambre de ma grand-tante, mais, dans la situation présente, il nous incombe de mettre nos sentiments de côté car il en va de la sauvegarde de l’économie de notre ville et de toute la région ! Face à de tels enjeux, je vous le dis tout net : pas de cadeaux, taïaut taïaut, à l’assaut, mort aux vaches et mort aux veaux !
RIDVEAU
— Tu viens François ? Je vais aller téléphoner à Monsieur le Maire et ensuite, nous irons manger un hot-dog !
— Monsieur le Directeur ! Monsieur le Directeur !
C’est Mimi Comtou, le laborantin, qui arrive en courant juste au moment où nous pénétrons dans l’ascenseur.
— Oui ? Qu’y a t-il, Mimi ?
— Monsieur le Directeur, il faut absolument que je vous parle.
— Plus tard, Mimi, je dois aller téléphoner au Maire de toute urgence.
— Mais Monsieur le Directeur, c’est vraiment très import…
— Stop it Mimi ! Je viens de vous dire que j’étais extrêmement pressé. Nous en parlerons plus tard. Au lieu de me déranger, vous feriez mieux d’aller remettre un peu d’ordre dans la salle des harpons, j’ai constaté en passant que c’était un véritable capharnaüm. Allez mon garçon, hurry up !
Traînant la savate, Mimi s’éloigne à contrecœur.
— Ah, je te jure François, ce Mimi… ce qu’il peut être pénible parfois ! Son contrat de travail se termine à la fin de la semaine et, sous prétexte qu’il en est déjà à son quatre-vingt-deuxième CDD, il n’arrête pas de me harceler pour que je lui fasse un CDI. Comme si je n’avais pas en ce moment des choses plus importantes à régler…
De retour dans son bureau, Peter appelle le maire de Saint-Glinglin.
— Allo Monsieur le Maire ? Hello Monsieur le Maire, Peter Mac Roe dans l’appareil, du Centre Océano… Pardon ?… Oui, Monsieur le Maire, tout à fait… J’ai justement une excellente nouvelle à vous annoncer. Le professeur Michel-André Nieux vient d’apporter la preuve irréfutable que ce sont bien les flatulences de lamantins qui sont à l’origine du problème… Oui ?… Exactly Monsieur le Maire… C’est en effet la seule solution… Eh oui, je suis d’accord avec vous, c’est bien triste… Absolument… Of course, of course… Tout à fait Monsieur le Maire… Pardon ? Ma foi… Je ne… Eh bien… Écoutez, avec grand plaisir, c’est vraiment très aimable à vous ! Vers quelle heure ?… Vingt et une heure ? Very good ! À la Mairie ? Perfect… Vingt et une heure à la mairie, c’est noté… c’est une merveilleuse idée Monsieur le Maire… Oui, c’est cela, à ce soir… Merci encore… Au revoir… bye-bye…
Il raccroche.
— Ah vraiment, ce maire, quel homme charmant !… Il est tellement heureux que ce problème de cucumbers soit enfin résolu, que pour fêter ça, il a décidé d’organiser ce soir un bal costumé à la Mairie de Saint-Glinglin ! Nous sommes tous invités !
— Ça sera sans moi, Peter. Il faut que je reparte dès ce soir car j’ai promis à ma femme de la rejoindre demain à Saint-Balo.
— Are you crazy, François ? Tu ne vas pas rater ça ! Imagine un peu… un bal costumé à la Mairie de Saint-Glinglin !… tu le regretterais toute ta vie ! Non, non, il faut absolument que tu viennes ! Écoute, tu vas aller à la poste envoyer un télégramme à ta chérie, et le tour sera joué.
— Non, vraiment Peter, je ne…
— Allons François, plus un mot, ce soir, tu es mon invité ! Et puis tu vas voir, on va s’amuser comme des fous, ça va être fun fun fun ! Allez viens, je t’accompagne dans le hall, comme ça j’en profiterai pour transmettre à Mlle Flétan l’invitation de Monsieur le Maire, et lorsque tu reviendras de la poste, nous irons ensemble louer des déguisements pour le bal.
Le hall d’accueil est aussi désert que le crâne du grand-père de Yul Brynner.
— Tiens, c’est curious… où a bien pu passer Mlle Flétan ? Mlle Flétan ? Mlle Flétaaaannn ???
Soudain, montant du sous-sol, un cri terrifiant nous glace les cheveux et nous hérisse les sangs.
Alors que nous nous précipitons vers l’ascenseur, la porte de l’escalier de service s’ouvre violemment. Mlle Flétan en surgit, livide, décomposée, les cheveux en bataille, la bouche tordue, la bave aux lèvres, le nez qui coule, le menton qui tremble, l’œil affolé… Elle se rue vers nous en psalmodiant une litanie dans queue ni tête :
— Mamaaaa mimi momooo mama mimi momoooo…
Pour la calmer, Peter Mac Roe lui balance posément deux torgnoles dans la tronche. L’effet est immédiat, elle s’écroule, K.O. Il lui recolle alors quelques tartes subtilement dosées afin de la faire revenir à elle. Elle ouvre enfin les yeux, nous aperçoit, et se met à sangloter.
— Bouuuuuh, Monsieur le Directeur, c’est te-te-tellement affreux.
— Relax baby cool… Dites-nous ce qui s’est passé.
— C’est ce pau-pauvre Mimi, Monsieur le Directeur… il est mo mo… il est mort !!
— What ! Qu’est ce que vous dites ? Mimi mort ?
— Oui Monsieur le Directeur… Bouuuuh… j’étais descendue… au sous-sol… pêcher une daurade pour… mon repas de ce soir… En passant devant la salle des fusils-harpons, j’ai vu… qu’il y avait… de la lumière et je suis entrée… et là… Booouuuuhhh ouhhh… c’était vraiment trop horrible, Monsieur le Directeur… ce pauvre Mimi… il était… mort… au milieu de la pièce… avec des jets de sang qui s’échappaient de son cou en faisant glouglou… C’est horrible… Ce pauvre garçon s’est suicidé… avec un fusil-harpon !
En découvrant le spectacle dans la salle des harpons, on comprend aisément pourquoi la môme Flétan a légèrement flanché du cabochon. Fixant le plafond de ses yeux révulsés, baignant dans une mare de sang, bouche béante, langue pendante, Mimi git là, recroquevillé sur le carrelage. La flèche d’acier de douze millimètres de diamètre qui lui traverse le kiki de la pomme d’Adam à l’occiput, lui donne un peu l’air d’une girouette plantée dans de la purée de betterave. Son index gauche est toujours crispé sur la détente du fusil, et, de son autre main, dans les affres de l’agonie, il a encore trouvé la force de tracer un ultime message ; trois lettres sanguinolentes, bavassant sur le carrelage : CDD
Sous le choc, Peter vacille.
— My God, mon Dieu, Mama mia… pauvre garçon !… Si seulement j’avais su que cela lui tenait tellement à cœur…
Le professeur Nieux et son assistant débarquent sur ces entrefaites.
— Messieurs, messieurs, mais que se passe-t-il ?
— Mimi Comtou vient de se suicider, Professeur.
— Mon Dieu, mais quelle terrible nouvelle ! Avec tout le travail que nous avons en ce moment…
— Don’t worry, Professeur, j’ai sur mon bureau une pile de C. V haute comme ça… Nous n’aurons guère de mal à le remplacer.
— Me voici rassuré, Monsieur le Directeur. Il n’empêche, ce pauvre Mimi nous manquera… Il n’était pas très futé, et ne sentait pas toujours la rose, mais c’était un gentil garçon, et il préparait très honorablement la brandade de morue. Ça me fait d’ailleurs penser qu’il va bientôt être l’heure d’aller nourrir nos pensionnaires. À présent que Mimi n’est plus là, il faut bien que quelqu’un s’en occupe… Vous venez, Andy ?
— J’arrive Profess…
— Ah messieurs, j’oubliais…
— Oui, monsieur le Directeur ?
— J’ai transmis au maire la conclusion de vos travaux. Il était tellement heureux d’apprendre que ce fichu problème de concombres allait enfin être réglé qu’il a décidé d’organiser, ce soir, à la mairie, un bal costumé en notre honneur.
— C’est vraiment très gentil de sa part, Monsieur le Directeur, mais… après ce qui vient d’arriver à ce pauvre Mimi, croyez-vous vraiment que ce soit…
— Ces scrupules sont tout à votre honneur, Professeur, mais je suis persuadé que si Mimi était encore en vie, il serait le premier à insister pour que nous y allions afin d’honorer sa mémoire… Alors, allons-y ! Ce sera une merveilleuse façon de lui rendre hommage ! Et puis, une invitation du Maire… ça ne refuse pas !
— Vous avez raison Monsieur le Directeur. Vous pouvez compter sur nous, nous irons, ne serait-ce que pour faire plaisir à Mimi ! N’est-ce pas, Andy ?
— Oui, Profess…
— Fort bien messieurs, je vous laisse vaquer à vos occupations et vous dis à ce soir, vingt-et-une heure, à la mairie. Je compte sur vous pour arborer de beaux déguisements, il en va de la réputation du C.O.P. P !
Non mais, pourquoi est-ce que je suis toujours incapable de dire non ! Sans déconner, des fois, je me comprends pas… j’ai l’impression d’avoir à peu près autant de caractère qu’une tranche de veau marengo… J’étais fermement décidé à rentrer dès ce soir à Ploucamor, et voilà que je me retrouve embringué pour aller faire le guignol à la Mairie de Saint-Glinglin… Comment je vais encore pouvoir expliquer ça à Géraldine, moi…
Lorsque j’arrive devant le bureau de poste, il y a la queue jusque sur le trottoir. Putain, tu parles d’une scoumoune, ça va carrément prendre des plombes. Cent cinquante vieux croûtons devant la Poste de Saint-Glinglin un lundi après-midi… Il doit se passer un truc, c’est pas normal.
— Excusez-moi Madame, mais… pourquoi est-ce qu’il y a autant de monde ?
Pas de réponse.
J’essaie la suivante.
— Bonjour Madame, heu… c’est normal tous ces gens ?
— Si vous croyez qu’on ne voit pas votre petit manège, jeune homme. À la queue, comme tout le monde !
— Mais, je vous demande juste si…
— À Saint-Glinglin, on aime pas les resquilleurs ! Allez faire la queue, et laissez-moi tranquille !
La foule commence à s’agiter et à me regarder d’une drôle de façon. Non mais, c’est pas vrai… ils sont complètement tarés ces Saint-Glinglinois. Bordel… attendre trois plombes sous la flotte, au milieu de ces blaireaux, je sens que ça va être au-dessus de mes forces… j’hésite… rester… repartir… Il va bien pourtant falloir que je l’envoie, ce foutu télégramme… Bon, pas le choix… je respire un grand coup… je prends mon élan… et je fonce dans le tas.
Tu parles d’une corrida ! Sous les coups de coude, les coups de pieds, les coups de griffe, les coups de dentier, les arrachages de cheveux, les jets de couches-culottes, les insultes, les crachats, je remonte la file tant bien que mal… À un moment, j’ai peur de succomber sous le nombre, mais après un dernier effort, alors qu’un petit vieux m’assène consciencieusement des grands coups de parapluie sur la tête et que sa femme me mord gentiment les mollets, je parviens enfin à me planter devant le guichet.
— Bonjour Madame, excusez-moi, mais comment se fait-il qu’il y ait autant de monde ?
— Bonjour jeune homme, ah, on voit bien que vous n’êtes pas de Saint-Glinglin. Chaque premier lundi du mois, nous faisons des promotions. Aujourd’hui, c’est sur les enveloppes. Vous achetez neuf enveloppes et la Poste vous offre la dixième.
— Effectivement c’est intéressant, mais moi je n’ai pas besoin d’enveloppes, il faut juste que j’envoie un télégramme.
— Pour cela, je vous conseille vivement de revenir le premier lundi du mois d’octobre, afin de profiter de l’opération “Deux mots envoyés, le troisième offert”.
— Oui mais moi c’est aujourd’hui que je dois envoyer mon télégramme, pas en octobre.
— Envoyez plutôt une lettre. Avec un peu de chance, elle arrivera avant le mois d’octobre et cela vous permettra de profiter de la promotion sur les enveloppes.
— Non, non, cela ne m’intéresse pas, c’est un télégramme que je veux envoyer, maintenant, là, tout de suite.
— Bon, très bien, jeune homme, je n’insiste pas, même si je n’en pense pas moins. Vous avez votre carte de fidélité ?
— Heu non, je n’en ai pas. De toutes façons je ne suis pas de Saint-Glinglin et je ne risque pas de…
— Même si vous n’êtes pas de Saint-Glinglin, je vous conseille vivement de prendre une carte de fidélité. Non seulement cela vous vaudra une remise immédiate de deux pour cent sur l’ensemble de nos produits, enveloppes blanches, enveloppes grises, enveloppes bleues, enveloppes marrons, enveloppes à rabats, enveloppes à fenêtre, enveloppes matelassées, enveloppes à bulles, télégrammes, timbres nationaux et internationaux, timbres de collection, cartes postales, cartes de vœux, faire-part de naissance, faire-part de mariage, faire-part de décès, lettres recommandées, etc., – offres évidemment non cumulables avec les promotions exceptionnelles des premiers lundis de chaque mois – mais cela vous permettra en plus de participer à la grande tombola de Noël, d’autant que cette année, les prix sont particulièrement merveilleux et merveilleusement particuliers : des napperons en dentelle, des mouchoirs en dentelle, des abat-jours en dentelle, des paquets de crêpes-dentelles, des serviettes en dentelle, des chaufferettes en dentelle, des étuis à lunette en dentelle, des… mais attendez, je vais vous montrer le catalogue, cela vous donnera une idée plus précise…
— Non écoutez madame, c’est très gentil de votre part, mais ce n’est pas la peine de me montrer le catalogue, je suis totalement allergique à la dentelle. J’aimerais juste envoyer un télégramme, et si possible, maintenant.
— Même si vous n’aimez pas la dentelle, prenez quand même la carte de fidélité. Non seulement cela vous permettra de pouvoir…
— MAIS PUTAIN DE BORDEL DE CUL DE BERNIQUE DE BALAI D’CHIOTTE !!!! T’ES BOUCHÉE LA VIEILLE OU QUOI ??? JE TE DIS QUE J’EN AI RIEN À FOUTRE DE TA CARTE DE FIDÉLITÉ ET DE TES RÉDUCTIONS À LA CON !!! JE VEUX JUSTE ENVOYER UN TÉ-LÉ-GRAMME !!! COMPRIS !!!!!
Ça lui coupe le sifflet direct. Elle me fixe, la bouche ouverte, incrédule, l’air de ne plus trop savoir où elle habite, puis d’un seul coup, elle se ressaisit et se met à hurler :
— ASSASSIN ! SADIQUE ! VOLEUR ! VIOLEUR ! PAÏEN ! PARISIEN ! MILITANT ! PÉDOPHOQUE ! ÉTRANGER ! BÂTARD ! TERRORISTE ! NORMAND ! ÉCOLOGISTE !…
Tandis que je me fais agonir d’insultes, des dizaines de mains m’agrippent, m’empoignent, me tirent en arrière, m’entraînent irrémédiablement vers la sortie… je ne cherche même pas à résister, je n’en ai plus la force… sans trop savoir comment, je me retrouve sur le trottoir, assis dans une flaque d’eau. Devant moi, la foule hostile se referme déjà en un mur compact de parapluies et de cabas à roulettes. Je me relève péniblement et repars en direction de l’Institut Océanographique de Saint-Glinglin. Pour le télégramme, je reviendrai demain…
Juste au moment où je débouche dans la rue du Centre Océanographique, je vois s’ouvrir une petite porte dérobée. Un homme en sort, un seau à la main, à moitié dissimulé sous un large imperméable vert. Il regarde furtivement à droite à gauche, semble hésiter un bref instant, puis referme la porte derrière lui et s’éloigne d’un pas rapide en direction du boulevard Edmond Gerbillon. De derrière le container à poubelles où je m’étais dissimulé, j’ai eu le temps de reconnaître la silhouette du Professeur Michel-André Nieux. Mais qu’est-ce que le Professeur peut bien aller faire en ville à cette heure-ci avec un seau à la main alors qu’il était censé être surchargé de boulot ? Et puis c’est quoi cet air d’aspirateur constipé ? Y’a comme qui dirait quelque chose qui cloche… J’ai beau savoir que c’est un vilain défaut, ma curiosité l’emporte… Je lui emboîte le pas.
Après avoir descendu le boulevard Edmond Gerbillon, le Professeur suit la rue des Cormorans jusqu’à la Place Fernand Pochard d’où il emprunte la rue Sainte-Guiguite. Il s’engage ensuite dans le Passage de la Crotte au Beurre et rejoint la Ruelle des Culs-de-Jatte dont la volée de marches biscornues le mène directement sur le vieux Port, totalement désert à cette heure avancée de l’après-midi. Il se dirige vers l’embarcadère et descend le long d’une petite échelle jusqu’à une cale en contrebas où quelques pédalos décatis se balancent mollement au gré du ressac. Sans hésitation, il prend pied sur l’un d’eux, le détache, et met le cap sur le bouquet de récifs se dressant au milieu de la baie de Saint-Glinglin… Je lui laisse prendre un peu d’avance puis je saute dans un autre pédalo et m’engage dans son sillage. Au bout d’une demi-heure à mouliner des guiboles, je commence à transpirer comme un bœuf bourguignon. C’est qu’il a un sacré coup de pédale ce Dédé… si ça continue comme ça, il va finir par me larguer… Heureusement, c’est le moment qu’il choisit pour lever le pied, juste entre deux récifs recouverts d’algues brunes. Je me laisse discrètement glisser derrière un gros rocher à une cinquantaine de mètres de là, avide de découvrir enfin ce qui peut bien le pousser à venir faire du pédalo sous la flotte, un lundi après-midi, au milieu de la baie de Saint-Glinglin. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne vais pas être déçu du voyage. De sous son imperméable, le Professeur extirpe une flûte à bec. Il la porte à ses lèvres et se met à jouer l’Appel à la Soupe, impérissable chef d’œuvre de la musique militaire française dont la subtilité mélodique et la richesse harmonique firent se trémousser d’allégresse les estomacs de tant de nos glorieux aînés. Tout d’abord, il ne se passe strictement rien et je commence à me demander si le Professeur Nieux ne serait pas tout simplement un ancien bidasse un peu fatigué du képi, mais soudain, je vois s’approcher de son pédalo une sorte de masse sombre. À cette distance, difficile de savoir ce que ça peut bien être… à tout hasard, je fouille dans la boite à gants : des cachous Lajaunie, une peau de chamois, un éventail, une poupée Barbie, une carte routière de Haute-Savoie, et… Oui ! une petite longue-vue de poche made in Pif-Gadget ! Ça c’est du bol ! Je la dirige vers le Professeur Nieux… Tu parles d’un choc ! Cette masse sombre que je n’arrivais pas bien à distinguer, ce sont en fait des milliers et des milliers de concombres de mer qui entourent à présent son pédalo. Le Professeur range sa flûte sous son imperméable et en sort une grosse louche qu’il plonge dans le seau posé à ses pieds. Il y prélève une sorte de purée compacte dont il se met à bombarder la masse grouillante d’holothuries. Faut voir le spectacle… une véritable orgie ! Tous les concombres se précipitent comme des morts de faim. Ça bâfre, ça se goinfre, ça dévore, ça s’empiffre, ça engloutit… certains concombres font même des bonds hors de l’eau pour essayer de niaquer de la purée au vol… Une fois son seau vidé, le Professeur ne s’attarde pas. Il fait demi-tour et remet le cap sur le vieux Port en pédalant comme un dératé. Le temps qu’il prenne un peu d’avance, je reste à observer les holothuries. Après s’en être mis plein la lampe, ces morfales ont cessé de s’agiter et flottent à présent tranquillement à la surface, bien partis pour se taper une petite sieste digestive… Mais ce calme est de très courte durée et précède une sacrée tempête. Alors que je suis sur le point de faire demi-tour, voilà que les concombres commencent de nouveau à s’agiter, d’abord mollement, puis de plus en plus vite, à tel point qu’on les croirait devenus hystériques… Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire maintenant ? y’a pourtant plus rien à manger… Je me rapproche pour les observer de plus près… Putain ! Tu parles d’un tableau… Ils sont carrément tous en train de se niquer !! Et faut voir avec quel entrain ils y vont… Par devant, par derrière, sur le côté, je t’l’enfile, tu me la mets… on a l’impression que ces petits saligauds ont passé leur vie à étudier le cas Masoutra ! La surface de l’eau n’est plus à présent qu’une gigantesque partouze de concombres de mer ! Y’en a même quelques-uns… qui sont parvenus à se hisser sur mon pédalo et qui rampent vers moi en me regardant d’un petit air lubrique… Non mais ça va pas les gars !! Si vous croyez que je suis venu à Saint-Glinglin pour me faire mettre par des concombres ! Je les repousse violemment à la baille et je me mets à pédaler à toute berzingue en direction du vieux port… Merde… y’en a carrément partout ! À présent, la surface de la mer en est couverte… on dirait que ces salopards se sont multipliés comme des petits pains… Je pédale de plus en plus vite pour échapper à cet ignoble spectacle… soudain, je sens un truc visqueux qui descend dans mon dos… Comme un fou, je cherche à le chopper… putain, ça glisse comme de la vaseline… le v’la qui se faufile dans mon pantalon… au secours !! Au viol !! je parviens à le chopper in extremis juste avant qu’il ne commette l’irréparable et je le balance rageusement à la flotte… Aïe ! Cet enfoiré m’a mordu ! Y’en a à présent une trentaine qui ont réussi à se hisser sur le pédalo… Maman, je vais finir par y passer… j’ouvre la boite à gants… j’y farfouille fébrilement… la poupée Barbie ! Je la balance au milieu du tas d’holothuries. Ce qu’ils lui font alors subir appartient à un genre de littérature qui ferait passer les écrits du marquis de Sade pour une comptine d’Enid Blyton… je sens que je n’ai pas fini de faire des cauchemars…
Je ne sais pas trop comment, mais à grands coups de pédales, je parviens finalement à rallier le vieux Port en ayant préservé mon intégrité physique… N’empêche, j’ai eu chaud aux fesses.
Lorsque je débarque au Centre Océanographique et de la Protection des Plages de Saint-Glinglin, j’y trouve Peter Mac Roe, très énervé, en train de faire les cents pas dans le hall.
— Mais enfin François ! Tu as vu l’heure qu’il est ? Où étais-tu ? Ça fait deux heures que je t’attends ! Si on ne se dépêche pas, le magasin de location de costumes va être fermé… tu imagines la catastrophe !
— Excuse-moi Peter, mais déjà, lorsque je suis allé à la poste, il y avait la queue jusque sur le trottoir, et ensuite…
— Oui, oui, c’est ça… tu n’as pas changé François, toujours en retard et toujours de bonnes excuses… Allez viens, dépêchons-nous, hurry up !
En arrivant devant « Chez Tatane, costumes, masques, frites, panoplies, déguisements » le propriétaire est en train de fermer boutique.
— Monsieur, monsieur, attendez…
— Désolé messieurs, mais c’est fermé…
— Je vous en prie Monsieur Tatane, il nous faut impérativement des déguisements pour…
— … le bal costumé de la Mairie, oui, je sais… c’est d’ailleurs pour cela que ça ne sert à rien d’insister… le magasin n’a pas désempli de l’après-midi, j’ai été littéralement dévalisé, il ne me reste plus rien, à part un costume de Zorro, mais beaucoup trop petit pour vous.
— Rien ? rien du tout ? Nothing ? vous êtes sûr ? My God… mais quelle catastrophe !… Le Maire donne un bal costumé en notre honneur et nous allons nous y présenter sans le moindre déguisement… bouuuuuuh… bouuuuuuh… Mon Dieu, quelle honte, quel déshonneur… bouuuuuuh… Nous allons être la risée de tout Saint-Glinglin… bouuuuuuh… Ma carrière est brisée… Je ne m’en relèverai pas… bouuuuuuh… Je suis un homme fini… bouuuuuuuuuuuuuuuh…
— Mais voyons monsieur, ne vous mettez pas dans un tel état… Enfin… un grand garçon comme vous… ressaisissez-vous… Allons, allons… c’est fini ce gros chagrin… Bon… hmmm… grouuuumpf… très bien… allez… rentrez une minute, je vais vois ce que je peux faire…
Et Monsieur Tatane relève son rideau de fer tandis que Peter Mac Roe m’adresse un clin d’œil complice à travers ses larmes de crocodile.
— Bien, attendez-moi ici une minute, et prenez donc un petit cornet de frites, le temps que je descende à la réserve voir si je parviens à vous dégoter quelques chose…
Deux minutes plus tard, Monsieur Tatane remonte avec un grand sac en plastique.
— Messieurs, c’est tout ce que j’ai pu vous trouver. J’avais mis ces costumes de côté, car ils ont besoin de quelques retouches, mais pour ce soir, il faudra vous en contenter. Alors… voyons-voir… voilà… nous avons donc… un déguisement de Mandrake le Magicien…
— C’est formidable, Monsieur Tatane, j’ai toujours rêvé de me déguiser en Mandrake le Magicien ! Je le prends !
— … et un costume de Lapin Rose.
— Mais c’est merveilleux ça, hein François ? je suis sûr que ce costume va t’aller comme un gant !
— Il est hors de question que je me déguise en Lapin Rose !
Alors qu’un léger brouillard s’abat sur la ville, nous pénétrons à vingt et une heure dix dans la Mairie de Saint-Glinglin. Une foule joyeuse se presse déjà dans la Salle des Fêtes. Barbe-Rouge, Davy Crockett, la Fée Carabosse, Robin des Bois, Maya l’Abeille, Superman, Fifi Brindacier, Peter Pan, Angélique Marquise des Anges, Jules César, Blanche-neige, Bozo le Clown, Merlin l’Enchanteur, Barbarella, Ricky Banlieue, un Hussard sur un cheval à bascule, Cendrillon, Louis XVI avec sa tête sous le bras, Cléopâtre, Arthur le Fantôme, la Mère Denis, Goldorak, Tata Yoyo, Rahan fils de Crao, Geronimo, Wonder Woman, un Bouddha aux pommes, la Reine d’Angleterre, le Marchand de Sable, une Gitane sans filtre, le Petit Chaperon Rouge, le Grand Méchant Loup, une Majorette de trois cents livres, un Charmeur de Serpents… Fichtre… le moins qu’on puisse dire, c’est que lorsque les Saint-Glinglinois vont à un bal costumé, ils ne font pas semblant…
Au centre de l’assemblée, boudiné dans un costume de Marylin Monroe, Edmond Gerbillon, le maire de Saint-Glinglin, se pavane comme un coq au vin au milieu d’un plat de fayots. « Bonjour cher ami », « Bonsoir très chère », « Oh, quel merveilleux déguisement », « Chère madame, vous êtes absolument délicieuse »… Ah y’a pas à dire, il prend son fade, le père Gerbillon…
Fier comme une soupape dans son costume de Mandrake le Magicien, Peter me saisit par le bras.
— Come on François, allons présenter nos respects à Monsieur Le Maire.
Nous nous frayons un passage au milieu de la foule et parvenons jusqu’à l’édile, en train de rire à gorge déployée au milieu d’un parterre de courtisans extatiques.
— Bonsoir, Monsieur le Maire, excusez-moi de vous interrompre, mais je tenais absolument à vous présenter mes respects. Quelle merveilleuse soirée vous nous avez organisée !
— Ah, Monsieur Mac Roe ! Bonsoir cher ami, quel plaisir de vous voir… surtout après les bonnes nouvelles que vous nous avez données cet après-midi… Je suis ravi que cette soirée vous plaise… Mais dites-moi, vous êtes follement sexy dans ce costume de Mandrake le Magicien… j’espère que vous n’avez pas oublié votre baguette magique… Hahaha…
— Hahaha, Monsieur le Maire, toujours le mot pour rire… permettez-moi de vous retourner le compliment, ce costume de Marylin Monroe vous va à ravir… c’est bien simple, vous êtes encore plus belle que l’originale.
— Hahaha, monsieur Mac Roe, vilain flatteur… vous allez finir par me faire rougir… Mais dites-moi, quel est donc ce gros lapin rose qui se trémousse à vos côtés ? Est-ce l’un de vos amis ou venez-vous de le sortir de votre chapeau ?
— Hahaha, Monsieur le maire, quel esprit, mon Dieu, mais quel esprit… Permettez-moi de vous présenter mon vieil ami, François Troudic. François, je te présente monsieur Edmond Gerbillon, le Maire de Saint-Glinglin.
— Bonsoir Monsieur le Maire.
— Bonsoir mon petit lapin… j’ai l’impression de vous avoir déjà vu quelque part…
— Peut-être dans un dessin animé ?
— Hahaha, mon Dieu, voilà un lapin qui ne manque pas d’humour, Hahaha !
À cet instant, une énorme carotte s’approche de nous en se dandinant…
— Tenez, voici justement Gironille, ma chère et tendre épouse… Ma chérie, je te présente monsieur Peter Mac Roe, le directeur de l’Institut Océanographique, et voici son ami, monsieur François Troudic.
— Enchantée messieurs, j’espère que vous passez une bonne soirée. Mais dites-moi monsieur Troudic, ne vous aurais-je pas déjà vu quelque part ?
— J’en doute fort Madame Gerbillon, je sors très peu de mon terrier…
— C’est bien dommage monsieur Troudic, un beau lapin comme vous… vous feriez des ravages.
Elle m’attrape par le bras et m’entraîne vers le fond de la salle.
— Alors dites-moi mon gros lapin, aimez-vous les carottes ?
— Heu, oui, enfin, comme tout le monde…
— Et vous n’auriez pas une petite faim ?
Elle se serre contre moi et me susurre à l’oreille :
— Voyez-vous, je meurs d’envie de me faire grignoter…
— C’est très aimable à vous, madame Gerbillon, mais, heu… j’ai mangé des moules juste avant de venir, je crois bien que je pourrai plus rien avaler…
Juste à cet instant, je vois passer Andy Vogratin, l’assistant du Professeur Nieux, déguisé en esclave romain. Je saute sur l’occasion…
— Excusez-moi madame Gerbillon, mais je dois absolument m’entretenir avec ce monsieur. Je vous retrouve plus tard. Monsieur Vogratin ! quel plaisir de vous voir ! Alors, comment allez-vous ? Est-ce que cette petite soirée se passe bien ?
— Excusez-moi mais, à qui ai-je l’honneur ?
— Ah mon Dieu, c’est vrai, suis-je bête… je suis François Troudic, l’ami de monsieur Mac Roe.
— Monsieur Troudic ! Ah bien ça par exemple, déguisé de la sorte, je ne vous aurais jamais reconnu… quoique peut-être, les oreilles…
— Dites-moi, Andy… cet homme là-bas, près du bar, déguisé en chasseur de baleine, avec un harpon à la main, à côté de cette jeune fille déguisée en Zorro… ne serait-ce pas le Professeur Nieux ?
— Mais oui, tout à fait, c’est Dédé, il est beau hein ?
— Je vous demande pardon ?
— J’ai dit : Il est beau, hein ?
— Non, non, juste avant cela, qu’avez-vous dit ?
— J’ai dit : Mais oui, tout à fait, c’est Dédé…
— Tout à fait, c’est Dédé… c’est Dédé… c’est Dédé… nom de Dieu !!!
— Mais que se passe-t-il monsieur Troudic, vous ne vous sentez pas bien ?
— Hein ? Quoi ? Pardon ?… Si si, tout va bien Andy… Excusez-moi un instant…
Dans ma tête, ça se met à carburer à cent à l’heure. Je sentais bien qu’il y avait un truc qui me turlupinait depuis cet après-midi… ce manège incompréhensible du Professeur Nieux qui part en pédalo gaver des holothuries de purée aphrodisiaque alors qu’elles sont censées se multiplier à cause des pets de lamantin… Et maintenant cette petite phrase… c’est Dédé… Je revois Mimi recroquevillé sur le carrelage de la salle des harpons… et ces trois lettres tracées avec son sang… CDD… CDD… C’est Dédé… Putain !! Y’a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond… et j’ai comme l’impression que la réponse se trouve à l’Institut Océanographique… dans la salle des harpons. Il faut absolument que j’en aie le cœur net.
J’aperçois Peter, en train de danser un mambo endiablé avec le Maire. Je me faufile au milieu des danseurs.
— Peter, Peter, il faut absolument que je te parle…
— Plus tard François, plus tard…
— Mais Peter, c’est très important…
Il s’arrache à contrecœur des bras de Monsieur Gerbillon.
— François, est-ce que tu es fou ? J’ai un ticket pas possible avec le maire ! Tu crois vraiment que c’est le moment de me disturber ?
— Écoute Peter, je crois que cet après-midi j’ai oublié mon portefeuille dans ton bureau. Peux-tu me passer les clés de l’Institut ? Je file le chercher et je te les ramène tout de suite.
— OK, François, OK. Tiens, prends ce trousseau et ne reviens plus me déranger !
— Super, Peter, merci !
Je file vers la sortie tandis que Peter regarde, désespéré, sa Marylin en train de virevolter dans les bras d’un fringant mousquetaire.
Avant de sortir, je me précipite aux toilettes pour enlever mon costume. Mais j’ai beau tirer tant et plus, me contorsionner dans tous les sens… rien à faire… la fermeture éclair est complètement coincée… Me voilà bon pour traverser Saint-Glinglin déguisé en lapin.
Dehors, il y a toujours du brouillard mais il ne pleut presque plus. À part quelques ivrognes titubants que la furtive apparition d’un gros lapin rose ne semble pas particulièrement perturber, je ne rencontre pas âme qui vive, et vingt minutes plus tard, je me retrouve devant l’Institut Océanographique de Saint-Glinglin. Je pénètre dans le hall d’entrée et me dirige directement vers l’ascenseur dont le gros bouton rouge clignote dans l’obscurité.
Au sous-sol, hormis un léger bourdonnement émanant des aquariums et quelques vagues clapotis montant des bassins, tout est calme et silencieux. Je me dirige directement vers la salle des harpons… Soudain, je tends l’oreille… Un sanglot étouffé s’élève du fond du couloir, une complainte lancinante, dont la tragique beauté véhicule tout le chagrin du monde. C’est ce pauvre Ouin-Ouin, brisé de solitude, qui du fond de son bassin réclame de toute son âme sa famille perdue… Bouleversé, je m’approche du bord, et je l’aperçois, presque à la surface, quasiment immobile, qui me regarde, désespéré. J’en ai le cœur brisé…
Bon allez, François, ressaisis-toi ! Tu n’es pas venu pour ça, et tu ne peux rien y faire. D’un pas mal assuré, je m’éloigne du bassin et me dirige vers la Salle des Harpons. J’entre et allume le néon. Tout a été nettoyé, le corps de Mimi enlevé, mais la scène reste très nettement gravée dans ma mémoire… ces trois lettres de sang tracées sur le carrelage – CDD –, la position du corps de Mimi, son expression, et puis cette flèche lui traversant le cou de part en part… pointée en plein vers une grande armoire métallique au fond de la pièce. Je m’en approche, elle est fermée par un cadenas à combinaison… Hmmm… Voyons voir… réfléchissons… Tout d’un coup je repense au tableau dans le hall d’accueil et j’ai comme une illumination… fébrilement je tourne les molettes pour former la combinaison 069… Bingo ! l’âge du commandant Jacques-Yves Couchetôt ! J’ouvre le placard… À priori, rien de spécial, juste une vingtaine de harpons de toutes tailles, alignés sur deux rangs… À moins que… Oui… le fond de cette armoire semble un peu trop surélevé… Rapidement, j’enlève tous les harpons, me mets à genoux et commence à tâtonner… héhé, voilà… je m’en doutais… c’est un fond amovible… je le soulève… Tu parles d’une surprise ! À gauche, des dizaines de paquets de purée Mousline alignés dans un carton, à droite, des cageots débordant de boîtes et de sachets : bourrache, catuaba, gingembre, écorce de bandamor, damiana, bitdane, ginseng, bungabunga, mandragore, trikdur, salsepareille, ambre gris, sirop de bambougnak, boisbandé, musc, huile de civette, couydebouk, yohimbé,… tous les aphrodisiaques de la terre semblent s’être donnés rendez-vous au fond de cette armoire…
Soudain, je sens quelque chose de pointu s’enfoncer dans mes reins.
— Restez donc à genoux, mon petit lapin, c’est une excellente position pour faire sa prière.
— Alors monsieur Troudic, on a des petits problèmes d’érection ?
— Heu, non, pas du tout Profes…
— Allons, allons… pas de cachotteries avec moi mon petit lapin… ça peut arriver à tout le monde… Tenez, on peut dire que vous avez de la chance, je vous ai justement apporté un Tupperware avec de la bonne purée…
— Merci, c’est gentil, mais sans façons, je n’ai vraiment pas…
— Oh, le vilain lapin qui fait des caprices…
— Aïe !
— Eh oui, c’est que c’est pointu, ces petites choses là… Allez, soyez gentil… ouvrez grand la bouche… Voilà, comme ça… Une cuillère pour papa…
— Hmmm…
— Allez, allez, un petit effort… Une cuillère pour Maman…
— Beurk…
— Voilà, c’est bien… Une cuillère pour Dédé… Une cuillère pour Andy… Une cuillère pour ce pauvre Mimi… Une cuillère pour monsieur le maire…
— Blurp…
— Allez, on y va… Plus vite que ça… Une cuillère pour Monsieur le Directeur… Une cuillère pour le Commandant Couchetôt… Une cuillère pour Mlle Flétan… Et voilà ! C’est bien, il a tout mangé !
— Cha… dique… Burp !
— Oh le vilain gros mot !… Vous mériteriez que je vous lave la bouche avec du savon… voyez-vous Monsieur Troudic, lorsque j’ai vu cet imbécile de Directeur vous remettre son trousseau de clés, je me suis bien douté que vous maniganciez quelque chose, et j’ai décidé de vous suivre… grand bien m’en a pris.
— C’est vous, burp, qui avez tué Mimi, n’est-ce pas, Professeur ?
— Eh oui, monsieur Troudic, ainsi que Jethro Lapoisse, notre ancien Directeur. Que voulez-vous, l’un comme l’autre avaient découvert certains de mes petits secrets… Ils ne m’ont pas laissé le choix… Pas plus d’ailleurs que vous ne m’en laissez, monsieur Troudic…
— Mais enfin Professeur, tout cela est totalement insensé…
— Insensé, dites-vous ! Mais c’est vous, pauvre fou, qui parlez sans savoir et insultez mon intelligence… Toutefois rassurez-vous, ma bienveillance naturelle m’interdit de vous laisser mourir dans l’ignorance… Aussi, avant de vous envoyer ad patres, vais-je vous raconter une petite histoire.
« Au printemps 1889, mon arrière-grand-père, le capitaine de goélette Jean-Ulysse Nieux, transportait une cargaison de rhum à destination de la Floride, lorsqu’il entendit chanter les sirènes. En homme avisé, il demanda à son équipage de se boucher les oreilles et de l’enchaîner au grand mât. Lorsqu’il fut avéré qu’il ne s’agissait pas de sirènes mais d’une chorale de lamantins en train de faire des vocalises, il ordonna à ses hommes de le détacher. Mais ces misérables, profitant de la situation, avaient mis tous les tonneaux en perce et s’étaient abominablement enivrés. Mon aïeul eut beau hurler, les insulter, les menacer, nul ne lui prêta attention. Puis, lorsqu’ils se lassèrent de ses cris, ils l’assommèrent à coups de morue et le jetèrent par-dessus bord.
« En 1922, mon grand-père, Louis-Amédée Nieux, était parti pêcher la sardine au large de la Mauritanie lorsqu’il tomba sur un banc de lamantins en train de jouer à la balle au prisonnier avec une rascasse. Accoudé au bastingage, tout l’équipage se divertissait du spectacle lorsqu’un lamantin projeta la rascasse avec une telle force qu’elle vint violemment se planter dans le crâne de mon grand-père, le tuant sur le coup.
« En 1949, mon père, Philippe-Édouard Nieux, pêchait la baleine aux Antilles lorsqu’il croisa un troupeau de lamantins. Il repéra le chef, prépara son meilleur harpon et attendit le moment propice. Mais soudain, alors qu’il s’apprêtait à frapper, un gros lamantin bondit hors de l’eau et lâcha un énorme pet, juste sous le nez de mon père, qui mourut asphyxié, dans d’atroces souffrances.
« Alors, voyez-vous, monsieur Troudic, lorsqu’il y a quelques mois un troupeau de lamantins est venu prendre ses quartiers à l’entrée de la baie de Saint-Glinglin, j’ai compris que le destin m’offrait une merveilleuse occasion de venger mes aïeux. J’ai alors échafaudé un plan dont la première étape consistait à gaver des holothuries de purée aphrodisiaque afin qu’elles prolifèrent au point de mettre en péril l’économie de Saint-Glinglin. Ce plan a fonctionné au-delà de mes espérances, les concombres de mer se montrant tellement avides de ma purée magique qu’ils se sont reproduits comme des lapins et ont envahi toutes les plages de la région. Il s’agissait ensuite de convaincre les autorités que cette catastrophe sanitaire était provoquée par les flatulences de lamantins, ces grosses vaches étant connues pour leur propension à péter abominablement. En tant que directeur des recherches, il ne m’a guère été compliqué de manipuler les expériences à ma guise. Avant de leurs faire inhaler publiquement du concentré de pets de lamantin – dont entre nous le pouvoir stimulant est proche du zéro absolu, mon pauvre père est bien placé pour le savoir – je faisais discrètement ingurgiter aux concombres de mer de la purée aphrodisiaque. Ainsi, grâce à ce subtil stratagème, que seul un esprit supérieur comme le mien était à même de concevoir, j’ai pu convaincre les autorités de la nocivité des lamantins et les amener à en ordonner l’éradication totale. Bien sûr, tout cela n’a pas été sans difficulté. En épluchant les factures, Jethro Lapoisse, notre ancien directeur, s’est étonné du nombre de produits aphrodisiaques que j’avais commandés. J’ai eu beau essayer de le convaincre que c’était pour les étrennes de Mlle Flétan, j’ai bien vu qu’il soupçonnait quelque chose, aussi me suis-je arrangé pour qu’il glisse malencontreusement sur une méduse au moment où il longeait le bassin des barracudas… On nous a envoyé un nouveau directeur et j’ai eu peur qu’il vienne lui aussi mettre son nez dans mes petites affaires. Je lui ai fait parvenir quelques post-it bien sentis afin de l’inciter à démissionner, mais j’ai pu rapidement constater que c’était un parfait crétin et que je n’aurais aucun mal à le mettre dans ma poche – il suffit d’ailleurs de voir comment il se comportait ce soir avec Monsieur le Maire pour comprendre que cet imbécile est prêt à avaler n’importe quoi. Et puis, en début d’après-midi, c’est Mimi qui m’a surpris dans mon bureau, juste au moment où j’étais en train de faire ingurgiter de la purée aphrodisiaque à l’ultime concombre que nous devions opérer. Il n’a rien dit mais j’ai bien vu qu’il me regardait bizarrement. Si près du but, je ne pouvais pas me permettre de prendre le moindre risque, aussi me suis-je résolu à gentiment suicider ce pauvre Mimi avec un fusil-harpon. Car, voyez-vous, monsieur Troudic, nul ne m’empêchera de consommer ma vengeance. Demain matin, dès la première heure, plusieurs chalutiers convergeront vers l’entrée de la baie de Saint-Glinglin. Je dirigerai personnellement les opérations, et croyez-moi… pas une seule de ces grosses vaches n’en réchappera ! Quant à Ouin-Ouin, qui n’arrête pas de pleurnicher au fond de son bassin, je me le réserve pour le dessert. Lorsque son troupeau sera entièrement décimé, je m’occuperai personnellement de son cas, et croyez-moi, avec le petit programme de réjouissances que je lui ai concocté, il aura enfin de bonnes raisons de pleurer ! Maintenant, il ne me reste plus qu’un dernier petit problème à régler, et ce problème, vous vous en doutez, c’est vous, monsieur Troudic. »
— Mais enfin, Professeur, vous n’allez tout de même pas me tuer ! Ma mort paraîtra suspecte, et les soupçons finiront par se diriger contre vous !
— C’est gentil de vous inquiéter pour moi, monsieur Troudic, mais ne vous faites pas de souci… j’ai tout prévu. Voyez-vous, cher ami, vous étiez très amoureux de Mimi…
— Je vous demande pardon…
— Voyons, pas de fausse pudeur avec moi mon petit lapin… Lorsqu’on vous a présenté à Mimi, cela a été pour vous un véritable coup de foudre. Vous en êtes tombé follement amoureux…
— Non mais ça va pas, Professeur, vous êtes complètement cingl… Aïe !!!
— Un peu de calme mon lapinou… Mon harpon est assez nerveux… D’ailleurs, jugez plutôt…
— HAAAAAAAAAAAAAAAOOOOOUUUU !!!!… Salaud ! Boucher !
— Ne croyez surtout pas que je viens de vous perforer la cuisse pour le plaisir, monsieur Troudic, non, c’est juste que cela fait partie de mon plan…
— Ordure !…
— Oh, quel vilain mot dans la bouche d’un si mignon petit lapin… Bon, allez, maintenant, si vous ne voulez pas que je vous harponne de nouveau, vous allez faire bien gentiment ce que je vais vous dire. Vous allez tremper votre doigt dans ce joli filet de sang qui gicle de votre cuisse, et sur le carrelage, à l’endroit même où Mimi avait laissé son message, vous allez écrire : MON MIMI, J’ARRIVE ! Puis vous vous allongerez au même endroit que Mimi, et vous vous suiciderez de la même façon que lui, en vous trouant le kiki avec une flèche de fusil-harpon – Ne vous inquiétez pas, je vous aiderai… Ainsi, tout le monde verra dans votre acte le geste désespéré d’un homme transi d’amour, préférant rejoindre son amant dans la mort plutôt que de continuer à vivre sans lui… Notez que la purée que vous avez ingurgitée commence à produire son effet, en atteste cette impressionnante proéminence qui déforme à présent votre costume… Mouaaarf !… Vous serez là, déguisé en lapin mort, gisant sur le carrelage, avec une énorme érection… Cela ne fera que confirmer la profonde affection que vous éprouviez pour Mimi… Hahahaha !!!
— Professeur, vous n’êtes qu’une ignoble crap… Ouille !!!!
— Bon allez, Troudic, ça suffit comme ça… écrivez !… et que ça saute !
À quatre pattes sur le carrelage, sous la menace du harpon du professeur Nieux, je commence à écrire avec mon sang : MON MIMI… lorsque soudain, le néon se met à trembloter, puis s’éteint d’un seul coup, plongeant le sous-sol dans la plus totale obscurité. Je bondis vers la porte… CHKLONG !!! Le harpon du professeur vient se planter dans le mur, à quelques centimètres de ma tête. Je me rue dans le couloir et cours en direction de l’escalier de service. Je tâtonne fébrilement, trouve la porte, monte les marches quatre à quatre et débouche dans le hall. Je fonce vers la sortie et me précipite dans la rue.
Pas facile de courir, déguisé en lapin et la cuisse en vrac. Avec l’énergie du désespoir, je remonte à toutes jambes le boulevard Edmond Gerbillon, m’engouffre dans la rue du Labrador… Un rapide coup d’œil derrière moi… Le Professeur Nieux est déjà sur mes talons. Je tourne dans la rue Edgard Gamelle, me heurte à un réverbère, et m’étale de tout mon long contre une poubelle… TCHACK !!… Une flèche vient se planter juste entre mes jambes. Je me relève à toute vitesse et me remet à cavaler… Le temps que le professeur récupère sa flèche et réarme son fusil, je parviens à reprendre un peu d’avance… Je tourne à droite, puis à gauche, m’engouffre dans une ruelle, débouche sur un chemin communal et continue à galoper de toutes mes forces… Les maisons sont de plus en plus espacées, remplacées progressivement par une succession de prairies et de champs… Derrière moi, j’entends toujours claquer les mocassins du professeur Nieux sur l’asphalte mouillé… Presque à bout de force, je repère un petit chemin de terre menant à une vieille grange… Je m’y précipite… Un tracteur rouillé, quelques clapiers désaffectés… Rien à faire, pas le moindre endroit pour se cacher… Je ressors… et m’arrête net. La silhouette menaçante du professeur Nieux se dresse devant moi.
— Alors… mon lapin… On aime gambader au clair de lune ?
Dans un ultime effort, je bondis sur le côté… TCHACK !!! La flèche vient se ficher juste entre mes oreilles. Le temps que le Professeur l’arrache de la porte de la grange, je saute par-dessus une barrière et me retrouve dans un champ de navets… J’essaie encore de courir, mais ma cuisse me fait terriblement souffrir, je boite de plus en plus… Mes dernières forces m’abandonnent, je titube, trébuche et m’écroule comme une masse entre les mottes détrempées. Ce coup là, je n’ai plus le courage de me relever.
Péniblement, je tourne la tête. Dans la lumière blafarde, le professeur se tient là, campé au-dessus de moi, le visage déformé par un affreux rictus.
— Mon cher monsieur Troudic, on peut dire que vous m’avez bien fait courir… Vous êtes un lapin courageux, c’est très bien, je vous félicite… Mais cette fois-ci, la récréation est terminée ! Dommage pour la petite mise en scène que j’avais prévue à l’Institut, mais après tout, un gros lapin rose mort d’une indigestion au milieu d’un champ de navets, ça n’est pas mal non plus. Allez mon garçon, finissons-en, j’ai été ravi de vous connaître.
Lentement, il pointe son fusil sur ma poitrine et pose le doigt sur la détente. Je voudrais dire quelque chose, essayer de gagner du temps, mais je ne parviens qu’à émettre un pitoyable râle… nnaaaaaaann… Ce coup là, c’est fini. Je ferme les yeux. Adieu monde cruel…
Bon, ben alors, qu’est ce qu’il fout le Dédé ? Il attend quoi pour me trucider ?… J’entrouvre un œil… il est toujours là, face à moi, le fusil-harpon dirigé vers ma poitrine, mais il a l’air un peu perdu, et marmonne des trucs incompréhensibles.
— Eh Professeur, quelque chose qui ne va pas ? C’est votre conscience qui vous taraude ? Vous avez décidé de m’épargner ? Je vous félicite, c’est une excellente décision. Vous ne le regretterez pas. Je peux me relever ?
— Hein ? Hmmm ? Quoi ?… Silence Troudic !!!! Vous ne bougez pas une oreille, compris ! Non, c’est juste que… nom de Dieu !… Mékeskimarive ?… Keskecekcetruk ?…
— Quel truc Dédé ?
— Hmmm ?… tournez tout doucement la tête sur votre gauche, monsieur Troudic, et dites-moi ce que vous voyez…
Heureusement que la lecture intensive des aventures de Sylvain et Sylvette m’a forgé des nerfs d’acier… Je tourne lentement la tête et découvre… Piou-Piou !… en train de se dandiner au milieu des plates-bandes, avec Michou, coiffé d’un petit chapeau de cow-boy, qui fait des cabrioles sur son dos !
— Alors, Troudic, qu’est-ce que vous voyez ???
— Heu, rien de spécial, Professeur, juste des mottes de terre qui terroient et des navets qui navoient…
— Vous êtes certain ? Regardez encore !!
Je tourne de nouveau la tête. Piou-Piou est à présent en train de jongler avec des picorettes, tandis que Michou, juché sur sa tête, fait un numéro de hula hoop avec un lasso.
— Alors, vous les voyez ??
— Heu… quoi donc Professeur ?
— Un canard en plastique avec un cornichon sur la tête en train de faire des numéros de cirque ! Ne me dites pas que vous ne les voyez pas !!
— Un canard en plastique et un cornichon… Vous m’en direz tant… Hmm… écoutez… il n’y a pas lieu de s’alarmer… ce n’est sans doute qu’un peu de surmenage… Ou peut-être avez-vous mangé un canapé avarié au bal de la Mairie ?
— Ça suffit, Troudic !!! Je ne suis tout de même pas fou !!! Tenez, regardez, voilà le cornichon qui se met à danser le french-cancan et le canard qui joue à saute-mouton avec un navet !! Vous les voyez, Troudic, hein, vous les voyez !!
Ce que je vois surtout, c’est que le professeur est en train de perdre pied. C’est le moment ou jamais… Je bondis sur lui et empoigne son fusil-harpon à pleines mains. Sous le choc, il lâche son arme, vacille et s’écroule au milieu des plates-bandes. Fébrilement, j’arrache un navet et lui en colle des grands coups dans la tronche… Il se débat comme un beau diable et tente de m’arracher les oreilles – je m’en fous, c’est pas les miennes. Tandis qu’il me balance des coups de genoux dans le ventre, je lui enfonce de toutes mes forces mon navet dans la bouche pour essayer de l’étouffer. Il devient livide, et commence à lâcher prise, mais d’un seul coup, je sens monter une terrible douleur de ma cuisse blessée qu’il martèle d’un poing rageur… Ça fait tellement mal que je tourne à moitié de l’œil… Il en profite et d’une secousse, parvient à me retourner et à s’asseoir sur moi… Puis il saisit un énorme caillou et le brandit au-dessus de sa tête pour me fracasser le crâne… Ce coup là, ça y’est, je suis mort… Soudain, on entend un sifflement – ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ – et un long serpent noir vient s’enrouler autour de ses mains. Il me regarde, stupéfait, les bras en l’air, incapable de bouger… Je tâtonne autour de moi… quelque chose de dur… le fusil-harpon ! Je m’en saisis, le pointe sur son ventre… « Tiens, Dédé… de la part de Ouin-Ouin !! », et TCHACK !!!!!…
L’espace de quelques secondes, il reste là, immobile, hébété… Un filet de sang se met à lui suinter aux commissures… Son regard se trouble… Il pousse un dernier soupir – OUYAYAÏSAFÉBOBO – puis s’affaisse lentement sur le côté et trépasse au milieu des navets.
Je relève péniblement la tête. Se détachant en ombre chinoise dans la lumière sépulcrale de la lune, les jambes légèrement écartées, un fouet à la main, Zorro est là, dressé devant moi, qui me regarde en souriant.
— Z… Z… Zorro !!!
Il s’approche lentement, s’agenouille, me prend dans ses bras, et me roule un merveilleux patin.
— Zé… Zé… Zéraldine !!!
— Mais oui, mon chéri, c’est moi, ta Géraldine… qui d’autre voudrais-tu que ce soit ?
— Mais c’est complètement fou !… Qu’est-ce que tu fais là, avec Piou-piou et Michou, en pleine nuit, dans ce champ de navets, alors que vous devriez être à Saint-Balo ?
— Rien de spécial, on est juste venus te sauver la vie…
— Ça c’est sûr, sans vous, j’étais cuit ! Mais enfin, tout ça ne me dit pas comment…
— Chuuuut… Je t’expliquerai, promis, mais pour l’instant, cesse de t’agiter comme ça, tu m’as l’air sacrément mal en point… Laisse-moi regarder si tu n’as rien de cassé…
— Non, ne t’inquiètes pas, ça va… C’est juste cette cuisse qui me lance…
— Arrête de bouger et laisse-moi faire !… Là, ça te fait mal ?
— Non.
— Et là ?
— Non, je te dis, c’est juste ma cuisse qui…
— Chuuuut… et là ?… Mon Dieu, François ! Mais qu’est-ce que c’est que cette énorme bosse ?
— Où ça, chérie ? Ah, là… ne t’inquiète pas, ce n’est rien, c’est à cause de la purée…
— Que je ne m’inquiète pas ? Tu plaisantes ou quoi ! Ça doit te faire horriblement mal… Non, non, mon chéri… je ne peux décemment pas te laisser dans cet état là… Piou-Piou, Michou ! Venez les enfants ! Faites un gros bisou à votre papounet d’amour, et allez faire un petit tour à l’autre bout du champ, voir si vous ne trouvez pas des korrigans…
Tandis que Piou-piou et Michou s’éloignent, elle saisit ma peau de lapin à deux mains, tire de toutes ses forces, et Schcraaaack !… en déchire sauvagement l’entrejambe.
— Houlala François ! c’est encore pire que ce que je pensais ! Mais ne t’inquiètes pas… il n’y a rien que l’amour ne puisse vaincre… je vais te soigner !
Et, tandis qu’à l’autre bout du champ, un petit canard en plastique et un cornichon au vinaigre jouent à cache-cache avec les korrigans, Zorro, déchaîné, chevauche au grand galop un gros lapin rose allongé sur le dos. À leurs côtés, le Professeur Nieux, un navet enfoncé dans la bouche, refroidit lentement au milieu des plates-bandes, la flèche qui le transperce pointée en plein vers l’étoile du Berger dont l’éclat vacille dans les premières lueurs de l’aube.
« … Comme nous vous en informions au début de ce journal, l’affaire des holothuries de Saint-Glinglin a connu hier un spectaculaire rebondissement. Alors qu’il semblait clairement établi que l’invasion de concombres de mer affectant les plages de la région était directement liée aux flatulences des lamantins résidant à l’entrée de la baie, un citoyen de Ploucamor, François Troudic, dont le nom avait déjà défrayé la chronique l’an dernier lorsqu’il avait démantelé un gang de trafiquants de boîtes de conserves, est parvenu à prouver de façon irréfutable que cette prolifération d’holothuries n’était en rien liée aux pets de vaches de mer mais avait été sciemment provoquée par l’un des membres les plus éminents de l’Institut Océanographique, le professeur Michel-André Nieux. La cache où le professeur Nieux stockait les produits aphrodisiaques dont il gavait chaque jour les holothuries de la baie de Saint-Glinglin a été mise à jour, et un journal dans lequel il expliquait en détail son plan et ses motivations a été retrouvé au fond de son cartable. Assisté de son équipe, François Troudic est parvenu à alerter les autorités mardi matin, à la première heure, juste avant le départ des chalutiers devant éliminer la colonie de lamantins. L’opération a été suspendue in extremis et aux dernières nouvelles, les vaches de mer continuent à paître paisiblement à l’entrée de la baie. Se voyant démasqué, le professeur Nieux a préféré mettre fin à ses jours plutôt que de devoir affronter ses responsabilités. Il s’est rendu dans un champ à la sortie de la ville et s’est suicidé avec un fusil-harpon. Dans sa bouche, on a retrouvé un navet sur lequel il avait gravé : J’ai trop honte. Alors qu’il tentait de l’empêcher de commettre l’irréparable, François Troudic a été blessé à la cuisse par la flèche avec laquelle le professeur s’est suicidé. Il se repose actuellement à la clinique du Guilledou. »
La porte de ma chambre s’ouvre juste au moment où j’éteins la télé, et Géraldine, Piou-piou et Michou apparaissent, les bras chargés de cadeaux.
— Alors mon Roudoudou, comment te sens-tu aujourd’hui ?
— En pleine forme !… J’ai vraiment hâte de sortir d’ici. Qu’est-ce que vous m’avez amené de beau ?
— Tiens, voilà un livre de coloriage offert par Peter Mac Roe, et des gommettes de la part de Mlle Flétan… Cette terrine de lapin, c’est un cadeau de Michel-André Vaugratin. Et puis il y aussi une petite pipe envoyée par Monsieur Gerbillon et une barquette de carottes râpées, de la part de son épouse.
— Ouah… super…
— Et ce n’est pas tout ! Piou-piou t’a fabriqué un boulier chinois avec des picorettes et Michou t’a tressé un scoubidou avec des poils de korrigan.
— Alors là, les enfants, vraiment, vous me gâtez !… Et heu… là… dans ce carton… qu’est-ce que… ?
— Ça, gros curieux, c’est mon cadeau… un petit souvenir que je t’ai ramené de l’institut Océanographique…
— Ah bon ? laisse-moi regarder… qu’est-ce que ça peut bien… catuaba, écorce de bandamor, sirop de bitdane, bungabunga, jus de bambougnak, couydebouk, yohimbé… Géraldine ! Tu as piqué tous les aphrodisiaques du professeur Nieux !
— Mais non, pas tous… j’en ai juste pris quelques-uns et je les ai discrètement remplacés par de la tisane et des herbes de Provence, ne t’inquiète pas, personne n’a rien vu…
— Oui, mais quand même, ce ne sont pas des choses qui se font ! Tu imagines si…
— Non mais, c’est pas bientôt fini de râler, espèce de vieux croûton !… Et toi, tu crois que c’est mieux quand tu piques des trucs au Champion ?
— Oui, enfin non, mais moi, heu… c’est pas pareil… c’est pour…
— Oui, c’est ça… allez, arrête, sinon… je te prépare tout de suite un grand bol de purée !
— OK, OK… je dis plus rien !
— Tu fais bien… Dis-moi plutôt, mon chéri… Ça t’intéresse toujours de savoir comment nous nous sommes retrouvés à Saint-Glinglin l’autre soir ?
— Et comment !!
— Alors, arrête de bougonner, mange tes carottes râpées, ça te rendra aimable, et écoute…
« — Vendredi dernier, lorsque j’ai reçu ton télégramme, ça m’a vraiment contrariée. Avec les enfants, on avait préparé une petite fête pour ton arrivée et voilà que toi, tu nous annonçais comme ça, juste au dernier moment et sans la moindre explication, que tu n’arriverais pas avant mardi. J’ai fait un gros effort pour te répondre gentiment, mais ça m’a tellement énervée que je n’en ai pas fermé l’œil de la nuit. Je n’arrêtais pas de me demander pour quelle raison tu avais décidé de retarder ton arrivée… Et puis soudain, le déclic !… je me suis souvenue que Mireille, la fille de Mme Lamoule, devait arriver samedi à Ploucamor pour passer le mois de juillet chez sa mère… J’ai repensé à la façon dont elle t’avait fait du gringue la dernière fois qu’on l’avait vue, au Fest-noz de Bledinic, et j’ai tout compris… Tu avais reporté ton arrivée pour aller batifoler avec Mireille Lamoule !
— Non mais ça va pas, t’es pas bien…
« Ça m’a travaillée tout le week-end. Ça me rendait folle de t’imaginer en train de faire la Brouette à Piston et la Toupie Aztèque avec cette dinde. J’étais tellement sur les nerfs que le dimanche soir, j’ai décidé de rentrer à Ploucamor pour te surprendre au lit avec elle.
— Mais enfin Géraldine, c’est n’importe qu…
« Nous avons pris le car de nuit et nous sommes arrivés à Ploucamor lundi matin à six heures. Mais en rentrant à pied de la gare routière, nous t’avons aperçu sur le boulevard Saint-Ignace, en grande discussion avec le père Justin. Et puis soudain, tu es monté dans sa carriole et vous êtes partis. Je savais que le père Justin allait tous les lundis matins au marché de Saint-Glinglin, mais je ne comprenais pas pourquoi tu l’accompagnais alors que tu aurais dû être au lit avec Mireille Lamoule. Nous sommes allés à la maison, j’ai pris une douche et là, tout d’un coup, en voyant ton peigne posé sur le bord du lavabo, je me suis souvenue que Giselle Chodasse venait d’ouvrir un salon de coiffure à Saint-Glinglin, et je me suis rappelé la façon dont elle t’avait passé la main dans les cheveux à la kermesse de Kersauciss, en disant : “Oh monsieur Troudic, vous avez une si jolie raie…” Ça a été comme une révélation : ce n’était pas pour coucher avec Mireille Lamoule que tu avais retardé ton départ, mais pour aller te faire retoucher la raie à Saint-Glinglin par Giselle Chodasse !
— Alors là franchement, ma chérie, t’es complètement…
« T’imaginer en train de faire le Tourniquet Pneumatique et le Culbuto Pakistanais avec la fille Chodasse, ça m’a mise dans tous mes états. Je me suis habillée à toute vitesse, j’ai pris mon vélo, et on est parti à Saint-Glinglin pour pouvoir vous surprendre en pleine action. Juste au moment où on arrivait Place du Marché, tu sortais de La Bolée des Halles. On t’a suivi discrètement, mais au lieu de te rendre au Salon de Coiffure de Giselle, tu es allé au Comité Olympique des Producteurs de Porcs et ensuite au Centre Océanographique et de la Protection des Plages. Au bout d’une éternité, tu en es ressorti, l’air un peu contrarié. Je t’ai suivi jusqu’au bureau de Poste, où j’ai vu comment tu passais devant tout le monde – un vrai hooligan – et comment tu te faisais expulser – bien fait pour toi, ça t’apprendra à abuser comme ça de la faiblesse de pauvres petits vieux innocents. Ensuite tu es retourné à l’Institut, mais tout à coup, tu t’es caché derrière une poubelle, puis tu t’es mis à suivre un type jusqu’au Vieux Port. Puis vous êtes partis en pédalo. Je t’avoue que je commençais à avoir un peu de mal à suivre. À ton retour, tu es allé une nouvelle fois à l’Institut d’où tu es ressorti au bout de cinq minutes avec un autre type complètement excité. Je vous ais suivis jusqu’au magasin de déguisements. Lorsque vous en êtes sortis, je suis allée interroger le propriétaire qui m’a expliqué que vous étiez venus louer des costumes pour vous rendre au bal de la Mairie. J’ai compris que c’était sûrement à ce bal que tu avais prévu de retrouver ta Gisèle. Il ne restait plus à Monsieur Tatane qu’un costume de Zorro, mais, coup de chance, il était juste à ma taille. Je l’ai loué, et à neuf heures, je me suis présentée à la Mairie. Quand je t’ai vu arriver déguisé en gros Lapin Rose, j’ai failli mourir de rire ! Mais lorsque j’ai vu la femme du maire t’entraîner au fond de la salle, ça m’a fait beaucoup moins fait rigoler. T’imaginer en train de faire la Ventouse Malgache et le Périscope à Vapeur avec cette grosse carotte… j’en étais malade ! Heureusement, tu l’as vite plantée là et tu es allé parler avec le grand type excité qui était en train de danser avec le maire. Je t’ai vu ensuite te diriger vers la sortie, et j’ai vu le type que tu avais suivi l’après-midi sortir derrière toi pour te suivre à son tour… je l’ai suivi. Arrivée devant l’Institut Océanographique, j’ai attendu cinq minutes et je suis entrée. J’ai vu qu’il y avait de la lumière au sous-sol, je suis descendue, et là, dans cette salle au bout du couloir, je t’ai vu à genoux par terre, la cuisse en sang, avec ce type qui te menaçait avec un harpon. Je suis allé au tableau électrique, et j’ai fait sauter les plombs. Tu en as profité pour t’échapper, mais il était déjà à tes trousses. J’ai couru derrière vous jusqu’à ce champ de navets, à la sortie de la ville et j’ai vu comment une fois de plus, il te tenait à sa merci. Piou-piou et Michou ont alors eu l’idée géniale d’aller faire les pitres pour détourner son attention. Ça a bien failli marcher puisque tu es parvenu à le désarmer, mais il a de nouveau pris le dessus et j’ai vu le moment où il allait te fracasser le crâne… la suite, tu la connais… »
— Géraldine, tu es la femme la plus courageuse, la plus incroyable, la plus merveilleuse, la plus formidable, la plus…
À ce moment-là, la porte s’est ouverte et Simone, l’infirmière de service, est entrée dans la chambre avec un thermomètre à la main.
— Monsieur Troudic, c’est l’heure de prendre votre température.
— Non mais, de quoi je me mêle, sortez d’ici, je lui prendrai moi-même.
— Mais enfin Mademoiselle, je ne fais que mon travail…
— Oui, oui c’est ça… on commence par la température et on finit par la Saucisse à Bascule et L’Équerre au Chocolat… Dehors je vous dis !!
La pauvre Simone est ressortie de la chambre sans demander son reste.
— Heu… dis-moi, Géraldine… entre nous… tu ne serais pas un peu… jalouse ?
— Jalouse, moi ?? N’importe quoi !!!
Le camion est venu se garer devant l’Institut Océanographique à dix heures et demie. Quatre malabars en sont descendus et nous ont rejoints dans le hall.
— Monsieur Troudic ?
— C’est moi-même, bonjour messieurs, nous vous attendions.
Nous les avons accompagnés au sous-sol. Dans son bassin, presque immobile, Ouin-Ouin flottait à la surface, tellement épuisé qu’il n’avait même plus la force de pleurer. Il a à peine réagi lorsque nous l’avons transféré dans la baignoire. Nous sommes remontés par l’escalier de service et l’avons installé à l’arrière du camion. Puis nous avons roulé jusqu’au vieux Port où Edmond Gerbillon avait mis son yacht personnel à ma disposition. Une fois à bord, nous nous sommes dirigés vers le large.
Arrivés à l’entrée de la baie de Saint-Glinglin, nous avons sorti délicatement Ouin-Ouin de la baignoire à l’aide d’une bâche et l’avons fait descendre tout doucement le long de la coque. Lorsqu’il s’est retrouvé dans l’eau, il a d’abord semblé un peu perdu et est resté là, sans bouger. Et puis, il a poussé un petit vagissement hésitant, suivi d’un autre, un peu plus fort… Quelques secondes plus tard, deux lamantins sont apparus à la surface et sont venus se coller contre lui… et puis d’autres ont surgi un peu plus loin, et d’autres encore… bientôt, tout le troupeau était là. Lorsque qu’ils se sont mis à chanter, on a pleuré comme des madeleines. Ensuite ils ont plongé et ont disparu.
Nous sommes restés encore quelques instants à contempler l’océan, puis nous avons fait demi-tour. Soudain, la mer s’est mise à bouillonner furieusement et d’énormes bulles sont venues exploser à la surface.
— Mon Dieu, François, une éruption volcanique !
— Mais non Géraldine, rassures-toi… c’est le troupeau qui pète de joie.
FIN
Maquereau seiche moustelle encornet espadon calamar ?
Carrelet mérou pétoncle homard germon bouquet pageot bar
Exocet perche baleine blanche, cabot thon denté chimère
Gardon sépiole griset tanche barbot thon denté chimère
Ma queue rose sèche mousse-t-elle encore, n’était-ce pas donc à l’amarre ?
Car les mers où pète oncle Omar gèrent mon bout qu’est pas jobard
Exauce cette perche, bât l’aine blanche, cabotons dans tes chimères
Gardons ces piaules grises étanches, barbotons dans tes chimères
Orque Casseron rouget barbue limande Saint-Jacques colin
Saumon rascasse araignée caramote vive moule tourteau
Exocet perche baleine blanche, cabot thon denté chimère
Gardon sépiole griset tanche barbot thon denté chimère
Or qu’à ce rond rouge et barbu, limant deux seins j’accole un Sceau
mon rat se casse à régner, car « à motte vive, moud le tour tôt ! »
Exauce cette perche, bât l’aine blanche, cabotons dans tes chimères
Gardons ces piaules grises étanches, barbotons dans tes chimères
Vieille barracuda crevette mante hareng gobie turbot coque
Plancton dauphin tacaud pieuvre carangue lançon congre lotte
Exocet perche baleine blanche, cabot thon denté chimère
Gardon sépiole griset tanche barbot thon denté chimère
Vieille baraque où d’acres vêtements te haranguent aux bitures, beau coq
Planque ton dos fin, ta copie œuvre, car en gueulant son con grelotte
Exauce cette perche, bât l’aine blanche, cabotons dans tes chimères
Gardons ces piaules grises étanches, barbotons dans tes chimères
Morue bernique sar raie palourde cigale étrille cétacé
Cachalot toutenon lieu carpe éperlan brochet zée
Exocet perche baleine blanche, cabot thon denté chimères
Gardon sépiole griset tanche barbot thon denté chimère
Mord Hubert, nique sa raie pas lourde, six gars l’étrillent, c’est assez
Cache à l’eau tous tes non-lieux car pépère l’embroche aisé
Exauce cette perche, bât l’aine blanche, cabotons dans tes chimères
Gardons ces piaules grises étanches, barbotons dans tes chimères
Le thé sera chaud
« Mon cher chérichouchou d’amour que j’aime de tout mon cœur… Ce matin un lapin a tué un chasseur… Que c’est bon d’être en vacances avec toi à Saint-Balo… c’était un lapin qui, c’était un lapin qui… Il fait un temps magnifique. Piou-piou et Michou passent leurs journées à construire des châteaux et à barboter dans les trous d’eau… Ce matin un lapin a tué un chasseur… Toi, tu es là, à côté de moi, en train de lire les aventures de Placide et Muzo… C’était un lapin qui, avait un fusil… Moi, je me dore la pilule recto-verso, mais je commence à avoir un peu chaud… ça te dirait d’aller te baigner ? Ta Géraldine. »
Allongé sur le dos, tandis que le transistor distille en sourdine les derniers tubes à la mode sur Radio-Saint-Balo, je lis la carte postale que vient de me tendre Géraldine. Au recto, on peut voir un couple de grenouilles en train de jouer au bilboquet dans une baignoire-sabot.
Je me redresse, m’agenouille à côté d’elle et la soulève dans mes bras.
— Tu viens, on y va ?
— Les Harengs de Ploucamor (Demisel, 2013)
— La Complainte du Lamantin (Demisel, 2013)
Fixant le plafond de ses yeux révulsés, baignant dans une mare de sang, bouche béante, langue pendante, Mimi git là, recroquevillé sur le carrelage. La flèche d’acier de douze millimètres de diamètre qui lui traverse le kiki de la pomme d’Adam à l’occiput, lui donne un peu l’air d’une girouette plantée dans de la purée de betterave.
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Décembre 2014
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